Comment les territoires prennent-ils en compte le télétravail ?
Dans le prolongement d’une étude publiée conjointement en novembre dernier avec France stratégie, l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) consacrait le 13 février dernier une matinée d’échange à l’impact du télétravail dans les territoires.

© Capture vidéo IGEDD/ Anne Aguiléra et Sylvie Landriève
L’IGEDD et France stratégie publiaient en novembre dernier une étude relative à l’impact du télétravail dans les territoires, en matière de mobilité comme de logement et plus globalement en termes d’aménagement du territoire. En introduction de la matinée d’échange organisée par l’IGEDD à ce sujet, le 13 février, Jérôme Duchene, inspecteur général, a rappelé que si "aucun exode urbain massif" n’a été constaté ces dernières années, une certaine tendance probablement liée au développement du télétravail est malgré tout à l’œuvre, plus particulièrement en faveur des zones littorales et des villes moyennes des territoires périurbains.
Le télétravail, d’une manière générale, concerne davantage les cadres des grandes agglomérations où près de 35% des emplois sont considérés comme télétravaillables ; un chiffre qui atteint même 50% en Ile-de-France. L’étude montre également que le télétravail participe à la baisse de fréquence des déplacements domicile-travail et par voie de conséquence à une baisse de la fréquentation des transports en commun. Sur le volet logement, le télétravail contribue à renforcer la demande dans certaines zones denses ainsi que dans des territoires "touristiques". Mais c’est peut-être avant tout sur l’immobilier d’entreprise que l’impact semble le plus évident puisqu’il "accélère la tendance des entreprises à réduire leurs coûts", générant ainsi de la vacance dans les zones périphériques les moins bien desservies. Quand, au contraire, les "centralités" et les zones les mieux connectées favorisent "le retour au bureau" des salariés.
"Effacement de la frontière entre vie privée et vie professionnelle"
Au final, en raison de la difficulté d’identifier la part réelle du télétravail dans les choix individuels, l’étude concluait à la "faible appropriation du sujet télétravail par les acteurs territoriaux" autant que l’absence, le plus souvent, de réelle stratégie territoriale en la matière. L’IGEDD a donc convié le 13 février des représentants des territoires à témoigner de la manière dont ce phénomène impactait réellement leurs politiques publiques.
Premier constat, selon Anne Aguiléra, directrice de recherche à l’université Gustave-Eiffel, "la thèse de l’exode généralisé a fait pschitt !" Les études menées en Île-de-France par le laboratoire Ville Mobilité Transport qu’elle dirige montrent avant tout que le télétravail "détend les aires sur lesquelles les entreprises recherchent des collaborateurs", ce qui pose selon elle la question de l’étalement urbain et de la périurbanisation. Yann Cabrol, directeur général de l’agence d’urbanisme de Toulouse (AUAT), a pour sa part souligné "l’effacement de la frontière entre vie privée et vie professionnelle" qu’engendre la pratique du télétravail, ce qui détermine "un rapport différent au territoire", notamment dans l’apparition de nouvelles "frontières" entre les habitants d’une même zone.
Dans une enquête menée en 2022, rappelle Anne Aguiléra, le développement du télétravail semblait impacter assez peu les entreprises en matière de stratégie immobilière : "On n’a pas observé de projets de déménagement prenant en compte le phénomène du télétravail mais plutôt des réflexions pour étudier la question de la surface des locaux à la fin du bail", avec "une appétence pour la recentralisation vers l’hypercentre parisien" plutôt que vers des zones telles que celle de la Défense.
Pour l’universitaire, la prise en compte du télétravail dans les entreprises relève donc du "deal" : "c’est une manière de faire passer la pilule du flex office", estime Anne Aguiléra dans des entreprises qui cherchent à rationaliser leurs coûts autant que leur organisation. Selon Sylvie Landriève, directrice du Forum Vies Mobiles, actuellement "on manque de données territorialisées" et que pour observer de réels changements de comportement chez les entreprises il faudra attendre encore quelques années et l’échéance des baux qui sont généralement de 9 ans. Plus globalement, le télétravail sonne le glas de la "spécialisation fonctionnelle du travail" et oblige à s’interroger sur l’évolution de quartiers résidentiels qui deviennent moins "monofonctionnels" et de quartiers d’affaires dont l’avenir s’écrit désormais en pointillés.
"Lorsque l’on transforme des fonctions non délocalisables en fonctions télétravaillables, on ouvre la voie à la délocalisation"
Dans ces conditions, comment les pouvoirs publics peuvent-ils prendre en compte le phénomène télétravail dans leurs politiques publiques locales ? Ludovic Grousset, directeur général adjoint chargé du développement économique et de l’emploi au sein de la métropole de Lille, appelle à ne pas s’emballer sur les évolutions à venir liées au développement du télétravail, tout en restant vigilant sur les conséquences négatives qu’il entrevoit : "Lorsque l’on transforme des fonctions non délocalisables en fonctions télétravaillables, on ouvre la voie à la délocalisation", s’inquiète le DG adjoint, qui constate une diminution sur son territoire de 20% des surfaces commercialisées d’une année sur l’autre avec "un marché en crise et en mutation".
Directeur général adjoint chargé de la stratégie de développement et de l’aménagement au sein de la métropole de Rennes, Jérôme Bastin abonde et s’inquiète de la "sous-utilisation" des espaces dédiés à l’immobilier d’entreprise autant que de l’impact déjà observable que ce phénomène a sur la baisse (-13%) de la mobilité sur le territoire.
Catherine Sabbah, déléguée générale de l’Institut des hautes études pour l’action dans le logement (Idheal) constate pour sa part que de plus en plus d’entreprise sont tentées de revenir en arrière en matière de télétravail : "La récré est finie !", résume-t-elle, rappelant que si 82% des télétravailleurs se disent satisfaits, ceux-ci sont plutôt des cadres supérieurs généralement âgés, indiquant un lien évident entre les conditions de logement et l’acceptation du télétravail : ils ne sont au final que 34% à disposer d’une pièce dédiée ; 32% déclarent avoir du mal à séparer espace de travail et espace de vie ; 22% reconnaissent des difficultés à définir des horaires et 20% considèrent que le télétravail engendre des effets négatifs en termes de budget.