Cour des comptes : "On peut dépenser moins et faire mieux"
La Cour des comptes entend attribuer sa contribution à la revue des dépenses publiques. Son mot d'ordre ne surprendra guère : "renforcer la qualité de la dépense publique". Elle vient de le décliner à travers neuf notes thématiques qui synthétisent ses propositions sur divers sujets : transferts financiers de l'État aux collectivités, logement, éducation, transition écologique, aides aux entreprises, soins de ville...
Niches fiscales rationalisées, aides publiques mieux ciblées… la Cour des comptes détaille une nouvelle fois ses propositions pour améliorer la qualité de la dépense publique et la diminuer de plusieurs dizaines de milliards d'euros d'ici 2027. "Pour restaurer nos marges de manoeuvre, un effort substantiel devra être conduit sur la dépense publique", de façon à dégager "idéalement" soixante milliards d'euros d'économies d'ici 2027, a souligné le premier président de la Cour, Pierre Moscovici, en présentant la "contribution" de l'institution à la revue des dépenses publiques lancée par le gouvernement.
Cette "contribution" se compose de neuf notes thématiques qui synthétisent les propositions de la Cour sur divers sujets : dépenses fiscales, transition écologique, transferts financiers de l'État aux collectivités, aides aux entreprises, formation professionnelle et apprentissage, dépenses d'éducation, moyens des forces de sécurité, soins de ville, politique du logement.
Moins de trois semaines après les Assises des finances publiques organisées par le ministère de l'Économie pour afficher sa volonté de maîtrise des dépenses publiques et de redressement des finances, "on peut dépenser moins et faire mieux dans un très grand nombre de domaines de l'action publique", a résumé jeudi 6 juillet Pierre Moscovici.
Haro par exemple sur les niches fiscales, qui ont coûté pas moins de 94,2 milliards d'euros à l'État en 2022 : les magistrats financiers de la rue Cambon suggèrent d'instaurer un "mécanisme de plafonnement" de leur coût entre 2023 et 2027, et de limiter à quatre ans la durée de tout nouvel avantage fiscal ou réduction d'impôt.
Sur le sujet de l'alternance et de la formation professionnelle, qui ont mobilisé "21,8 milliards de financements publics en 2022", la Cour plaide pour "mieux cibler la dépense publique vers des publics prioritaires" et "renforcer les exigences de qualité des formations et de lutte contre la fraude". Attention aussi à ce que les dispositifs de soutien aux entreprises en temps de crise restent temporaires, la Cour relevant la "tentation" de l'État de perpétuer plus longtemps qu'initialement prévu les prêts garantis par l'État (PGE) ou le fonds de solidarité.
Du côté du logement, les politiques publiques ont mobilisé "38,2 milliards d'euros en 2021, soit 1,5% du PIB" ou le double de la moyenne européenne, a détaillé Pierre Moscovici. "Et pourtant beaucoup des dispositifs n'ont pas démontré leur efficacité", a-t-il critiqué. D'où l'appel de la Cour à flécher les aides vers "les publics les plus défavorisés" et à davantage confier de responsabilités aux acteurs locaux dans la politique du logement - cette seconde recommandation valant aussi pour les dépenses éducatives. Des recommandations pour la plupart déjà formulées par la Cour.
"Ces neuf notes ne sont qu'une première contribution" à la revue des dépenses publiques, a insisté le premier président, promettant de publier "régulièrement" de nouvelles notes comme la Cour l'avait déjà fait en décembre 2021, avec 13 travaux thématiques publiés en amont de l'élection présidentielle. Pour réussir, la revue des dépenses publiques ne pourra pas être menée seulement dans le secret des cabinets ministériels, a averti Pierre Moscovici. "Une revue de dépenses accomplie, c'est mettre à plat toutes les dépenses et mettre autour de la table toutes les parties prenantes : collectivités territoriales, organismes de sécurité sociale, fédérations professionnelles, associations, acteurs de terrain, société civile...", a-t-il énuméré. En sachant que les principales associations d'élus locaux avaient boycotté en juin les Assises des finances publiques.
