Covid-19 : en Guadeloupe, le droit d'accès à l'eau ne coule pas de source
Avec en toile de fond la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19, les problèmes systémiques d’accès à l’eau dans les territoires ultramarins, conséquence d’une dégradation des réseaux, se posent avec une acuité particulière.
Par une ordonnance, rendue ce 15 mai, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a enjoint au Syndicat intercommunal d’alimentation en eau et assainissement de la Guadeloupe (SIAEAG) de fournir quotidiennement un pack de bouteilles d’eau potable à chacun des requérants jusqu'à la fin de l’état d’urgence sanitaire. Si se laver les mains fréquemment est l’un des principaux gestes barrières en période de propagation de virus, encore faut-il avoir accès à l’eau. Confrontés à des coupures d’eau de plus en plus nombreuses, dans le contexte d’épidémie actuel, plusieurs résidents de Saint-François, titulaires d’un abonnement d’eau potable auprès du SIAEAG, avaient ainsi saisi le juge en urgence selon la procédure de référé-liberté.
Défaillances chroniques
Des restrictions d’eau potable affectent, parmi d’autres communes, la commune de Saint-François. En cause, un réseau de distribution totalement vétuste (avec des pertes de l’ordre de 60%, avant même d'arriver au robinet), contraignant à la mise en place de "tours d'eau" pour permettre l'approvisionnement en eau potable des foyers du territoire. Une défaillance chronique qui "compte tenu la vulnérabilité des personnes dans le contexte actuel de crise sanitaire" a pris une toute autre dimension. D'autant que cette pénurie "s’est aggravée" sans que le SIAEAG, en charge, notamment pour la commune de Saint-François, de la distribution de l’eau potable et du traitement des eaux usées, ne propose "de mesures de substitution efficaces pour pallier les ruptures d’approvisionnement en eau potable". "La continuité de ce service public n’est plus assurée s’agissant d’un besoin prioritaire particulièrement dans le contexte actuel de crise sanitaire", relève l’ordonnance.
Distribution d’eau en bouteille
"Compte tenu notamment des consignes données par les pouvoirs publics aux fins de protéger la population du risque de contamination", il apparaît au juge des référés "que l’absence répétée de fourniture d’eau courante pendant plusieurs jours révèle, de manière caractérisée, une carence de nature à justifier", eu égard au droit fondamental à l’accès à l’eau invoqué, "qu’il soit enjoint au SIAEAG de fournir quotidiennement, à compter du 18 mai 2020 et pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire, un pack de bouteilles d’eau potable, à chacun des requérants". En revanche, le juge des référés, qui en principe ne peut ordonner que des mesures provisoires, n’a pas estimé justifiée la fourniture de citernes de grande capacité demandée par les requérants. Sur le terrain, dans les secteurs de l’île les plus touchés par les pénuries d’eau (Petit-Bourg, Gosier, Sainte-Anne, Saint-François, Capesterre-Belle-Eau et la Désirade), des points de distribution d’eau, en citerne et en bouteilles, ont déjà été mis en place depuis plusieurs semaines. Pour ce faire, le préfet a pris un arrêté de substitution aux maires défaillants, dès le 18 mars, sur les zones soumises aux tours d’eau.
Réparation des fuites
À ces réquisitions, s’ajoute une opération "coup de poing", selon les termes du préfet Philippe Gustin, pour réparer les fuites sur les réseaux d’eau. La feuille de route prévoit dans un premier temps de rétablir "un calendrier respecté des coupures d'eau dont la répartition spatiale sera également revue pour mieux répartir l'effort de solidarité". Le diagnostic des réseaux a mis en évidence "2.000 fuites" à réparer d'ici à fin juillet, "puis 3.000 fuites dans une seconde phase de travaux s'étendant d’août à octobre". Ces travaux seront entièrement financés par l'État à hauteur de 5,3 millions d’euros pour rétablir un service minimum de l'eau sur les zones les plus impactées. Selon la préfecture, "cette opération n'a pas la prétention de rétablir en quelques jours un service qui se dégrade depuis des années". Elle viendra en complément des travaux du plan d'actions prioritaires, adopté en février 2018 par l’État, la région, le département et les collectivités locales et doté de 71,4 millions d'euros, "dont les chantiers se poursuivent en parallèle".
Audit en 2018
Un rapport produit en 2018 par l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea) montre que les seuls travaux prévus à ce plan ne suffiront pas à mettre fin aux tours d’eau "si une action massive et immédiate n’est pas entreprise pour réparer les fuites sur le réseau". Des propositions qui s’ajoutent aux conclusions de la mission conjointe du conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et des inspections générales de l’administration et des finances pour définir les modalités d’organisation et de financement les plus efficaces et durables et appuyer l’action du préfet et des élus locaux, remises en mai 2018.
Sécheresse aux Antilles
Et pour ne rien arranger, la sécheresse frappe particulièrement les Antilles. En Martinique, où depuis plus d'un mois, "près de 40.000 Martiniquais subissent des coupures d'eau ponctuelles et, dans certains quartiers, de longue durée", indique la préfecture, un plan d’urgence vient d’être adopté pour augmenter la capacité de production d'eau potable et garantir l'équité des coupures. À la mi-mars, le préfet avait par ailleurs pris un arrêté pour réguler l'utilisation de l’eau alertant sur la sécheresse hydrologique malgré des précipitations conformes à la normale saisonnière.