Congrès de l’Unccas – Face à l’ampleur des besoins et au désengagement de l’État, des élus volontaristes mais inquiets

En première ligne, les maires, les élus du social et les centres communaux et intercommunaux d’action sociale sont parfois contraints d’intervenir dans des domaines qui relèvent en théorie des compétences de l’État – l’hébergement social et la santé notamment. Ils sont aussi invités à s’inscrire dans des projets et coalitions d’acteurs pour maintenir des services publics nécessaires aux populations et développer des politiques publiques qui répondent aux besoins anciens et nouveaux. Continuité du service public, maintien du lien social dans un contexte d’affaiblissement de l’État local et de vieillissement de la population : lors du congrès de l’Unccas, les élus ont exprimé leur volontarisme, mais également une certaine fatigue et de l’inquiétude face au décalage croissant entre l’ampleur des besoins sociaux et la diminution de leurs moyens. 

"La continuité du service public sur tous les territoires, une utopie ?" La question a suscité de vifs échanges ce 28 mars 2025, lors du 94e congrès de l’Union nationale des CCAS (Unccas). "Je comprends que l’on se demande si c’est une utopie, parce que le réel est discontinu", a introduit Philippe Wahl, président-directeur général de La Poste, évoquant les "concentrations de population et les espaces vides", les montagnes et les plaines… L’enjeu se pose avec d’autant plus d’acuité lorsqu’il s’agit de l’outre-mer, où l’accès aux mêmes services, aux mêmes chances que les habitants de l’hexagone, passe en particulier par un appui à la mobilité. C’est la mission de l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité, qui finance des billets d’avion pour les étudiants et les personnes en formation professionnelle, tout en cherchant à renforcer l’"attractivité" des territoires d’outre-mer pour encourager le retour, comme l’a expliqué son directeur général, Saïd Ahamada. 

Vieillissement, pauvreté et numérique : l’impérieuse nécessité de maintien du lien 

L’enjeu, pour Philippe Wahl, est de chercher à "donner accès à un service public de base à tous les citoyens", tout en s’adaptant aux grandes évolutions de la société – en particulier le virage numérique et le vieillissement de la population. Il y a donc "des accès qui progressent, des accès qui reculent", poursuit le PDG de La Poste, évoquant la disparition progressive du courrier postal et le développement de services à la population et aux collectivités – activités de lien social, banque des collectivités, notamment. En effet, "on veut garder ces réseaux, mais pour que ces réseaux fonctionnent il faut des flux", indique Philippe Wahl, en référence au maillage territorial de La Poste mais également celui des CCAS et CIAS. 

La continuité du service public dans les territoires est en effet étroitement liée au maintien – ou à la reconstitution - de points d’accueil et de services, surtout dans un contexte de vieillissement de la population. Or "on assiste à un retrait des services publics sur tous les territoires", déplore Martial Bourquin, maire d’Audincourt et vice-président de l’Unccas. "Laisser faire cette pauvreté, laisser de côté des quartiers entiers, des territoires ruraux qui se sentent totalement abandonnés, on va au chaos", alerte-t-il, appelant à s’appuyer sur ces réseaux existants pour "mettre en place des politiques sociales de haut niveau". 

Le numérique "certes peut donner accès mais peut aussi éloigner" notamment des populations vieillissantes, ajoute Philippe Wahl, s’inquiétant du risque de "dissolution du lien social" et de "mort sociale" d’une partie de ces populations.

"Tout est trop parcellé en France et les maires doivent s’occuper de tout "

Dans les territoires ruraux, des élus s’adaptent en permanence pour tenter d’offrir aux habitants les services nécessaires. C’est le cas de Jean-Paul Carteret, maire de Lavencourt (337 habitants) et vice-président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), qui défend en particulier l’idée de créer le service public de la petite enfance (SPPE) dans "chaque école rurale". L’intérêt selon lui : avoir une approche d’aménagement du territoire, faciliter la vie des parents qui parcourent sinon des kilomètres en voiture pour faire garder leur enfant, permettre des passerelles entre l’accueil des 0-3 ans et la maternelle. 

"Il faut travailler en diagonale et avec tout le monde", défend l’élu, qui estime que "tout est trop parcellé en France" et que les maires doivent néanmoins "s’occuper de tout" – c’est-à-dire devoir être dans de multiples instances et dispositifs. Le maire rural a par ailleurs mis en place un "pôle de services", labelisé par la suite France services, offrant à la fois de l’information et un accès à des consultations médicales et paramédicales. 

"Nous faisons notre business dans notre coin avec tous les problèmes que cela peut poser"

S’ils rentrent dans ces logiques de mutualisation des espaces et de coopération entre acteurs, nombre d’élus craignent une poursuite du désengagement de l’État. "J’ai été le dernier dans l’Aude à faire France services", témoigne dans la salle le maire d’une commune de 6.000 habitants située près de Narbonne. "Aujourd’hui, nous sommes largement indemnisés, mais demain nous devrons assumer seuls", anticipe-t-il. 