Si la dette publique de la France a franchi les 3.000 milliards d'euros au premier trimestre 2023, pas question pour autant de pratiquer la politique du rabot. "L'austérité est l'ennemie de la croissance et du service public. Nous ne disons pas qu'il faut se désendetter par principe, mais pour pouvoir investir", notamment dans la transition écologique, selon Pierre Moscovici.
Focus sur les notes intéressant au plus près les collectivités locales.
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Transferts financiers aux collectivités : maîtriser et réorienter
Les transferts financiers de l'État aux collectivités (dotations, parts de fiscalité nationale…) ont crû, représentent aujourd'hui "plus de la moitié des recettes des collectivités, tandis que la part des impôts locaux a chuté", constate la Cour. Une tendance qui s'est évidemment accélérée depuis la suppression de la taxe d’habitation puis celle de la CVAE. Compensée principalement par une part de TVA, laquelle "est ainsi devenue une recette essentielle des collectivités". La Cour souligne le grand nombre et la complexité des transferts – elle en a compté 155. Il faudrait donc simplifier mais, aussi mieux "maîtriser" afin de… "favoriser le ralentissement des dépenses des collectivités". C'est peu ou prou ce qu'elle a écrit dans son rapport sur les finances locales présenté le 4 juillet (voir notre article). Il faudrait en outre mieux les répartir, "en fonction de critères démographiques et socioéconomiques, et non plus de situations de plus en plus datées", renforcer la péréquation et réorienter le soutien de l'État vers l'investissement, et notamment l'investissement en faveur de la transition écologique. Ce qui impliquerait entre autres, peut-on lire, de "réduire le principal concours financier de l’État – le fonds de compensation de la TVA –, qui procure une aide indifférenciée aux collectivités, au profit des dotations à l’investissement".
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Logement : mieux cibler les aides
Pour la Cour, la politique du logement, historiquement basée sur la reconstruction et la résorption de l'habitat indigne, devrait viser quatre objectifs : "permettre à toute personne de disposer d'un logement décent", "contribuer à la cohésion sociale", "contribuer à l'adaptation" au réchauffement climatique et au vieillissement de la population, et "veiller à l'efficacité et l'efficience". "La recherche d'une meilleure efficience reste indispensable", estime-t-elle, bien que l'effort public consacré au logement ait fondu à 1,5% du PIB, un niveau historiquement bas mais toujours très supérieur à la moyenne européenne. Elle dénombre ainsi soixante-cinq "dépenses fiscales", soit des allègements d'impôt, coûtant 13,7 milliards d'euros par an, dont "aucune étude économique n'est concluante sur l'effet de levier qu'elles produiraient sur la construction de logements locatifs". Elle pointe même directement le "manque d'efficience" de certaines mesures comme la défiscalisation du logement social en outre-mer ou, dans certains cas, le prêt à taux zéro renforcé. L'institution préconise de revoir les critères d'attribution des aides à la personne, comme les aides personnalisées au logement (APL), et des aides à la construction de logements sociaux, qu'elle souhaiterait orienter davantage vers les catégories les plus défavorisées. Elle demande d'ailleurs de s'assurer que les logements sociaux sont bien attribués en priorité aux personnes les plus en difficulté. Pour soutenir la rénovation énergétique des logements, la Cour suggère d'orienter davantage le dispositif MaPrimeRénov' vers les rénovations globales, plus lourdes mais plus performantes. Les bailleurs sociaux devraient eux être soutenus à hauteur de "230 à 600 millions d'euros en équivalents-subventions par an" pour tenir leurs objectifs de rénovation, pointe-t-elle. Afin de lutter contre la hausse des prix du logement en zones tendues, elle suggère de "simplifier et renforcer la fiscalité sur les logements vacants" ou d'étendre les garanties locatives comme Visale. Et contre l'étalement urbain, elle préconise une "adaptation de la fiscalité, notamment locale, et du droit de l'urbanisme", prévenant toutefois que cela ne suffira pas à atteindre l'objectif du zéro artificialisation nette.
