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Contribution française au budget européen : l'addition explose

Alors que le cadre financier pluriannuel 2021-2027 est encore en cours d'adoption, les parlementaires français sont en train de voter, dans le cadre de la loi de finances, le prélèvement destiné à l'Union européenne. Une contribution arrêtée pour l'heure à près de 26,9 milliards d'euros, en hausse de 25% sur un an.

"Le montant du prélèvement effectué sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne est évalué pour l’exercice 2021 à 26.864.000.000 euros." L'article 31 du projet de loi de finances pour 2021 brille à la fois par sa concision et son intelligibilité. Mais la somme - près de 26,9 milliards d'euros - est telle qu'on en prend difficilement la mesure. Un autre chiffre aidera : 5%, soit la part du budget de l'État qu'elle représente.

Un dernier ne manquera pas d'interpeller : 25%, soit l'augmentation de ce prélèvement sur recettes au profit de l'UE (PSR-UE) par rapport à 2020 – près de 5,4 milliards supérieurs à la contribution proposée par la loi de finances initiale pour 2020. Ce PSR-UE constitue l'essentiel de la contribution française au budget européen. Il se décomposerait ainsi, selon Xavier Paluszkiewicz (LREM), rapporteur spécial à l'Assemblée du projet de loi de finances pour 2021 : la ressource d'équilibre fondée sur le "revenu national brut" (RNB, 78%), les recouvrements de TVA (13%), les ressources propres "traditionnelles" (6%) et la contribution au titre des emballages plastiques non recyclés (4%).

Des rabais qui ne passent pas

Quatre facteurs principaux expliquent cette progression exponentielle : le Brexit (pour 2,1 milliards), l'augmentation du niveau de crédits de paiement entre le budget de l'UE pour 2020 et le projet 2021 (1,6 milliard), le Covid-19 (0,7 milliard) et le changement des règles de calcul des contributions nationales acté par l'accord du 21 juillet dernier, pour tenir compte notamment des "rabais non seulement maintenus mais renforcés", comme le souligne le député Pascal Brindeau (UDI) dans son avis présenté au nom de la commission des Affaires étrangères.

La France entendait pourtant les faire disparaitre, comme l'a rappelé Jean-Luc Mélenchon : "Le président de la République lui-même a annoncé en février 2020 qu’il voulait mettre fin au rabais, qu’il qualifiait d’'archaïque, injuste et illisible'". Sans succès : "Le rabais, c’est seulement le signal de la faiblesse politique et géopolitique de la France dans les discussions qu’elle mène avec ses partenaires", explique le député LFI.

Pour le CFP 2021-2027, bénéficieront de réductions annuelles de leur contribution l'Allemagne (3,671 milliards d'euros, "soit près de 20% de sa contribution", souligne Nicolas Dupont-Aignan, NI), les Pays-Bas (1,921 milliard, près de 50% de leur contribution, soit une augmentation de 176%, indique Jean-Luc Mélenchon), la Suède (1,069 milliard, +177%), l'Autriche (565 millions, +49%) et le Danemark (377 millions, +190%). Soit un coût total annuel de 7,6 milliards d'euros, dont la France sera le premier financeur. "Ces rabais vont tout de même coûter aux Français près de 700 millions d’euros par an. Si l’on voulait illustrer les choses, on pourrait dire que, chaque jour, la France donnera 1 million d’euros à l’Allemagne", souligne Jean-Paul Lecoq (PCF), qui relève que ces États ont en outre obtenu l'augmentation des frais ponctionnés par les États membres sur la perception des ressources propres de l'UE de 20 à 25%, alors qu'il était prévu de les diminuer à 10% : "un "manque à gagner" qui, avec les rabais, "va coûter plus d'un milliard supplémentaire par an à la France". "Pendant combien d’années encore la France va-t-elle financer les rabais des pays européens où le revenu par habitant est supérieur au nôtre ?", s'interroge Gilles Carrez (LR).

Un montant encore susceptible d'évoluer

Plus encore, cette somme de 26,9 milliards peut encore grossir, "puisque la ressource RNB, qui constitue la plus grande partie du PSR, est une ressource d’équilibre", souligne Sabine Thillaye, présidente de la commission des affaires européennes à l'Assemblée. Et de préciser : "Cette prévision sera certainement, comme chaque année, soumise à une révision significative en fonction des dépenses effectivement réalisées et du rendement des recettes des droits de douane et de TVA." Des recettes qui représentent environ 30% des ressources de l'UE et qui "se sont affaissées" compte tenu de la crise, comme l'a indiqué le secrétaire d'État Clément Beaune. Une révision d'autant plus probable, souligne Sabine Thillaye, que "le budget de l’Union pour 2021, le premier du cadre financier pluriannuel, a dû être élaboré avant l’adoption de ce dernier".

Une hausse pérenne

Exponentielle, cette hausse n'est en revanche pas accidentelle, mais pérenne. L'accord conclu sur le CFP 2021-2027 "se traduira par une augmentation tendancielle de la contribution française pour les années à venir", annonce Xavier Paluszkiewicz. Sur l'ensemble de la période, le prélèvement sur recettes du budget français est ainsi estimé à 28 milliards d'euros annuels en moyenne, auxquels "il faut ajouter 1,7 milliard d'euros par an de droits de douane collectés aux frontières françaises et reversés à l'UE", décrypte Pascal Brindeau, député de Loir-et-Cher, qui conclut : au total, l'augmentation "correspond à un ressaut moyen de 8 milliards d'euros par an par rapport au cadre précédent".

