Continuum de sécurité, le retour ?
Hier sur toutes les lèvres, le "continuum de sécurité" avait ces derniers temps déserté les éléments de langage, le ministre de l’Intérieur n’y semblant guère sensible. Les émeutes de juillet ont toutefois signé son retour, sans que l’on sache s’il prendra cette fois réellement corps. Une chose est sûre : sur le terrain, les polices municipales continuent d’avoir le vent en poupe et ne peuvent plus être ignorées.
Hier sur toutes les lèvres, le continuum de sécurité – qui avait connu son point d’orgue avec l’intervention "en première ligne" des polices municipales pendant le covid – se traçait ces derniers temps en pointillés. Adoptée en janvier dernier, la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (voir notre article du 25 janvier) n’en fait pas grand cas, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, se réfugiant derrière la jurisprudence du Conseil constitutionnel pour le justifier (voir notre article du 21 septembre 2022). De manière générale, et contrairement à son prédécesseur, le ministre n’a que peu d’appétence pour cette "troisième force de sécurité". S’il avait fini par lui concéder un strapontin lors du "Beauvau de la sécurité" (voir notre article du 20 janvier 2021), il n’a toujours pas rencontré les représentants de ses agents depuis son entrée en fonction. Il a de même boudé la récente reformation de la commission consultative des polices municipales (voir notre article du 17 mai). Laquelle, longtemps laissée en déshérence, n’avait pourtant pas été réunie depuis quatre ans. Une politique de la chaise vide qui a beaucoup de mal à passer auprès des agents (voir notre article du 7 février).
L’essor continu des polices municipales
Sur le terrain, les polices municipales ont en revanche plus que jamais le vent en poupe. Les villes qui n’en disposent pas se comptent désormais sur les doigts de la main, ou presque. Leurs compétences et leurs effectifs ne cessent de croître, comme l’a de nouveau observé la Cour des comptes (voir notre article du 19 juillet). Leurs équipements font de même – même si le Conseil constitutionnel limite leur expansion (voir notre article du 25 avril). Parfois grâce à l’aide des régions, dont l’intervention en ce domaine ne va pas sans susciter quelques réactions (voir nos articles du 23 janvier et du 9 mai). Leurs moyens n’ont souvent plus rien à envier à ceux de l’État, comme à Nice (voir notre article du 2 février 2021), au point même de susciter la convoitise des forces de sécurité. Quand les polices municipales n’attirent tout simplement pas ces dernières dans leurs filets (voir notre article du 24 avril). Leur développement est tel que le métier s’est hissé en 2020 au septième rang des métiers en tension, selon le panorama de l’emploi territorial. 11.000 agents devraient être recrutés d’ici 2026. Pour l’heure, la formation peine à suivre, même si le CNFPT redouble d’efforts (voir notre article du 20 juillet). À terme, l’on craint surtout le manque de candidats et la difficulté à fidéliser les agents. Pour y remédier, certains plaident pour élargir encore leurs prérogatives (voir notre article du 21 juillet). Côté agents, on attend surtout une revalorisation sonnante et trébuchante. Et si le constat d’un régime indemnitaire "arrivé au bout des marges de manœuvre qu’il pouvait offrir" (voir notre article du 27 mars) semble faire l’unanimité, la solution de substitution récemment préconisée par la ministre chargée des collectivités territoriales n’a pas convaincu (voir notre article du 30 mai). Ni sur le fond, ni sur la forme, la précipitation du ministère ayant brusqué tant les agents que leurs employeurs (voir notre article du 2 juin).
Nécessité d’une "véritable politique"
Les événements des dernières semaines pourraient toutefois à nouveau rebattre les cartes. Les émeutes urbaines ont en effet remis sur le devant de la scène les polices municipales. Comme l’a souligné Dominique Faure le 5 juillet devant la commission des lois du Sénat, elles "ont fait front" au moment où "des communes ont peu vu des policiers [nationaux]". Auditionné à son tour le même jour par la Chambre haute, Gérald Darmanin reconnaissait lui aussi que les polices municipales – qu’il avait appelées à l’aide en pleine crise – avaient "contribué" à la lutte contre les violences urbaines et "payé un lourd tribut à ces attaques inacceptables". "Sans les polices municipales, nous aurions eu plus de difficultés", convenait-il encore devant l’Assemblée nationale le 19 juillet dernier (voir notre article du 20 juillet). Reste que si Dominique Faure a tiré de ces émeutes la conclusion que "cette continuité de sécurité entre la police nationale, la gendarmerie et les policiers municipaux, elle est fondamentale", la position de son collègue de l’Intérieur n’a pas bougé d’un iota : "Si nous voulons de nouveau modifier ce continuum de sécurité, il nous faut deux choses : soit modifier la Constitution ou il faut que les maires acceptent de mettre à disposition du procureur de la République leur police municipale" (voir notre article précité). Et comme il le souligne lui-même, il est douteux que les maires y soient favorables. Et ce, même à titre temporaire et sous l’autorité du préfet, comme l’a récemment préconisé l’inspection générale de l’administration (voir notre article du 22 juin). Pour autant, comme le souligne la Cour des comptes, la montée en puissance des polices municipales est désormais telle que l’État ne peut plus l’ignorer. Et rend plus que jamais indispensable la définition "d’une véritable politique" à leur égard.