Congrès de Villes de France : "De nombreuses équations à résoudre"

Le congrès de Villes de France, l'association représentant les villes moyennes, s'est tenu ces 2 et 3 octobre à Sélestat. Les élus ont insisté sur l'ampleur des investissements qu'ils ont à réaliser, notamment en matière de transition écologique et énergétique. Et sur l'importance des services publics indispensables à la cohésion sociale qu'assurent ces villes sur leurs bassins de vie. La ministre Catherine Vautrin a reconnu leur "mission incontournable" et a convenu que l'équation financière n'est pas toujours simple. Les collectivités devront toutefois bien contribuer à l'effort budgétaire prévu dans le projet de loi de finances à venir.

Les élus réunis ces 2 et 3 octobre à Sélestat en Alsace pour le congrès de Villes de France, l'association représentant les villes de 10.000 à 100.000 habitants et leurs agglomérations, ont été nombreux à évoquer le "contexte particulier" du moment.

Un contexte politique national évidemment, avec une Assemblée sans majorité, ce qui n'est "pas exempt de risques" et reflète "une France plus fracturée que jamais", tel que l'a relevé en ouverture Jean-François Debat, maire de Bourg-en-Bresse, qui va assurer l'intérim de la présidence de l'association en binôme avec son homologue de Niort, Jérôme Baloge, suite à la nomination de Gil Avérous au gouvernement. Les villes moyennes et leurs territoires environnants auraient même été, lors des dernières élections, "les épicentres de ces fractures" avec un large poids des "votes extrêmes", estime-t-il.

Un contexte socio-économique, avec une succession de "crises" obligeant les acteurs locaux à "une adaptation permanente", et avec une inflation qui commence à peine à se calmer. Inflation subie par les citoyens… et par les collectivités elles-mêmes. Les exemples très concrets n'ont pas manqué pendant ces deux jours de tables rondes, tel celui de matériaux de construction dont le prix a été multiplié par quatre.

Un contexte écologique et énergétique générant "des besoins énormes" et donc des investissements nécessairement lourds, qu'il s'agisse de rénovation, d'énergies renouvelables ou d'adaptation au changement climatique. Là encore, les exemples ont afflué. "On a tous dû investir sur la sobriété énergétique – éclairage public à led, réseaux de chaleur…", a témoigné Thierry Repentin, maire de Chambéry et président de l'Anah. Mais il s'est aussi agi de montrer combien les élus de villes moyennes déploient des projets parfois très ambitieux. A l'instar d'Yves Nicolin, le maire de Roanne et président de l'agglomération, dont la SEM Roannaise des énergies renouvelables est devenue un important producteur du territoire avec ses éoliennes, son méthaniseur, ses champs photovoltaïques, son programme de géothermie… "Il n'y a pas de raison que la modernité soit l'apanage des grandes villes", clame Yves Nicolin.

La ville moyenne, "une image qui a changé"

La transition écologique et énergétique n'est naturellement pas la seule transition à devoir être assurée par ces villes qui se doivent à la fois d'être résilientes, solidaires, attractives et innovantes. Des villes qui aiment à s'appeler "villes d'équilibre" mais qui ont eu de quoi trébucher plus d'une fois. Nombre d'entre elles ont dans le passé connu la désindustrialisation, l'abandon des services publics, les fermetures de commerces, tel que l'a rappelé Olivier Sichel, le directeur général délégué de la Caisse des Dépôts et directeur de la Banque des Territoires. "Il y a six ans, la ville moyenne était un réceptacle des crises", dit-il.

"Aujourd'hui, la situation a changé", constate-t-il, évoquant une vacance en baisse, un regain de l'immobilier… et "une image qui a changé". Dans les villes concernées, le programme Action cœur de ville y est évidemment pour beaucoup. "Les villes moyennes, maillon essentiel entre territoires ruraux et métropoles, semblent aujourd'hui être en plein renouveau", avait de même jugé Franck Leroy, le président de la régions Grand Est, en ouverture du congrès.

Les enjeux aujourd'hui pour ces villes ? Olivier Sichel en a listé quelques-uns : le commerce, encore et toujours ; la réindustrialisation ; mais aussi "le vieillissement, la transition démographique" nécessitant entre autres des programmes de résidences services ; et la jeunesse, la population étudiante, qu'une ville moyenne a tout intérêt à retenir ou à faire venir ("des jeunes qui restent, ça change la vie de toute une ville").