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Éducation : "L'approche territoriale devrait être au cœur de toutes les analyses"
"Entre une croissance continue des dépenses de l’État [...] et la nécessité dans laquelle se trouvent les collectivités territoriales de remettre à niveau le patrimoine immobilier scolaire, il est impérieux de tracer une trajectoire à moyen terme", estime la note thématique de la Cour des comptes dont le titre parle de lui-même : "Privilégier l'approche territoriale et l'autonomie dans la gestion des dépenses d'éducation". Dans cette note, la Cour rappelle tout d'abord que les dépenses consacrées à l’école publique et privée sous contrat proviennent des budgets de l’État et des collectivités territoriales, à hauteur de 109 milliards en 2022 et qu'elles n’ont cessé d’augmenter sur les dix dernières années. Et si "le budget scolaire de l’État est presque intégralement constitué de la masse salariale de plus d’un million d’emplois", ceux "des collectivités sont principalement consacrés à l’investissement dans le bâti et au fonctionnement", décrit la Cour, avant de rappeler que "seules les communes supportent une masse salariale conséquente".
Une fois ce cadre général décrit, l'on comprend que la Cour regrette qu'il n’existe pas "de document intégré permettant de disposer d’une analyse complète qui, unifiant les efforts de l’État et ceux des collectivités, permettrait de mieux cerner les problèmes financiers de la politique éducative". Elle estime que "l’approche territoriale devrait être au cœur de toutes les analyses, qu’elles portent sur la baisse démographique, sur la gestion du système éducatif, sur l’accès aux données, qu’il faut consolider et partager, ou sur la gestion des ressources humaines". Selon eux, une "politique éducative ne peut pas être pilotée à partir de la seule logique de l’annualité budgétaire". Pour "modifier la structure de la dépense et la rendre plus efficiente", la Cour propose donc quatre leviers. Elle suggère de :
- "tirer parti de la baisse démographique" ;
- "surmonter les disparités territoriales" ;
- "sortir d’une gestion encore trop concentrée" ;
- "placer la gestion des ressources humaines au service de l’éducation nationale".
"Si l’on veut poursuivre la réflexion sur les moyens d’atteindre les objectifs fondamentaux, il faut cesser l’empilement de réformes", alertent les Sages, pour lesquels "l’examen des dépenses présenté dans cette note atteste d’une situation qui paraît bloquée". Et de conclure que de "manière […] décisive pour l’avenir, il convient d’améliorer la concertation entre l’État et les collectivités".
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Financements publics de la transition écologique : mieux utiliser le budget vert et se doter d'outils d'évaluation plus efficaces
Dans sa note visant à "apprécier la contribution de la dépense publique à la transition écologique" rendue publique ce 7 juillet dans le cadre de sa contribution à la revue des dépenses publiques, la Cour des comptes estime que l’effort budgétaire annuel supplémentaire pour l’État pour la seule transition climatique serait de l’ordre de 10,5 milliards d'euros, sans intégrer la protection de la biodiversité, la lutte contre les pollutions ou le développement de l’économie circulaire. Le reste des 34 milliards d'euros attendus d'ici 2030 du secteur public proviendrait des collectivités territoriales et "des opérateurs de l’État, dont certains disposent de ressources propres substantielles".
Les magistrats de la rue Cambon proposent d'abord d’améliorer le budget vert car il reste selon eux "descriptif et encore trop peu utilisé dans la gestion de la dépense publique". Pour devenir "un instrument de pilotage environnemental, utilisé à toutes les étapes de la gestion budgétaire", le gouvernement doit notamment affiner sa "granularité d’analyse". La cotation dans le "budget vert" est en effet réalisée aujourd’hui au niveau des actions et sous-actions et par ministère pour les grandes masses budgétaires qui procèdent de multiples lignes de crédits (personnel, fonctionnement et investissement) et agrège, sauf exceptions, des dépenses dont l’impact environnemental peut être différent, souligne la Cour.