Le juste retour, notion contestée à la vie dure

En 2019, le solde net (différence entre ce que verse et perçoit la France, désormais 2e contributeur net) serait compris entre -7,7 et -6,7 milliards d'euros. "Ce solde va inévitablement se dégrader sur la période 2021-2027", prévient le député de Loir-et-Cher, dans son avis. "Elle est, pour le moment, évaluée à 10 milliards d'euros", a-t-il ajouté lors des débats. Il estime néanmoins que "la notion de solde net semble plus que jamais limitée", dénonçant ce "concept comptable qui ne permet pas de retracer la totalité des coûts et bénéfices de l'Union européenne". "Si nous n’étions pas dans l’Union, nous n’aurions certes pas à verser plus de 26 milliards d’euros. Mais nous ne ferions pas partie de la zone euro, laquelle […] est notre seule et unique garantie lorsqu’il s’agit de financer notre dette à faible coût", ajoute en renfort Valérie Rabault (Soc.). "Étant donné l’insuffisance de nos finances publiques, même avant la crise sanitaire, si nous n’avions pas la garantie de la Banque centrale européenne pour refinancer notre dette, nos créanciers appliqueraient à coup sûr un taux voisin de 1%, au bas mot. […] Concrètement, cela veut dire qu’au lieu de 42 milliards d’euros d’intérêts annuels, nous en paierions entre 60 milliards et 70 milliards, soit 20 milliards à 30 milliards d’euros de plus qu’il nous faudrait débourser pour financer notre dette publique."

NGEU : la France dindon de la farce ?

Pour le secrétaire d'État Clément Beaune, les nouvelles ressources propres – prévues par le nouvel accord interinstitutionnel du 10 novembre dernier pour financer l'instrument de relance Next Generation EU (NGEU) – "permettront progressivement de mettre fin au sempiternel débat sur la juste contribution de chacun au budget européen et le juste retour, qui empoisonne la solidarité européenne".

Pour l'heure, loin d'apaiser le débat, NGEU et son financement ont au contraire ravivé la polémique. "Le président de la République a très mal négocié cet accord, tout le monde le sait", clame Nicolas Dupond-Aignan. Sans aller évidemment jusque-là, Laurent Saint-Martin, rapporteur général du budget à l'Assemblée (LREM), a concédé, lors d'une conférence donnée à la fondation Robert-Schuman le 6 novembre dernier, que la France a fait "d'importantes concessions" pour que NGEU voit le jour – dont l'augmentation du PSR-UE – et ce "sans avoir la certitude que les 40 milliards vont arriver". "Nous ne sommes pas certains de ce que nous recevrons car nous alimentons une usine à gaz. Ainsi, seuls 10 milliards d'euros sont inscrits dans le projet de loi de finances pour 2021. C'est une très mauvaise affaire financière", estime Nicolas Dupont-Aignan. Les embûches restent en effet nombreuses.

Si tout se passe bien, la France devrait néanmoins bénéficier d'environ 45,8 milliards d'euros courants, dont 40 milliards au titre de la "facilité pour la reprise et la résilience", principal élément de NGEU. Ce qui en ferait le troisième bénéficiaire de ce plan. "Ce n’est pas rien ! Divisé par trois, cela fait 15 milliards d’euros chaque année, soit plus que notre contribution nette à l’Union européenne", plaide le secrétaire d'État Clément Beaune, sans convaincre l'opposition. "À peine une année et demie de prélèvement européen", rétorque Gilles Carrez (LR). "Pour avoir 40 milliards, nous allons donc en donner 66", avance Jean-Luc Mélenchon.

Reste en outre l'inconnu de son financement. Le 10 novembre, Conseil et Parlement ont acté qu'il se ferait uniquement via de nouvelles ressources propres, encore hypothétiques à ce jour. "Ce seront, pour la France, 56 milliards d’euros qui seront à débourser si nous ne trouvons pas de solution au niveau des ressources propres", avertissait Laurent Saint-Martin le 19 octobre, qui ajoutait : "Lorsqu’il s’agira de rembourser les fonds empruntés par la Commission, en plus de rembourser le plan de relance européen et son propre plan de relance, le risque est qu’elle soit mise à contribution pour rembourser des rabais négociés par d’autres États." Un chiffre qui pourrait atteindre "environ 67 milliards d’euros" selon Marine Le Pen, et "70 milliards" pour Nicolas Dupont-Aignan. "La France est le dindon de la farce", se rejoignent Jean-Luc Mélenchon et Nicolas Dupont-Aignan.

Au regard des "lignes rouges" que la France n'entendait pas voir franchies, tracées par Amélie de Montchalin en juin, le bilan est à tout le moins mitigé. À l'actif, le financement de NGEU se fera bien par la dette, en intégrant le recours aux ressources propres, et l'accord a été signé en juillet. Au passif, l'enveloppe de subventions de NGEU est fixée à 390 milliards, alors que la France exigeait un plancher de 500 milliards ; le budget du Fonds européen de la défense a été fixé à 7,014 milliards, perdant 4,4 milliards dans les négociations alors que la France voulait au moins "un montant à deux chiffres" (i.e. 10 milliards) ; enfin, la France désirait une "augmentation en euros courants de 4% de la PAC par rapport au précédent CFP – 3% pour les paiements directs, 6% pour le Feader, et 5% pour la France". Or, selon l'Association générale des producteurs de blé (AGPB), "si l’on les compare au cadre financier actuel (2014-2020, hors versements au Royaume-Uni), ces 344 milliards [budget en euros de 2018] représentent une baisse en valeur réelle. Cette baisse est de -10% (ou -11% d’après le Parlement européen)". Pour la France, l'AGPB souligne que "les aides directes du premier pilier perdent 1 milliard sur 7 ans par rapport à 2014-2020, de 52 à 51 milliards d'euros courants. […] En sens inverse, le financement européen du développement rural gagne 1,4 milliard (sur 7 ans), de 10 à 11,4 milliards".

 

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