Congrès des maires – Pour les élus, la délinquance environnementale, c’est d’abord et surtout les dépôts sauvages

Le forum consacré à la délinquance environnementale tenu ce 19 novembre au congrès des maires confirme que les dépôts sauvages restent l’une des premières préoccupations de l’élu local. Si les difficultés persistent – complexité des normes, difficulté pour éviter le classement sans suite… —, des solutions se font peu à peu jour, notamment via la gendarmerie et son application Gend’élus. Dans tous les cas, une nécessité apparait : faire bloc.

Le constat est tout sauf anodin. Le forum du congrès des maires de France dédié à la délinquance environnementale, organisé ce 19 novembre, n’aura finalement traité que d’un seul sujet : les dépôts sauvages. En 2019, une enquête de l’Ademe (voir notre article du 4 janvier 2019) avait déjà relevé que 90% des quelque 2.652 collectivités interrogées déclaraient alors avoir été confrontées aux déchets sauvages. Depuis, le phénomène ne fait, semble-t-il, que s’amplifier — porté notamment par le développement des auto-entrepreneurs, estime Sylvain Guinaudie, président du Smicval, syndicat de gestion de déchets —, les dépôts sauvages confortant leur statut d’ennemi public n°1 de l’élu local (voir notre article du 14 janvier 2022). De l’ "enquête de redevabilité" conduite auprès des élus par la gendarmerie en 2022, il ressort ainsi que  "pour 62% des élus de la zone gendarmerie, le sujet de l’environnement, et notamment celui des dépôts sauvages, constitue leur premier sujet de préoccupation", note le général Sylvain Noyau, chef du commandement pour l’environnement et la santé de la gendarmerie nationale (Cesan).

Un droit de l’environnement "super super super compliqué"

Les débats de ce forum l’ont montré, il faut dire que les problèmes pointés de longue date restent souvent entiers. Parmi eux, "la difficulté d’établir des preuves et le manque de coordination entre les différents services", qui entrainent souvent un classement sans suite des plaintes déposées, déplore Charlotte Blandiot-Faride, maire de Mitry-Mory et vice-présidente de l’Association des maires de France (AMF). Une élue soutenue par la salle, où des maires dénoncent "les méandres de la justice", le fait que la présence de documents nominatifs dans les déchets ne soit pas toujours suffisant (jurisprudence de la Cour de cassation) ou encore le fait que le contrevenant ayant réparé l’infraction ne soit pas sanctionné. Également dénoncé, par le directeur général de l’Office français de la biodiversité, Olivier Thibault, cette fois, "un droit de l’environnement quand même super super super compliqué, avec des réglementations qui évoluent sans arrêt, pas très lisibles, et d’autant moins lisibles qu’on cherche plein d’adaptation partout".

Compétence de fait des communes, charge indue

Sans compter les problèmes de compétence, mis en lumière par Guy Geoffroy, maire de Combs-la-Ville et également vice-président de l’AMF : "Beaucoup, y compris quelquefois les représentants de l’État dans nos départements, considèrent que les dépôts sauvages sont de la responsabilité des maires, du fait que nous avons une compétence, désormais confiée aux intercommunalités, en matière de gestion des déchets ménagers et assimilés. Or, ces dépôts sauvages ne sont pas constitués par des déchets ménagers, mais par des déchets d’activités. Nous héritons d’une compétence de fait, tirée de notre compétence générale en matière de salubrité publique*. Une compétence que nous assumons, en dépit du coût que cela représente, en dépit de la charge induite pour nos personnels, et avec le sentiment très désagréable que si on ne se débarrasse pas de ces dépôts, la situation va s’aggraver, et que si l’on s’en débarrasse, cela donnera le sentiment à leurs auteurs qu’ils peuvent continuer". Si Vincent Coissard, sous-directeur au ministère de la Transition écologique, rappelle que les déchets sauvages peuvent aller "du mouchoir jeté au sol aux [décharges illégales] de réseaux criminels organisés faisant du commerce illégal de déchets, en passant par les encombrants de M. et Mme tout le monde ou les déchets de chantier d’entreprises peu scrupuleuses", c’est bien davantage ces derniers que le trognon de pomme (voir encadré) qui posent difficulté.

Priorité de l’État

Pour autant, l’État ne reste pas sans rien faire, plaide le général Noyau : "Depuis 2022, la lutte contre les atteintes à l’environnement est une politique prioritaire du gouvernement" (voir notre article du 4 octobre 2022). Il en veut pour preuve la création, il y a un an, par la gendarmerie du Cesan, en soulignant que ce dernier, "tourné vers les élus", a notamment pour finalité de leur fournir une "boite à outils" disponible via l’application Gend’élus. Parmi ces outils, des formations — le général confirmant que "traiter les contentieux environnementaux, c’est complexe, notamment les déchets, avec plus de 200 infractions [éparpillées] dans plusieurs codes" —, organisées notamment en partenariat avec les associations départementales des maires, mais aussi la mise à disposition d’un certain nombre de modèles (procès verbal de constatation, lettre de mise en demeure, prise d’amende administrative, arrêté de conciliation…) ou encore l’échange de bonnes pratiques. À compter de l’an prochain, l’application sera également enrichie d’un "diagnostic environnemental" actuellement en cours d’expérimentation, c'est-à-dire d'"une cartographie des zones susceptibles d’être confrontées à des atteintes à l’environnement". "Pas un simple constat", ajoute le gendarme, qui précise que l’objectif est bien ensuite "d’imaginer avec l’élu des mesures" pour prévenir lesdites atteintes.