L’exécutif devrait aussi "communiquer sur ces cibles chiffrées (décarbonation des énergies et des transports, dépollution de l’air, de l’eau et des sols, prévention des déchets, adaptation des bâtiments et des agents au réchauffement climatique…), en les assortissant systématiquement des engagements pluriannuels sur les moyens pour les atteindre". "Ces engagements pourraient prendre la forme d’une loi de programmation pluriannuelle de la transition écologique (à l’instar de la défense, la justice et la recherche)", propose la Cour.
Elle recommande également d'"intégrer la dimension verte des crédits dans leur gestion infra-annuelle (gels et annulations, redéploiements et reports de crédits de paiement, construction des projets de lois de finances rectificatives…)" et à "mieux suivre l’exécution des crédits à impact environnemental". Ainsi en 2021, "les dépenses vertes exécutées de la mission Environnement, développement et mobilité durables, qui porte environ la moitié de l’ensemble des dépenses favorables et défavorables du budget de l’État, sont nettement inférieures à celles initialement votées, alors qu’à l’inverse, les dépenses brunes sont en légère augmentation". En 2022, cet écart entre prévision et exécution "s’est accentué", en raison d'"ouvertures massives de crédits en cours de gestion pour financer des dispositifs de soutien aux énergies carbonées". "Des mesures défavorables à l’environnement ont été prises, en particulier la remise sur les carburants, qui font évoluer fortement la cotation prévisionnelle, la part des dépenses défavorables à l’environnement passant de 17% à 39%."
La Cour appelle aussi à "développer divers instruments d’évaluation des dépenses publiques nécessaires à la transition écologique", en promouvant notamment la connaissance de la performance environnementale des opérateurs de l’État comme des collectivités territoriales. Alors qu'elles sont concernées par la transition écologique à de nombreux titres (décarbonation des transports, "zéro artificialisation nette", rénovation énergétique des bâtiments, éclairage public, alimentation dans les cantines et gestion de l’eau, des espaces verts et des déchets) et jouent un rôle de premier plan dans l’atteinte des objectifs bas carbone de la France à 2050 compte tenu de la part des investissements dans leurs budgets, certaines collectivités voient dans leur propre démarche de "budgétisation verte", un moyen d’orienter leurs choix budgétaires en fonction des objectifs environnementaux, relève la Cour qui rappelle qu'"un chantier en ce sens vient de s’engager en concertation avec les associations d’élus, avec une phase d’expérimentation volontaire en 2024". "Elle sera pilotée par la direction générale des collectivités locales avec l’appui de la direction du budget et du commissariat général au développement durable, en vue d’un déploiement à l’horizon 2025, ajoute la note. Elle passerait alors par la généralisation du compte financier unique."
L’institution appelle en outre à "mieux connaître les effets et le rapport coût/bénéfice de la dépense". "La transition écologique implique de disposer des données permettant de fixer des objectifs environnementaux partagés par tous les acteurs, d’en contrôler la réalisation et de s’assurer que les moyens mobilisés sont proportionnés aux bénéfices attendus", souligne-t-elle. Or, plusieurs politiques environnementales qu'elle a examinées "montrent que ces principes sont peu respectés". "Les lois et plans environnementaux, dont la fréquence de présentation s’est accélérée avec la prise de conscience des enjeux climatiques, fixent bien des objectifs chiffrés de réduction des polluants, de décarbonation et de préparation au réchauffement. Mais peu de ressources sont mobilisées pour les fonder sur des données fiables, pour vérifier qu’ils sont pertinents et pour contrôler selon un rythme annuel qu’ils sont bien mis en œuvre", illustre-t-elle. Elle cite aussi les politiques de l’eau, des déchets, de la rénovation énergétique des bâtiments ou encore la politique agricole commune (PAC).