"De plus en plus, les communes, les CCAS, reprennent des services qui auparavant étaient une politique d’État", confirme Martial Bourquin. Le sujet avait été longuement débattu la veille, lors de la table-ronde intitulée "Les communes ont-elles vocation à faire toujours plus à la place de l’État ?" Santé, hébergement social, sécurité… De nombreuses communes investissent sur ces sujets, dans un cadre forcément contraint, tandis que d’autres communes ne peuvent se le permettre. Les disparités territoriales se creusent, en termes d’accès aux services mais également dans le contenu des politiques publiques. Maison de santé municipale, police municipale, stratégie de gestion des données et de l’intelligence artificielle… En l’absence d’une "stratégie de l’État", "nous faisons notre business dans notre coin avec tous les problèmes que cela peut poser", soulève le maire d’Ambilly (Haute-Savoie). 

"Dans le monde rural, nous allons vers des difficultés si nous ne travaillons pas ensemble"

"L’État est devenu une pieuvre avec une très grosse tête et de toutes petites tentacules", juge par ailleurs Éric Kerrouche, sénateur PS des Landes et directeur de recherche au Cevipof. "Les collectivités montent d’autant plus en gamme que l’État disparait", observe-t-il, tout en pointant un retour insidieux du contrôle "d’opportunité" des services de l’État sur l’action des collectivités. 

"Il faut accepter qu’on ait des politiques publiques qui sont intriquées", affirme de son côté Corinne de La Mettrie, directrice générale déléguée de l’Agence nationale de la cohésion des territoires, qui estime que le véritable enjeu est moins celui de la répartition des compétences que celui d’"agir au bon endroit". L’État doit être "garant des coalitions", déclare-t-elle, citant une formule du député et ancien ministre Aurélien Rousseau. Celle qui est fonctionnaire territoriale détachée à l’agence nationale prend l’exemple de l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) sur le vieillissement de la population des quartiers prioritaires, porté par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et l’ANCT en lien étroit avec les CCAS (voir notre article). 

Malgré toute la bonne volonté de certains élus, pourtant, des projets structurants peuvent aujourd’hui ne pas aboutir faute de partenaires volontaires : territoires zéro chômeur de longue durée n’ayant pas bénéficié du soutien du département ou de France Travail ou encore projets de CIAS qui ne sont pas soutenus par l’ensemble des communes… "Dans le monde rural, nous allons vers des difficultés si nous ne travaillons pas ensemble", met en avant le président de l’union départementale des CCAS de l’Essonne. 

Et, au-delà des efforts déployés pour maintenir un "quadrillage" territorial et faire vivre des coalitions d’acteurs, "avec quels moyens" agir ? interroge Martial Bourquin. Si la proximité est reconnue comme l’échelon le plus pertinent pour répondre aux besoins des habitants, l’action décentralisée induit forcément "une montée en gamme" par rapport à un pilotage centralisé, estime Éric Kerrouche qui cite la gestion des collèges. Cela crée selon lui, inévitablement et à plus ou moins long terme, un problème de compensation financière. 

› Des élus du social engagés et en attente de reconnaissance 

Les élus du social consacrent en moyenne 26 heures à leur mandat municipal, dont 14 heures au centre communal ou intercommunal d’action sociale (CCAS ou CIAS), selon une enquête du Cevipof pour l’Union nationale des CCAS (Unccas) rendue publique à l’occasion du congrès de l’association qui s’est tenu ces 26, 27 et 28 mars 2025 à Chambéry. La moitié des 500 élus interrogés ont par ailleurs une activité professionnelle (33% d’entre eux à temps plein), tandis que 44% sont à la retraite. Âgés en moyenne de 62 ans, ces élus sont majoritairement des femmes (80%). 

Il s’agit d’un mandat exigeant au service des plus fragiles, les élus considérant que leurs deux missions prioritaires sont d’"accompagner les plus fragiles" et de "favoriser le lien social". Ils affirment pour la plupart devoir faire face à une augmentation du nombre de bénéficiaires, tout en étant freinés par un manque de moyens humains et financiers et une complexité administrative et réglementaire. 83% des répondants estiment que le bilan de leur CCAS est bon. 

À un an des élections municipales, 32% des élus interrogés déclarent vouloir poursuivre sur le même mandat, 11% souhaitent arrêter et 30% aimeraient continuer mais sur un autre poste. Le taux sur ce dernier item est supérieur parmi les conseillers municipaux en charge du social qui ne sont pas adjoints, "c’est-à-dire les adjoints de demain", commente Éric Kerrouche, sénateur PS des Landes et directeur de recherche au Cevipof. Cela démontre pour ce dernier le "poids de ce mandat social", qui demande du temps et n’est pas forcément reconnu à sa juste valeur. Alors que le président de l’Unccas invite les maires à désigner leur élu en charge "président par délégation" du CCAS, pour les valoriser, les répondants de l’enquête sont 66% à considérer que c’est tout simplement "l’élu en charge du social qui devrait présider" le CCAS. 

 

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