Continuum de sécurité, police municipale, stratégie de prévention… la parole aux élus

Devant près de 500 maires de France réunis à la Sorbonne, le gouvernement a annoncé, jeudi, une concertation avec les élus pour élargir les pouvoirs des polices municipales et créer une école nationale de formation des policiers municipaux. Des annonces diversement accueillies par les intéressés.

Est-ce l'effet de la création d'un collectif d'associations d'élus sur les questions de sécurité ? Toujours est-il que la réflexion sur le "continuum de sécurité" bloquée depuis des mois vient de connaître une accélération dans le contexte post-émeutes. Émeutes au cours desquelles les policiers municipaux ont souvent joué un rôle de premier plan. "Pour les maires qui le souhaitent, je vous propose de franchir une nouvelle étape dans le continuum de sécurité et de donner la possibilité aux polices municipales d’accomplir certains actes de police judiciaire", a déclaré la Première ministre, jeudi, devant 500 maires réunis dans l'université parisienne de la Sorbonne (voir notre article du 26 octobre). Précisant que "ces pouvoirs s’exerceront naturellement sous le contrôle des parquets". Une concertation va être lancée avec les maires et les associations d’élus "afin de bâtir un texte de loi". La Première ministre a par ailleurs indiqué vouloir s'inspirer des initiatives et des idées des élus pour nourrir la "nouvelle stratégie nationale de prévention de la délinquance qui sera présentée début 2024". Ce qui va dans le sens de ce que réclame ce collectif de huit associations dénommé "CIAESP" (voir notre article du 18 octobre).

Dans l'esprit du gouvernement, ces nouvelles prérogatives de police judiciaire pourraient concerner "la consultation de fichiers, des constatations, des saisies d’objets ayant permis à causer une infraction". "Il ne s’agit pas de donner le pouvoir d’enquête et de privation de liberté", est venu préciser Gérald Darmanin à la Sorbonne, à la suite du discours de la Première ministre.

Revirement

C'est un revirement par rapport aux prises de positions récentes du ministre de l'Intérieur qui s'était opposé à ce que le sujet resurgisse au moment des débats sur la Lopmi (loi d'orientation et de programmation de la sécurité intérieure du 24 janvier 2023), s'abritant derrière la position du Conseil constitutionnel. Ce dernier avait censuré l'article 1er de la loi Sécurité globale du 5 mars 2021 proposant d'expérimenter pendant cinq ans la possibilité pour les policiers municipaux de constater des délits tels que vente à la sauvette, conduite sans permis, défaut d’assurance, occupation illicite des halls d’immeuble, squat, trafic de stupéfiants, ivresse sur la voie publique, rodéos urbains, etc. Mais les Sages avaient estimé qu'en confiant des pouvoirs aussi étendus aux agents de police municipale et gardes champêtres, "sans les mettre à disposition d'officiers de police judiciaire ou de personnes présentant des garanties équivalentes", le législateur avait méconnu l'article 66 de la Constitution (qui place la police judiciaire sous la direction et le contrôle de l'autorité judiciaire). "Si vous voulez donner le pouvoir aux polices municipales, il faut changer la Constitution ou donner la police municipale au procureur de la République pour les actions judiciaire", avait ainsi déclaré le ministre devant la commission des lois de l'Assemblée, le 20 septembre 2022 (voir notre article du 21 septembre 2022). Mais le sujet est ressorti cet été, à la faveur du rapport des députés Lionel Royer-Perreaut (Renaissance, Bouches-du-Rhône) et Alexandre Vincendet (LR, Rhône) proposant de conférer aux chefs de service et aux directeurs de police municipale la qualité d’OPJ, sous le contrôle direct du procureur de la République, afin de pouvoir constater directement une série de délits, ceux qui étaient précisément visés par l'article 1 de la loi Sécurité globale (voir notre article du 21 juillet). Les deux députés reconnaissaient toutefois avancer sur "une ligne de crête" du point de vue du droit.

La concertation lancée par le gouvernement devra donc déterminer les conditions de mise en œuvre de ces nouvelles prérogatives : contrôle des parquets, formation, habilitation des policiers… "On en dira plus quand nous serons vraiment prêts", a indiqué le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, jeudi à la Sorbonne, selon AEF.

Création d'une école nationale

Lors d'un déplacement à Nice, en janvier 2022, le chef de l'État avait déjà déclaré "vouloir aller plus loin" que ce que fait la police de Christian Estrosi et avait interpellé l'Association des maires de France (AMF) pour savoir jusqu'où elle était prête à aller en matière de partenariat (voir notre article du 10 janvier 2022). L'association a indiqué, ce vendredi 27 octobre, qu'elle "prendra toute sa part à cette concertation et sera particulièrement attentive aux modalités de financement de ces actions". Elle "veillera également à ce que le rôle attendu des polices municipales ne se traduise pas par un désengagement des missions régaliennes de la police nationale et de la gendarmerie".

Le ministre de l'Intérieur s'est dit, jeudi, également "prêt" à travailler à la création "d’une école ou d’écoles de la police municipale au niveau national", sur le modèle de l'Ensosp pour les sapeurs-pompiers, ce qu'il a confirmé sur son compte X (ex-twitter). Cette idée figurait dans le rapport des anciens députés LREM Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue, sur le "continuum de sécurité", rendu public en 2018 (voir notre article du 11 septembre 2018). Mais pas dans leur proposition de loi, largement remaniée par le gouvernement (voir notre article du 21 octobre 2020) pour donner naissance à la loi Sécurité globale. La création de cette école viserait à répondre à l'énorme défi qui attend la police municipale avec le recrutement à venir de plus de 11.000 agents d'ici à 2026.

Cette annonce n'est pas du goût du CNFPT (centre national de la fonction publique territoriale), qui se sent délégitimé dans son rôle. "Le sujet n'est pas nouveau" et "il a jusqu’ici été systématiquement écarté" et "il ne figure d’ailleurs pas au rang des propositions du dernier rapport parlementaire porté par les députés Vincendet et Royer-Perreaut", fait remarquer ce 27 octobre son président, François Deluga, dans un communiqué. "Tout d’abord cette école existe déjà, elle s’appelle le CNFPT et forme chaque année 2.500 nouveaux policiers (…). Ensuite, les collectivités territoriales tiennent à ce que leurs polices municipales restent de leur ressort et qu’elles ne soient pas des moyens captés par le procureur (dans l’éventualité de nouveau pouvoir de police judiciaire) ou par le ministère de l’Intérieur dans le cadre d’une évolution du continuum de sécurité et d’une nouvelle tutelle dont la nouvelle pierre serait une école spécifique rattachée à ce dernier", argue le conseil.

Pour faire face à la vague de recrutements qui s'annonce, le CNFPT rappelle avoir créé quatre centres de formation spécifiquement dédiés, dont le premier a été inauguré le 3 octobre à Aix en Provence (voir notre article du 3 octobre), les autres étant situés à Montpellier, Meaux et Angers (voir notre article du 20 juillet.

L'association Villes de France salue pour sa part les annonces de jeudi mais dit attendre "des mesures plus opérationnelles qui pourraient être rapidement mises en oeuvre", "comme le partage d’information sur les individus dangereux ou l’interopérabilité des moyens de communications entre les forces de l’ordre". Mais "ce qui compte aujourd’hui", c'est "l’effectivité de l’exécution des peines ou des mesures d’accompagnement et la certitude qu’une réponse forte sera donnée par les pouvoirs publics", souligne-t-elle. Elle estime enfin nécessaire "de réinvestir, par une présence de proximité, les relations entre la police et la population". Un volet absent des annonces de jeudi.

 

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