Coronavirus : des mesures "réexaminées" en cas de passage au stade 3
Nouveau Conseil de défense à l'Élysée, réquisitions de masques de protection… la mobilisation s'amplifie en France pour tenter de freiner la diffusion du nouveau coronavirus, qui menace de s'ancrer dans la durée. Avec quatre décès, plus de 200 cas confirmés et 12 régions concernées, le pays se prépare à une intensification de l'épidémie.
Les autorités se sont voulues rassurantes ce mercredi 4 mars face à la progression de l'infection en France, même en cas de passage à un stade épidémique qui semble probable. À la mi-journée, 257 cas confirmés avaient été recensés sur le territoire, répartis majoritairement autour de quelques foyers, dont le principal dans l'Oise. Le pays reste pour l'heure au stade 2, celui au cours duquel les autorités mettent "tout en oeuvre pour freiner la diffusion du virus", a affirmé le ministre de la Santé, Olivier Véran, à l'issue d'un Conseil spécial de défense réuni par Emmanuel Macron. Mais selon la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, il semble "peu probable malheureusement" que la France échappe au stade 3 (le dernier), celui de l'épidémie, où il s'agit surtout d'atténuer les effets de la propagation du virus, sans pour autant arrêter les mesures pour éviter sa progression. "Nous nous préparons activement au fait d'avoir une épidémie", a expliqué la porte-parole. Pour l'heure, les restrictions collectives décidées le week-end dernier n'ont pas changé : les rassemblements restent "strictement limités au sein des territoires où le virus circule activement", ceux de plus de 5.000 personnes sont toujours interdits.
Ces mesures seront "réexaminées" en cas de passage au stade 3. À un tel stade, "on a l'impression que le pays va s'arrêter, que les enfants n'iront plus à l'école, qu'on n'ira plus travailler... ce n'est pas ce qui va se passer", a-t-elle assuré : "Les transports en commun continueront à circuler jusqu'à nouvel ordre... la vie du pays ne s'arrêtera pas à cause du coronavirus."
Le ministre de la Santé a rappelé que le Covid-19 était bénin dans 80% des cas, et qu'il pouvait mener au décès "dans 1 à 2% des cas", sur des personnes fragiles et âgées.
Inquiets face à cette maladie peu virulente mais très contagieuse, les Français se précipitent sur les masques et les gels hydroalcooliques dont les prix de vente se sont envolés. Les prix des gels seront désormais encadrés par décret, a annoncé le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire. Un autre décret a été publié mercredi au Journal officiel pour réquisitionner les stocks de masques jusqu'au 31 mai. Sont concernés les masques de protection de type FFP2 détenus par "toute personne morale de droit public ou de droit privé" et les masques anti-projections en possession des entreprises qui les fabriquent ou les distribuent. "Il n'y a pas de risque de pénurie", a assuré Sibeth Ndiaye, rappelant que les masques ne sont désormais distribués que sur prescription médicale ou aux professionnels de santé.
Une "bonne centaine" d'écoles, collèges et lycées restent fermés, essentiellement dans l'Oise (35.000 élèves touchés) et le Morbihan (9.000). Autre groupement de cas : dans le Haut-Rhin, dix personnes sont infectées et ont été hospitalisées, à la suite d'un rassemblement évangélique à Mulhouse il y a deux semaines.
• Hôpital ou domicile ?
Sur les 257 cas confirmés à ce jour, "80% des cas sont bénins, il n'y a pas beaucoup de sens, si dans les prochains jours il y a beaucoup de cas, à ce que les cas soient systématiquement hospitalisés alors qu'ils ont des symptômes très mineurs", a indiqué mardi le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon. "Ils pourraient parfaitement bénéficier d'un maintien à domicile." Dans cette optique, il va falloir organiser le travail "entre l'hôpital et la médecine de ville" pour identifier les patients qui "vont assez bien" pour rester chez eux et ceux qui doivent "bénéficier d'une hospitalisation" (personnes fragiles, âgées ou à risques particuliers), a-t-il ajouté, précisant que cette organisation serait "déclinée selon les spécificités des territoires".
• Pas de report des municipales
"Il n'est absolument pas à l'ordre du jour de repousser les élections municipales" en raison de la crise du coronavirus, a affirmé mercredi la porte-parole du gouvernement. Elle a indiqué que le ministre chargé des collectivités territoriales, Sébastien Lecornu, ainsi que sa ministre de tutelle Jacqueline Gourault, allaient "rencontrer dans les tout prochains jours" les associations d'élus locaux, dont celle des maires de France (AMF), pour "échanger sur ce sujet". Le jour des élections, des "précautions assez simples" et "de bon sens" pourraient être prises dans les bureaux de vote, pour éviter que les électeurs ne soient "collés les uns aux autres dans une file d'attente", et en utilisant les techniques de lavage de mains au gel hydro-alcoolique, a-t-elle ajouté. Pour l'heure, la campagne est surtout perturbée par les consignes recommandant de limiter les contacts physiques, comme serrer les mains. Lors des questions au gouvernement, le sénateur LR de l'Oise Jérôme Bascher a interpellé l'exécutif de manière virulente, notamment quant à la protection de "ceux qui tiendront les bureaux municipaux" les jours de scrutin. Le secrétaire d'État auprès du ministre de l'Intérieur, Laurent Nuñez, a souligné qu'il "faudrait une loi" pour modifier la date. Mais, a-t-il ajouté, "en l'état de la connaissance que nous avons du virus, il n'y a pas de risque à se rendre dans un bureau de vote où les personnes votent de manière très espacée".