Des améliorations législatives entérinées…ou souhaitées

Vincent Coissard, met également en avant certaines avancées issues notamment de la loi Agec : "Avant, les amendes dressées par les collectivités allaient dans les caisses de l’État. Désormais, une partie alimente le budget des collectivités", rappelle-t-il (art.94 de la loi). Une loi dont il souligne qu’elle a également permis d’utiliser la vidéoprotection pour lutter contre ces dépôts. Il déplore en revanche que "la loi ne permette pas d’utiliser les caméras intelligentes, très utiles quand on a 1.000 images à identifier". Et de plaider pour "faire évoluer notre dispositif législatif et réglementaire pour qu’il soit véritablement au service des élus".

Des "micro-solutions" aux protocoles avec la justice

D’autres solutions sont déjà à la main des élus. Outre les "micro-solutions" pour complexifier la tâche des délinquants, Guy Geoffroy évoque la prochaine signature, en Seine-et-Marne, d’un protocole de lutte contre les dépôts sauvages conclu entre l’association départementale des maires, le conseil départemental et les trois parquets du ressort afin de "remettre au goût du jour la transaction municipale". Et de souligner que le contrevenant qui aura refusé cette dernière, puis refusé l’alternative aux poursuites proposée par le Parquet, "se retrouvera devant le juge du siège avec un bagage un peu plus lourd".

Le judiciaire, pas la panacée

Olivier Thibault souligne également l’importance de "bien actionner deux leviers très différents" : la sanction administrative "quand on peut réparer une infraction, solution plus efficace, qui coûte souvent peu d’argent et constitue une bonne leçon", et le judiciaire quand l’irréparable a été commis – une distinction elle aussi promue par la loi Agec. David Nebor, maire de Petit-Bourg (Guadeloupe), confirme : après une phase de sensibilisation et la mise en place d’un dispositif gratifiant les citoyens valorisant leurs déchets, puis la mise en place de caméras de vidéoprotection et l’augmentation des effectifs de la police municipale, sa commune est passée à la phase sanction, avec des amendes d’un montant allant "de 500 euros à 14.000 euros". Non sans résultat.  

Redécouvrir le garde champêtre

De son côté, Maxime Beltzung, maire de Masevaux-Niederbruck (Haut-Rhin) et président des Brigades vertes d’Alsace, met en lumière la solution des gardes champêtres (voir notre article du 9 octobre 2023). "On a les mêmes prérogatives que les inspecteurs de l’environnement, avec pour tout ce qui est atteinte à la propriété et l’environnement des capacités d’enquête, de convocation, d’audition, de saisie, de perquisition", plaide pro domo Romain Janson, chef de brigade de l’environnement à la communauté d’agglomération de Saint-Quentin (Aisne), en mettant également en exergue une procédure test mise en place avec le parquet spécialisé de la cour d’appel d’Amiens permettant "d’avoir une réponse pénale assez rapide". Olivier Thibault souligne pour sa part les possibilités qu’offrent les  comités opérationnels de lutte contre la délinquance environnementale (Colden – voir notre article du 4 octobre 2023), qui "permettent de se mettre d’accord". Pour le général Noyau, une chose est sûre : "On doit tous travailler main dans la main". Ici comme ailleurs.

 

* Ndlr : L’article L.541-3 du code de l’environnement confère toutefois au maire ou au président d’un groupement de collectivités un pouvoir de police spéciale des déchets abandonnés.

 

Abandon de déchets dans les territoires ruraux : "Faites ce que je dis…" 

"Faites ce que je dis, pas ce que je fais". C’est le sentiment qui ressort à la lecture d’une enquête d’opinion conduite pour l’Institut Terram sur "les ruraux face aux déchets sauvages". L’étude relève en effet que si l’abandon de déchets est considéré comme "inacceptable" par 80% des ruraux interrogés (ici, les habitants d’une commune de moins de 2.000 habitants), dans la pratique, une part "non négligeable" d'entre eux avoue continuer de jeter ses déchets sur la voie publique (28% jettent un trognon de fruit "au moins de temps en temps", 18% des papiers d’emballage et seulement un fumeur sur deux n’y jette "jamais" ses mégots). 

Autre contradiction soulignée, cette propension à abandonner ses déchets est plus marquée chez les moins de 35 ans en dépit de leur sensibilité – supposée plus grande – aux enjeux écologiques. L’explication pourrait être partiellement trouvée dans un autre enseignement tiré de l’enquête par l’institut : "La problématique des déchets sauvages va au-delà des préoccupations environnementales et touche également à des valeurs plus larges telles que la discipline, la préservation de l’espace public et le respect des normes sociales", valeurs peut-être moins en vogue chez les plus jeunes que chez leurs aînés. Un enseignement que l’étude tire du fait que les personnes s’identifiant comme "très à droite" considèrent à 87% l’abandon de déchets comme inacceptable, alors que le taux n’est que de 78% chez ceux se positionnant "très à gauche". 

Trois autres explications, plus classiques, sont également avancées : le fait que la présence de déchets visibles facilite le phénomène (la classique théorie dite de la vitre brisée) ; le manque d’infrastructures pour jeter les "petits" déchets dans les communes des personnes interrogées et une signalétique ambiguë lorsque ces infrastructures existent.

L’étude relève que les déchets abandonnés qui choquent le plus les sondés sont d’abord – et loin devant – les bouteilles et cannettes (citées par 60% des répondants). Viennent ensuite les mégots (19%), les papiers et emballages (8%), les déchets alimentaires (7%) et les chewing-gums (6%). Les déchets de chantier et assimilés, à l'origine de grande préoccupation pour les élus, ne semblent en revanche pas avoir été évoqués par l’étude.

 

 

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