Les élus présents à Sélestat ont pour leur part surtout mis l'accent sur quelques enjeux de base : la santé, le logement, la sécurité, l'école. Et, globalement, tous "les services publics" indispensables à la "cohésion sociale". Les villes moyennes et leurs services publics "contribuent à faire tenir le pays", a insisté Jean-François Debat, citant aussi la petite enfance, le social, les transports, la culture, le sport… Et ce, on le sait, bien au-delà du périmètre de la ville et même de l'agglo. La ville moyenne, c'est bien souvent "la ville que l'on fréquente même quand on habite en ruralité". Les services et équipements servent donc tout un bassin de vie. Et génèrent ces fameuses "charges de centralité" que les maires concernés jugent insuffisamment prises en compte. Si les ressources devaient de surcroît s'amoindrir, ces "services publics du quotidien" seraient nécessairement affaiblis.

"Des investissements indispensables"

Oui, le contexte du moment est naturellement aussi financier et budgétaire, avec des collectivités récemment accusées de creuser le déficit du pays, avec un projet de loi de finances sur le point d'être dévoilé et qui pour l'heure n'augure rien de très rassurant pour les élus, avec des taux toujours élevés… Et avec des financements pas toujours faciles à dénicher pour les collectivités, surtout lorsque les règles du jeu font du "stop and go", comme l'ont déploré plusieurs congressistes. Certaines villes ont même embauché des "chasseurs de subventions", d'autres des experts pour "aller chercher de l'ingénierie" susceptible d'ouvrir l'accès à des financements. En tout cas, le montage de dossiers nécessite une "montée en compétences" des agents, a-t-il été relevé. Et cela aussi coûte de l'argent.

Côté dépenses d'investissement, il faut aujourd'hui clairement "répondre à des besoins nouveaux" – notamment, donc, "des besoins énormes liés à la transition écologique" –, a par exemple dit Laurent Gimenez, directeur des marchés institutionnels de la Caisse d'Epargne Grand Est Europe. Rappelant pour sa part que la Banque des Territoires intervient sur "le long terme, là où les banques ne vont pas", avec des prêts pouvant aller jusqu'à 40 ans, Olivier Sichel a souligné que si la ressource liée au livret A est abondante, "le problème reste le coût des projets – des projets qu'il faut équilibrer". Ce qui, selon lui, "tire l'investissement" ? Principalement l'eau, les mobilités décarbonées et la rénovation des écoles. Autant de champs sur lesquels on dépasse le cycle classique de l'investissement lié au cycle électoral.

Pour Olivier Sichel, il s'agit bien d'"investissements indispensables". Ainsi, pour lui, parler de "dérive" des dépenses serait "un procès injuste fait aux collectivités". "La dette n'est pas le mal absolu", a-t-il également estimé, appelant à "cesser le système d'infantilisation des collectivités". Sur une dette publique de 3.200 milliards, celle des collectivités représenterait 200 milliards, soit moins de 7%. Et celles-ci "ont le droit au temps long", a-t-il ajouté, lançant même aux élus : "Vous avez le droit de financer ce que vous voulez, car vous prenez vos décisions en proximité et sous le contrôle de vos électeurs." 

De quoi conforter Villes de France qui, comme toutes les autres associations d'élus locaux (dont Régions de France la semaine dernière lors de son congrès), a très mal pris la mise en cause des collectivités par les précédents locataires de Bercy. Jean-François Debat l'a dit et répété : "Les chiffres qui ont été donnés en pâture à la presse" ne sont qu'une "accusation infondée à même de ternir les relations entre l'Etat et les maires". "Il faut que ce débat soit purgé", a-t-il déclaré à l'attention de Catherine Vautrin, la nouvelle ministre en charge des collectivités venue échanger avec les élus durant une bonne partie de ce congrès.

Les collectivités devront participer à l'"effort"

"Oui, je vais purger le débat", a d'emblée répondu Catherine Vautrin. Selon elle, tous ceux qui ont été élus locaux savent que "les collectivités ne peuvent pas avoir de budget déficitaire" et doivent avoir des budgets sincères, que leur épargne brute leur permet souvent d'investir sans recourir à l'emprunt… et que "99,9% des élus locaux sont de bons gestionnaires". Elle s'est par ailleurs référée au rapport de la Cour des comptes paru la veille (voir notre article) pour souligner que l'an dernier, 5,5 milliards de dépenses des collectivités étaient liées à des décisions de l'Etat, dont 3 milliards pour la seule revalorisation du point d'indice. Elle a en outre convenu que "la mission incontournable" des villes moyennes, celle de "la centralité" à l'échelle du bassin de vie, notamment s'agissant des équipements (culturels, sportifs…), "génère de la charge financière". Elle a, enfin, bien conscience que l'on arrive en fin de mandat municipal – qui plus est un mandat qui "a pris un an de retard" du fait de la pandémie – et que les élus ont donc "des crédits de paiement à honorer". Soit "de nombreuses équations à résoudre", a-t-elle convenu.