• Pas de "droit de retrait"
"La situation sanitaire aujourd'hui ne justifie pas l'exercice du droit de retrait" par des salariés, a déclaré Sibeth Ndiaye, interrogée sur les employés qui voudraient se prévaloir de ce droit. "Le droit de retrait a un cadre juridique et une jurisprudence relativement claire. Ce n'est pas une appréciation subjective. Il faut qu'il y ait un danger grave imminent qui puisse mettre en cause de manière directe votre vie ou votre santé", a-t-elle poursuivi lors d'un point de presse à l'issue du conseil des ministres. Outre le cas du Louvre, fermé depuis dimanche en raison du droit de retrait invoqué par son personnel, des chauffeurs de bus de réseaux franciliens ont eux aussi exercé leur droit de retrait, notamment dans l'Essonne, tandis que le syndicat Unsa a averti que les salariés de la RATP pourraient exercer ce droit si l'opérateur ne prenait pas de mesures de protection supplémentaires, comme des gants et des masques pour les conducteurs.
• Arrêts de travail pour parents d'élèves d'écoles fermées
Les employeurs peuvent demander depuis ce 4 mars un arrêt de travail en ligne pour les salariés obligés de garder leurs enfants en raison des fermetures de crèches et d'écoles décidées dans certaines communes, ont annoncé le ministère de la Santé et l'Assurance maladie. Les parents d'"enfants de moins de 16 ans accueillis ou scolarisés dans les établissements fermés", sans "solution de garde" et dans l'incapacité de télétravailler, peuvent "être placés en arrêt de travail indemnisé". Seul un des deux parents peut prétendre au versement d'indemnités journalières par l'Assurance maladie. "Afin de faciliter les démarches des familles et d'alléger la charge de travail" des acteurs du système de santé, "un service en ligne dédié a été créé par l'Assurance maladie, à destinations des employeurs de tous les régimes de sécurité sociale" (régime général, régime agricole, régimes spéciaux et travailleurs indépendants) : https://declare.ameli.fr
En revanche, "aucun arrêt de travail ne sera délivré aux personnes non malades restant à domicile", ni dans les cabinets de ville, ni aux urgences hospitalières, insiste le communiqué. "Les employeurs qui décideraient, à leur propre initiative, de demander à certains salariés de rester à leur domicile devront, conformément au code du travail, leur assurer un maintien de salaire sur la période."
• Les autocaristes craignent des "défaillances brutales"
La Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV), qui regroupe les autocaristes, craint "des défaillances brutales" d'entreprises "dans les jours qui viennent", et réclame la mise en place d'un fonds de garantie pour prévenir les faillites. "Toutes les entreprises sont touchées, l'activité des transporteurs est à l'arrêt et de nombreuses entreprises anticipent des difficultés économiques et de trésorerie", explique la FNTV, évoquant des pertes de chiffre d'affaires pouvant aller de 50 à 80% pour certaines PME. "Les annulations de contrats de transport font suite pour la grande majorité d'entre elles aux instructions données par le ministère de l'Éducation nationale d'annuler tous les voyages scolaires à l'étranger et vers les 'clusters' identifiés sur le territoire national", détaille le communiqué. Les transporteurs reprochent aux services académiques d'annuler des déplacements "quand bien même ils ne seraient pas vers une zone à risque".
Écoles : pas de savon aux toilettes…
Pénurie de savon, robinets cassés, manque de propreté... le ministre de l'Éducation a reconnu mardi que les sanitaires n'étaient pas "au niveau" en milieu scolaire, compliquant le respect des consignes d'hygiène face au coronavirus. "ll faut qu'on prenne ce sujet à bras le corps", a lancé Jean-Michel Blanquer sur LCI. Il a assuré travailler avec les rectorats et l'Association des maires de France (AMF) afin qu'il y ait "une vigilance particulière, notamment sur le savon" : "On sait que se laver les mains avec du savon est la première des barrières contre l'épidémie", a-t-il rappelé. Mais dans de nombreux endroits, "les sanitaires ne sont pas au niveau", a admis le ministre.
Vétustes, endommagés, sales... plusieurs enquêtes ont déjà pointé les problèmes d'hygiène ou de sécurité dans les toilettes des écoles. En 2017, le Conseil national d'évaluation du système scolaire (Cnesco) soulignait notamment que dans 72% des collèges les chefs d'établissement avaient été interpellés sur les dégradations dans ces locaux, et 62% sur l'approvisionnement en produits hygiéniques (papier, savon...).
Dans un lycée des Hauts-de-Seine, une mère d'élève a écrit mardi à la directrice de l'établissement : "Pouvez-vous me dire comment demander à nos enfants de se laver les mains à l'école quand il n'y a ni savon ni solution hydro-alcoolique?" Sans avancer de date précise, la chef d'établissement lui a répondu que "des savons avec porte-savons" seraient "installés d'ici peu".
Certaines villes, comme Marseille, sont plus particulièrement touchées par les pénuries, a souligné le ministre de l'Éducation. "La ville fait des dotations en début d'année pour équiper les écoles mais c'est souvent insuffisant", raconte Séverine Gil, présidente du Mouvement des parents d'élèves des Bouches-du-Rhône. Au final, "ce sont les parents qui fournissent le savon ou le papier-toilette" dans les établissements du primaire. Et pas de changements à noter, selon elle, depuis le début de l'épidémie de coronavirus. "Toutes les consignes données se heurtent à une réalité qui ne permet pas de les respecter", s'agace un professeur de philo dans un lycée près de Marseille.
Un constat partagé par Sophie Vénétitay, du Snes-FSU, premier syndicat du secondaire : "Les gestes élémentaires d'hygiène sont davantage rappelés ces derniers jours dans les établissements mais on a du mal à se dire que cela peut concrètement s'appliquer."
"Avec les collectivités locales, on va faire des propositions volontaristes", a promis le ministre.