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Coronavirus et faim dans les outre-mer : comment ne pas perdre sur tous les fronts ?

Pour empêcher au maximum la propagation du virus dans des territoires sous-dotés en infrastructures et personnels de santé, des mesures de confinement strictes ont été mises en place en Outre-mer. Avec des effets collatéraux graves, particulièrement à Mayotte et en Guyane où une part importante de la population n'a plus la possibilité d'assurer sa subsistance. Auditionnée par les députés de la mission d'information sur le Covid-19, Annick Girardin, ministre des Outre-mer, a assuré qu'une aide alimentaire massive allait désormais se déployer.

Si certains territoires d'outre-mer n'ont pas les infrastructures sanitaires qui leur permettraient de faire face à une propagation massive du nouveau Coronavirus, dans quelles conditions peuvent-ils résister aux strictes mesures de confinement actuellement en vigueur pour contenir l'épidémie ? Des précisions sur le dispositif sanitaire, social ou encore économique mis en place dans ces territoires ont été apportées lors de l'audition le 14 avril 2020 d'Annick Girardin, ministre des Outre-mer, par la mission d'information sur l'épidémie de Covid-19 de l'Assemblée nationale. Quelques jours après la publication d'un avis sur l'outre-mer du Conseil scientifique Covid-19, la séance a été l'occasion pour les députés de relayer les nombreuses inquiétudes des personnels soignants, élus locaux et associations.

A commencer par la préoccupation relative à l'accès à l'eau et à l'alimentation. Alors que 30% des habitations de Mayotte n'auraient pas l'eau courante, "les acteurs locaux estiment que 150 points d'eau devraient être modifiés pour avoir un accès à l'eau", a alerté Mathilde Panot (LFI, Val-de-Marne). "L'eau se revend à des prix exorbitants dans les bornes publiques", a embrayé Bertrand Pancher (Libertés et territoires, Meuse). "La situation à Mayotte est dramatique, il y a des gens qui crèvent de faim", a-t-il poursuivi. Concernant la Guyane, le député Boris Vallaud (Socialistes, Landes) a relayé l'appel de treize associations, dont Médecins du monde et La Cimade, à une coordination de l'aide alimentaire de la part de l'Etat et des collectivités à la hauteur de la situation.

"Oui, il y a des problématiques de faim aujourd'hui"

"Oui il y a à Mayotte, en Guyane et dans d'autres territoires d'outre-mer des problématiques de faim aujourd'hui", a reconnu Annick Girardin. "Et oui, comme dans d'autres régions ou quartiers de l'hexagone, on a un problème avec le travail informel qui aujourd'hui ne fonctionne plus, parce que [du fait du] confinement, il n'y a plus d'argent qui circule comme ça pouvait circuler avant." Pour y faire face, trois dispositifs d'aide alimentaire sont à présent en cours de déploiement.

Pilotée par le ministre du Logement, Julien Denormandie, l'aide aux personnes sans domicile fixe pourrait atteindre 6.000 bénéficiaires ultramarins ; un total de 630.000 euros sous la forme de chèques services sera attribué directement aux personnes ou à des associations distribuant des colis. Il a en outre été décidé de rediriger des aides des CAF – telles que la prestation d'accueil et de restauration scolaire, normalement donnée aux établissements, mais la ministre évoque également l'allocation de rentrée scolaire – pour distribuer des paniers-repas à Mayotte ou verser des prestations monétaires dans d'autres territoires. Au total, 19 millions d'euros pourraient bénéficier à "289.000 enfants ultramarins jugés aujourd'hui défavorisés", pour les deux mois de confinement. Enfin, des bons alimentaires financés par l'Etat seront distribués à Mayotte et à la Guyane par la Croix Rouge pour des montants respectivement de 1,3 million et 1,2 million d'euros.

Un cumul de difficultés préexistantes à la crise

Quant à l'eau, les préfets avec les collectivités auraient installé en urgence 14 rampes d'eau en Guyane comme à Mayotte, et d'autres points d'approvisionnement devraient être rendus accessibles aux abords des quartiers pauvres.

"Cette crise sanitaire, cette crise économique, c'est aussi une crise de l'ordre public que nous pouvons craindre dans certains territoires", a déclaré la ministre des outre-mer, mentionnant "beaucoup d'agressions" à Mayotte en direction des forces de l'ordre et des "tensions" également en Guyane. Structurellement en difficulté dans tous les domaines, ces deux départements ont successivement vécu de graves crises économiques et sociales en 2017 et 2018 et font l'objet de plans de rattrapage qui sont loin d'avoir produit tous leurs fruits. A la pauvreté des populations et à l'état des infrastructures s'ajoutent les problématiques migratoires à Mayotte et en Guyane - la frontière-fleuve avec le Brésil suscitant notamment de fortes inquiétudes sur la propagation du virus -, l'épidémie de dengue à La Réunion et à Mayotte, l'ampleur des violences intrafamiliales à La Réunion, l'impact depuis plusieurs années des sargasses aux Antilles ou encore les conséquences toujours présentes de l'ouragan Irma à Saint-Martin.

Dans les quartiers d'habitat insalubre, l'enjeu est de permettre le meilleur respect possible des règles de confinement et des gestes-barrières, à l'appui de véhicules et hauts-parleurs. "On a un travail d'identification des cas Covid-19 pour limiter au maximum qu'il gagne des quartiers informels", a ajouté Annick Girardin. Alors que le conseil scientifique a pointé un "risque important d’explosion épidémique et de paralysie du système de santé" à Mayotte, le député Mansour Kamardine (LR, Mayotte), lui-même atteint du Covid-19, a demandé par l'intermédiaire d'Eric Ciotti (LR, Alpes-Maritimes) "la mise en place d'une nouvelle stratégie visant à aller au-devant des malades directement sur le terrain", à l'appui d'équipes mobiles issues du centre hospitalier. 20 réservistes sont arrivés à Mayotte le 13 avril, selon la ministre qui assure que les capacités de réanimation actuelles sont à ce stade suffisantes.

Quid de la poursuite du confinement après le 11 mai en Outre-mer  

Dans les départements et territoires d'outre-mer, "nous n'avons nulle part dépassé le seuil de 50% d'occupation de nos lits de réanimation", avance-t-elle. Du fait des mesures de confinement précocement mises en place et renforcées un peu partout par des couvre-feux, "le développement de l'épidémie reste très léger", avec au total, à la date du 14 avril, 1.101 cas avérés et 21 décès. Et, pour Annick Girardin, afin que cela "continue de cette manière là, il faut continuer le confinement".

La réouverture progressive des écoles dès le 11 mai est pourtant bien une option sérieuse dans les outre-mer, ce qui ne manque pas de susciter "beaucoup d'interrogations" parmi les députés. Président de la délégation des outre-mer, Olivier Serva (LREM, Guadeloupe) a demandé des précisions sur les mesures de protection envisagées pour "éviter l'arrivée d'une seconde vague". Ne pouvant se prononcer sur des modalités actuellement travaillées au ministère de l'Education nationale et de la Jeunesse, Annick Girardin a toutefois considéré que cette reprise de l'école serait "une bonne chose" en Outre-mer, "une fois que les conditions de sécurité et de protection seront mises en place".

Alors que le dispositif devrait s'adapter à l'évolution de chaque situation locale, la ministre a affirmé que le gouvernement traduirait en actes l'ensemble des recommandations du conseil scientifique. Dont la poursuite d'un "confinement strict dans les territoires d’outre-mer, jusqu’au décours de la vague épidémique, en intensifiant les mesures en faveur des populations précaires", le doublement des capacités d'accueil en réanimation, la généralisation du test pour toute personne suspecte. Assurant aux députés que les moyens matériels – masques, tests, capacités de réanimation – continueraient à augmenter à la hauteur des besoins, Annick Girardin a dit ne pas savoir à ce jour "quel sera le premier des territoires à toucher un seuil qui sera critique". En outre-mer, peut-être encore plus que dans l'hexagone, le caractère inédit de la crise sanitaire et la pénurie de ressources imposent de naviguer à vue.

 

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