Ceci étant dit et la situation budgétaire du pays étant ce qu'elle est… oui, tout le monde va devoir faire des "efforts" pour contribuer à faire passer le déficit de 6% à 5% du PIB en 2025 (objectif fixé par Michel Barnier dans sa déclaration de politique générale), a prévenu Catherine Vautrin. Car "la marche est haute". L'effort se traduira de deux façons, a-t-elle dit : d'une part "sur le fonctionnement des administrations publiques, de la commune jusqu'à l'Etat" (mais avec "respect" pour chacune des "strates") ; d'autre part sur "les politiques publiques" via les lettres-plafond de chaque ministère.

La ministre du Partenariat avec les territoires et de la Décentralisation n'a guère apporté davantage de précisions là-dessus, à quelques jours de la présentation du projet de loi de finances au Comité des finances locales. Elle a simplement mentionné "le sujet des dotations", a évoqué une "contractualisation Etat-collectivités", tout comme Michel Barnier avait à l'Assemblée parlé de "contrat de responsabilité"… et invite à "s'interroger ensemble" : "Toute notre dépense est-elle utile ? Jusqu'où va-t-on sur chacune de nos politiques publiques ?"

Catherine Vautrin entend aussi se pencher sur "le coût de la norme". Et a demandé à Boris Ravignon, le maire de Charleville-Mézières auteur d'un rapport sur le sujet remis en mai dernier (voir notre article) de conduire une nouvelle mission pour "approfondir" les préconisations de ce rapport. "Il travaillera là-dessus à mes côtés à partir de la semaine prochaine", a-t-elle fait savoir.

Adapter, expérimenter, innover… 

Pour Jean-François Debat, "le temps de l'alerte" est loin d'être clos : "Nous voulons une discussion réelle sur les mesures envisagées par le gouvernement". En sachant que l'entourage du nouveau ministre du Budget, Laurent Saint-Martin, a précisé mardi que sur les quelque 40 milliards de baisses de dépenses prévues, au moins 5 milliards relèveront des collectivités. "Le contrat de responsabilité du Premier ministre, on ne sait pas ce qu'il y aura dedans. S'agira-t-il de contrats de Cahors bis ? Il faut rester prudents", s'inquiète le maire de Bourg-en-Bresse. En insistant sur la nécessité d'"éviter les coupes indifférenciées" : avoir une approche "globale" des collectivités "n'aurait pas de sens".

Villes de France entend d'ailleurs elle-même porter "des sujets de simplification" – "des évolutions réglementaires et législatives pour nous simplifier la vie… et qui ne coûtent rien", tel que l'a exprimé Jean-François Debat.

Simplification… et décentralisation ? Catherine Vautrin évoque uniquement une meilleure prise en compte de la "diversité des territoires". Et Villes de France "ne demande pas la décentralisation de nouvelles compétences", dit Jean-François Debat. En revanche, les villes moyennes, comme d'autres, souhaitent clairement disposer de davantage de "possibilités d'adaptation", "notamment dans les domaines de la santé et du logement". Deux domaines pour lesquels l'association formule d'ailleurs plusieurs demandes : territorialiser les politiques de santé, mettre fin à la liberté d'installation des médecins... et, côté logement, supprimer la réduction de loyer de solidarité (un rendez-vous a été demandé à la ministre Valérie Létard) ou encore, sur le foncier, "revoir notamment la mise en oeuvre prescriptive par le Sraddet".

Pouvoir adapter, expérimenter, innover… Cela a été entendu tout au long du congrès. "Laissez-nous expérimenter des choses, c'est de cela dont on a besoin, plus encore que d'aides !", avait par exemple lancé Yves Nicolin, tandis que Thierry Repentin demandait un "droit à l'expérimentation sur le foncier, notamment sur l'encadrement des prix du foncier". Ou que Luc Bouard, leur homologue de La Roche-sur-Yon, déclarait : "Nous sommes toujours confrontés à une multitude de règles. Ne nous mettons pas de barrières, il faut pouvoir avoir de l'avance, il faut que l'Etat nous laisse faire, nous laisse expérimenter."

 

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis