Comment s'orienter vers un éclairage public "juste" ?

Soulignant combien l’introduction de l’éclairage public a bouleversé le rapport à la nuit, une étude de la Fabrique de la Cité montre que le mouvement récent vers un éclairage public "juste", certes favorisé par une prise en compte progressive de la nocivité de l’éclairage sur les écosystèmes ou plus récemment encore par la crise énergétique, n’est pas sans entraîner quelque appréhension. Si les motivations pour parvenir à la sobriété lumineuse sont diverses, pédagogie et implication des citoyens restent d’incontournables facteurs clés de succès.

Les récentes extinctions nocturnes motivées par la crainte du black-out et l’explosion du coût de l’énergie ont brutalement braqué les projecteurs sur l’éclairage public, "longtemps resté le grand absent des politiques urbaines", observe une étude consacrée à l’évolution de ce dernier – ses modalités, ses fins… – que vient de publier la Fabrique de la Cité. En présentant quatre projets conduits par des collectivités en la matière, l’étude montre que cette tendance à un éclairage public "juste" s’affirme depuis plusieurs années déjà, avec des intentions variées. 

Faire des économies…

Crise aidant, éclairer "juste" pour faire des économies constitue sans nul doute l’une des principales motivations. Pour la commune de Libourne, la volonté de réduire les coûts générés par l’éclairage public n’est toutefois pas récente, puisque l’étude enseigne que la ville s’est penchée sur le problème dès 2008 – autre crise. Mais elle ne faiblit pas. Après un premier partenariat public privé de 15 ans, la ville a lancé en mars 2023 un marché global de performance – "la forme de marché la plus utilisée en cas de délégation de service public pour l’éclairage", est-il noté – pour une durée de 10 ans avec l’objectif d’équiper cette fois 100% du parc en LED dans les 6 ans… pour atteindre 80% d’économies d’énergie. Le tout avec un "mode de financement original" : la location avec option d’achat du nouveau matériel, afin d’alléger la charge de l’investissement pour la faire porter sur le budget de fonctionnement. Autre objectif poursuivi concomitamment, le déploiement d’une démarche "smart city" afin d’offrir d’autres services, "notamment en lien avec la mobilité, la sécurité et le bien-être en ville".

Réduire la pollution lumineuse

Pour autant, la perspective de faire des économies ne séduit pas toujours. Examinant l’expérience conduite depuis 2012 par la métropole de Nice, l’étude observe ainsi que "l’entrée par les économies d’énergie n’a pas été très mobilisatrice". Elle note qu’"en revanche, un travail avec le service Environnement de la métropole pour réaliser des diagnostics de biodiversité et évaluer les bienfaits de l’extinction sur les espèces a su convaincre les communes". Pour la commune d’Annemasse, c’est également cette volonté de réduire les impacts environnementaux de l’éclairage public qui a primé. Consciente néanmoins que "l’extinction reste un sujet délicat pour les communes", la ville a pris le soin de déployer sa stratégie progressivement, en commençant par ses espaces nature avant de l’élargir à sa zone commerciale périphérique, puis à ses cœurs d’îlots résidentiels, "en adaptant l’intensité et les plages où l’éclairage est allumé en fonction des usages". L’étude rappelle "qu’entre extinction totale et allumage à pleine puissance toute la nuit, tout un spectre de solutions existe", en usant, outre de la différenciation géographique, de l’amplitude horaire, de la longueur d’onde ou encore de l’intensité lumineuse. 

Mettre en lumière le patrimoine

Côté commune de Mulhouse, outre le souhait de réduire la consommation (son plan Lumière de 2017 prévoit de réduire de 70% les consommations énergétiques de l’éclairage), c’est la mise en valeur de son patrimoine qui était recherchée. "L’idée est de faire redécouvrir la ville à ses habitants à travers ses éléments culturels et patrimoniaux à travers un éclairage ‘au plus juste’", est-il relevé. CQFD : si tout est éclairé, rien n’est mis en lumière. Comme à Libourne, la ville a concrètement elle aussi eu recours à un marché global de performance, visant une "mise en lumière sobre", notamment via la rénovation de l’ensemble des armoires pour passer à la télégestion et le passage complet du parc en LED. 

Repartir des besoins et des usages de l’espace public pour plus de sobriété lumineuse

Rénover les armoires de commande, passer aux LED, autant d’objectifs également poursuivis par Brest métropole, qui a réduit sa consommation d’énergie par l’éclairage public de 45% en 2023 par rapport à 2014. Mais pour éviter l’écueil de l’"effet rebond" et du sur-éclairage, la collectivité s’est employée à "repartir des besoins et des usages de l’espace public", en allant sur le terrain. Une démarche nécessaire, souligne un expert, pour qui "on ne peut pas balayer d’un revers de manche les ressentis des personnes qui fréquentent les lieux", quand bien même leurs craintes ne seraient pas justifiées. Si l’auteure de l’étude indique ainsi que "les études menées sur le lien entre éclairage public et incivilités, délinquance ou criminalité tendent à démontrer qu’il n’y a pas de lien", elle n’en souligne pas moins combien, historiquement, éclairage et sécurité sont étroitement imbriqués ("le pouvoir de police générale du maire lui donne le dernier mot en ce qui concerne l’éclairage de sa commune, héritage de ce lien historique entre éclairage et sécurité"). Autre "ressenti" à ne pas sous-estimer, le fait que ne plus être éclairé "[puisse] être vécu comme un abandon des pouvoirs publics, notamment pour des petits villages ou hameaux".

Nécessaire implication des citoyens et usagers

De ces différentes expériences, et plus largement de l’histoire de l’éclairage public, l’étude retient que "l’éclairage extérieur dépasse une simple fonction technique", en soulignant singulièrement que son déploiement "a instauré un changement de paradigme dans le rapport à la nuit et à l’espace nocturne, accompagnant [ou induisant ?] des évolutions sociales". Revenir "à l’obscurité" ne va donc pas de soi. Pour preuve, l’auteure relève le fait que les extinctions abruptes décidées pendant la crise ont "déstabilisé" une partie de la population affectée. Et de souligner en conséquence l’importance d’"impliquer les citoyens et les usagers de l’espace public pour mieux tenir compte de leurs besoins et d’améliorer leur adhésion au projet urbain". Une recette qui dépasse sans doute de loin le seul sujet de l’éclairage public.