Continuité pédagogique : taux record de décrocheurs dans les lycées professionnels
Pour de nombreux élèves de la filière professionnelle (CAP, BEP, bac pro...), le confinement a des effets "catastrophiques", s'alarment profs et syndicats, selon lesquels la priorité n'est pas de maintenir une continuité pédagogique mais un "contact" avec eux.
Quand le ministre de l'Éducation, Jean-Michel Blanquer, a évoqué la semaine dernière un taux de décrocheurs compris entre 5 et 8% depuis le début de l'école à la maison, Vincent Magne a ri jaune. Dans son lycée de Troyes (Aube), ce professeur de lettres et d'histoire pense plutôt que le contact a été perdu avec la moitié des effectifs en filière professionnelle.
"Dans ma classe de première, sur 29 élèves j'ai réussi à obtenir une quinzaine de retours à mes mails", explique le secrétaire général adjoint de l'Association des professeurs d'histoire-géo (APHG). Mais dans d'autres matières, certains collègues n'en ont eu que "cinq ou six", ajoute-t-il. "On avait déjà du mal à avoir un suivi de nos élèves, là ça s'est aggravé."
Jeudi 9 avril, lors d'une audition devant des sénateurs, Jean-Michel Blanquer a reconnu que c'est dans les lycées professionnels que le taux de décrocheurs est aujourd'hui le plus élevé.
Les 700.000 jeunes de la voie professionnelle (en CAP, BEP, bac pro...) cumulent parfois difficultés scolaires et sociales. Pour eux, devoir suivre l'école à distance complique encore la donne. "Un certain nombre de mes élèves qui viennent de quartiers sensibles de Troyes ou de zones rurales n'ont qu'un téléphone portable pour travailler et la connexion est souvent mauvaise", explique Vincent Magne. "Beaucoup ne sont pas à l'aise avec les équipements informatiques", ajoute Sigrid Gérardin, secrétaire générale du syndicat Snuep-FSU. Selon elle, "on assiste en ce moment à un décrochage massif", particulièrement aigu chez les élèves de certificat d'aptitude professionnelle (CAP) qui se prépare en deux ans après la classe de troisième.
Une perte de "sûrement 60% en CAP
"On est en train de perdre beaucoup de jeunes : entre 30 et 40%, sûrement 60% en CAP", estime aussi Pascal Vivier, secrétaire général du Sneeta-FO, premier syndicat de la voie professionnelle. Selon lui, les retours des enseignants, qui essayent de maintenir le lien avec leurs élèves, sont "catastrophiques". "La priorité du moment ce n'est pas de poursuivre la continuité pédagogique, comme l'affirme le ministre de l'Éducation, mais bien d'essayer de garder le contact avec les jeunes" qui, trop souvent, a déjà été rompu, explique-t-il.
Pas de réponses aux mails, ni au téléphone... Nicolas Voisin, professeur de français et histoire-géo à Marseille se dit "moralement très affecté" par le décrochage auquel il assiste : "C'est un sentiment d'échec". "Ces jeunes ont un rapport au travail écrit très compliqué, la présence humaine est décisive dans leur apprentissage", insiste ce professeur.
Et si pour les matières générales ou certaines spécialités du tertiaire - comme la comptabilité ou le secrétariat - l'école à distance reste encore théoriquement possible, ce n'est pas le cas de nombreuses disciplines professionnelles.
"Pour les métiers de maintenance en production, de la conduite routière, du bâtiment ou de la plomberie par exemple, des cours en vidéo ne peuvent nullement remplacer l'apprentissage de gestes techniques", souligne Sigrid Gérardin.
Tous les stages en entreprise ont en outre été annulés ou reportés à une date non définie. Syndicats et professeurs s'attendent donc à des conséquences durables sur la scolarité des jeunes de la filière : "Le confinement aura des conséquences énormes sur l'année scolaire qui va suivre", prévient Sigrid Gérardin.
Pour y faire face, des syndicats ont déjà soumis au ministère des idées pour tenter de "rattraper" ce qui aura été perdu. "Un CAP en trois ans et non pas seulement en deux ans", propose Pascal Vivier, du Sneeta-FO. Et "créer des places à l'école pour les nombreux apprentis qui seront certainement licenciés suite à cette crise".