Comment l'administration peut-elle répondre aux demandes abusives de communication de documents administratifs ?
Contexte : En tant qu’administration, il n’est pas toujours facile de faire face aux demandes de communication parfois abusives de la part des administrés. En quelques notions, retraçons les grands principes et les limites encadrant le droit à la communication de ces documents.
Pour commencer, rappelons les bases à propos du droit à la communication.
C’est le livre III du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) qui encadre le droit d’accès aux documents administratifs. Il s’impose à toutes les autorités publiques, mais également aux organismes privés chargés d’une mission de service public. Le droit d’accès s’exerce sur tous les documents, de nature administrative et dont l’administration est effectivement en possession. Il existe toutefois certains documents qui ne peuvent pas être communiqués, ou seulement de manière limitée. Parmi eux, on retrouve :
Les documents inachevés ;
Les documents préparatoires à une décision ;
Les documents dont le contenu a un caractère sensible, ils peuvent toutefois être partiellement communiqués après occultation des données sensibles ;
Les documents concernant une personne en particulier, ils ne sont communicables qu’à la personne concernée ;
Les archives publiques qui sont couvertes par un secret particulier dont la durée varie entre 25 et 100 ans selon le type de document, qui ne peuvent donc être communiquées qu’après ce délai échu.
Les demandes d’accès doivent porter sur des documents existants. Il n’est donc pas possible d’obtenir une réponse à une telle demande de renseignement ou de faire établir un document pour répondre à un besoin spécifique. En effet, le droit d’accès n’impose pas à l’administration de créer ou d’élaborer de nouveaux documents afin de répondre aux demandes des administrés. Elles ont en revanche l’obligation de transmettre la demande au service qui détient les documents demandés lorsque le demandeur a mal identifié l’administration concernée (article L311-2 du CRPA).
Lorsqu'un administré effectue une demande, l’administration dispose d’un délai d’un mois pour y répondre (attention, certains documents spécifiques peuvent être régis par des délais qui leur sont propres). Toute absence de réponse sera considérée comme étant une décision implicite de refus de communication (R311-12 et R311-13 du CRPA). Passé ce délai, la CADA peut être saisie par le demandeur.
Lorsque l’administration entend refuser la demande de communication, elle doit systématiquement motiver son choix (L311-14 du CRPA).
Lorsque le refus fait suite à l’expiration du délai d’un mois, l’administration n’est pas tenue de motiver les circonstances qui ont abouti à un rejet tacite, sauf si, au cas par cas, un texte en particulier l’exige compte tenu de la nature de la demande (CE, 14 décembre 2001, Ministre de l’emploi c/ X)
Qu’en est-il désormais pour les demandes considérées comme abusives ?
L’article L311-2 du CRPA précise à ce sujet que :
“L’administration n’est pas tenue de donner suite aux demandes abusives, en particulier par leur nombre, leur caractère répétitif ou systématique”
Le texte ne donne néanmoins pas de définition plus précise afin d'appréhender plus facilement cette notion. La CADA considère toutefois que cette règle doit pouvoir s’appliquer à tous les types de demande de communication de documents administratifs et qu’une demande peut être caractérisée d’abusive dès lors qu’elle a manifestement pour objet de perturber le fonctionnement du service public (Avis 20175138 - Séance du 25/01/2018 - Syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux (SMERRV)). La CADA précise toutefois que l’administration qui souhaiterait se prévaloir de cette notion devra tout d’abord prévenir le demandeur par écrit du caractère répétitif et probablement abusif de ses demandes. Pour plus de clarté, la CADA a établi un faisceau d’indices au fur et à mesure de ses avis afin de pouvoir reconnaître et qualifier plus facilement une demande abusive. On retrouve parmi eux :
Le nombre de demandes et le volume de documents demandé (Avis 20172599 - Séance du 14/09/2017 - Ordre des avocats au barreau de Pontoise / Avis 20173364 - Séance du 30/11/2017- Mairie de Savigny-sur-Orge) ;
Le caractère répétitif et systématique des demandes, notamment sur un même sujet ;
La volonté de nuire à l’administration ou de la mettre, eu égard à son importance, dans l’impossibilité matérielle de traiter les demandes (Avis 20180140 - Séance du 05/04/2018 - Syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux (SMERRV)) ;
La possibilité qu’a ou qu’a eu le demandeur d’accéder au document dans un passé proche :
cas où un demandeur a déjà pris connaissance, quelques mois auparavant, du dossier auquel il demande accès ;
cas où le demandeur produit, à l’appui de sa requête devant le Conseil d’État, la copie des documents dont il demandait communication [CE, 8 janvier 1988, Van Overbeck) Avis 20172435 - Séance du 07/09/2017 - Préfecture de la Gironde)] ;
demandes d’élus locaux qui disposent d’un droit d’accès privilégié en vertu des articles L2121-13 et L2121-13-1 du code général des collectivités territoriales ;
L’existence d’un contexte tendu voire de contentieux multiples entre le demandeur et l’administration saisie (Avis 20172782 - Séance du 14/09/2017 - SORGEM / Avis 20174725 - Séance du 14/12/2017 - Communauté d'agglomération « Cœur d'Essonne Agglomération ») ;
le refus de l’intéressé de payer les frais qui lui ont été demandés à l’occasion de précédentes communications.
Une seule itération de ces situations ne suffit généralement pas en elle-même pour caractériser une demande abusive (cela peut toutefois être au cas par cas), mais la convergence de ces dernières permet à l’administration de soulever sans hésitation cette exception de non-communication définie à l’article L311-2 précité. Il est donc recommandé aux administrations de prendre contact avec la CADA, avant même de prévenir le demandeur du caractère potentiellement abusif de ses demandes, afin d'être accompagné dans l’analyse de la situation en cours.
IMPORTANT : Lorsque le législateur a créé la CADA, il n’a pas souhaité lui conférer un pouvoir normatif. Cela signifie que les avis de la CADA n’ont pas de valeur juridique en eux- mêmes. Il n’est donc, théoriquement, pas possible de se fonder uniquement sur les avis et conseils de la CADA pour traiter une situation. Cependant, depuis sa création, le juge administratif s’est systématiquement aligné sur les avis de cette dernière. Il est donc, en pratique, bel et bien possible de se reposer sur le contenu des avis de la CADA et ce, jusqu’à ce que le juge administratif décide un jour, au détour d’une jurisprudence, que la vision de la CADA n’est plus en phase avec les textes applicables. Cela ne semble toutefois pas être au programme, car il n’a de cesse de souligner son expertise et reprendre le contenu de ses avis au sein de ses jurisprudences. (Exemple récent : CE, 31 mai 2024 n°474473 - décision relative à la communication de l’agenda d’un élu local et du caractère potentiellement abusif des demandes)
Références Juridiques :
Code des relations entre le public et l’administration : notamment les articles L311-2 ; L311-14 ; R311-12 et R311-13
Avis et recommandations de la CADA : 20175138 ; 20172599 ; 20173364 ; 20180140 ; 20172435 ; 20172782 ; 20174725
Jurisprudences :
CE, 8 janvier 1988, Van Overbeck
CE, 14 décembre 2001, Ministre de l’emploi c/ X
CE, 31 mai 2024 n°474473
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