Environnement - Comment indemniser les communes au titre des périmètres de protection de l'eau ?
En écho à une proposition de loi (n° 648) de la sénatrice UMP Marie-Hélène Des Esgaulx (UMP, Gironde) et de plusieurs de ses collègues, un débat relatif à l’indemnisation des communes sur le territoire desquelles sont créés des périmètres de protection entourant des captages d’eau potable s’est déroulé au Sénat mardi 11 janvier 2011 à la demande du groupe UMP. L’article L.1321-1 du Code de la santé publique (CSP) prévoit en effet la création de périmètres de protection autour des points de prélèvements d'eaux, souterraines et superficielles, destinés à prévenir les contaminations par des substances polluantes. On distingue trois types de périmètres : un premier de protection immédiate de quelques dizaines de mètres autour du captage dans lequel les terrains sont à acquérir en pleine propriété et où toute activité est interdite ; un deuxième de protection rapprochée, plus étendu, dans lequel certaines activités sont interdites, d’autres réglementées, et des servitudes sont instaurées ; le cas échéant, un troisième périmètre dit de "protection éloignée" vient renforcer les deux précédents contre les pollutions permanentes ou diffuses.
Une situation inéquitable
La présence de périmètres de captage "peut représenter des contraintes importantes pour les communes" compte tenu des restrictions qu’ils imposent en matière d’urbanisme ou de développement de certaines activités industrielles, commerciales ou de loisir, relève Marie-Hélène Des Esgaulx. Or, les articles L.1321-2 et L.1321-3 du CSP ne prévoient aucune indemnisation pour les collectivités publiques concernées, "ce qui est d'autant plus inéquitable que ces eaux ne leur sont, généralement, pas destinées", mais sont "le plus souvent exploitées pour approvisionner les grandes agglomérations voisines", déplore la sénatrice.
Pour l’heure, la seule solution est de mettre en jeu la responsabilité sans faute de l'Etat sur le fondement de la rupture de l'égalité devant les charges publiques, l'acte portant déclaration d'utilité publique des travaux de prélèvement d'eau constituant un acte administratif préfectoral. Or, "la reconnaissance de la responsabilité sans faute de l'Etat est difficilement admise par la jurisprudence pour ce type d'opérations qui répond à des préoccupations d'intérêt général", constate Marie-Hélène Des Esgaulx. Les propriétaires privés des terrains inclus dans les périmètres concernés peuvent quant à eux bénéficier d'indemnités fixées selon les règles applicables en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique. De même, les entreprises peuvent-elles être indemnisées si leurs activités sont perturbées par le captage d'eau.
La proposition de loi déposée au Sénat le 7 juillet dernier vise ainsi à fournir un fondement légal (nouvel article L.1321-3-1 du CSP) à un dispositif rendant possible l'indemnisation des communes sur les territoires desquelles la création de périmètres de protection autour de captages d'eau destinée à la consommation humaine a été déclarée d'intérêt public. Ce dispositif s'inspire des indemnisations prévues pour compenser les dommages causés par des servitudes d'urbanisme. Il permet une indemnisation, à la charge de la collectivité bénéficiaire du prélèvement d'eau potable, en cas de "préjudice direct, matériel et certain" résultant de la création d'un des périmètres de protection visé à l'article L.1321-2-1 du CSP.
Des objectifs loin d’être atteints
Les sénateurs Bernard Saugey (UMP, Isère) et François Fortassin (RDSE, Hautes-Pyrénées) ont souligné qu’à l’heure actuelle, les objectifs en matière de protection des captages d'eau n'étaient pas atteints. Dans le cadre du plan national santé environnement 2004-2008, différentes actions coordonnées à l'échelon départemental par le préfet en liaison avec les représentants des collectivités territoriales devaient permettre d'atteindre l'objectif de 80 % des captages protégés en 2008 et 100 % en 2010. Or, "deux tiers, environ, des volumes d'eau prélevés, soit 60 % des captages, sont protégés, mais 40 % des captages ne le sont pas et ne disposent pas encore de déclaration d'utilité publique instaurant les périmètres de protection", a confirmé Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'Ecologie. Au total, 34.000 points de captage sont répertoriés en France et 14.000 d'entre eux restent à protéger, ce malgré des conditions "assez avantageuses", a-t-elle ajouté.
Dans ce contexte, la ministre craint que le dispositif tel qu'il est envisagé dans la proposition de loi "ne freine davantage la dynamique engagée par les collectivités retardataires, du fait de l'augmentation des indemnisations à financer". Les procédures sont déjà complexes et longues. En outre, certaines lacunes ont été soulevées par la Cour des comptes dans son rapport de février 2002 sur l’efficacité de la protection assurée par ces périmètres contre les pollutions diffuses d’origine agricole, a rappelé Evelyne Didier (SPG, Meurthe-et-Moselle).
Des points d’accroche
Selon Evelyne Didier, la proposition de loi relève d’une mauvaise approche car "elle pourrait laisser penser que la protection des captages est une contrainte assimilée à une nuisance". De surcroît, il est inadéquat, considère-t-elle, de comparer la situation des lignes à haute tension, créées par l'homme, à un endroit librement décidé, à celle de ressources naturelles qui ont toujours été présentes. Seul l’Etat peut, par des mesures compensatoires, prendre acte du préjudice subi. Les solutions doivent par conséquent être recherchées du côté de la péréquation, estime t-elle, rejoignant sur ce point François Fortassin.
Selon Paul Raoult (PS, Nord), pour permettre à une commune d’obtenir une indemnisation au titre de la création de périmètres de protection sur son territoire, il faudrait modifier les règles d'indemnisation en cas d'expropriation ou de création de servitudes d'utilité publique plus profondément que ne le prévoit la présente proposition de loi, ce qui lui apparaît difficile. Aussi envisage-t-il une solution différente résidant dans l’attribution aux communes et à leurs groupements d’un monopole de production de l’eau potable destinée aux réseaux publics de distribution, avec la possibilité de cession d'une partie des droits ainsi conférés à d'autres collectivités, sous réserve du versement d'une redevance par mètre cube d'eau produit.
Michel Doublet (UMP, Charente-Maritime) a soulevé quant à lui un certain nombre de questions sur les modalités de versement des indemnités par les collectivités bénéficiaires du prélèvement d'eau potable. Il s’est en particulier interrogé sur l'applicabilité d'un tel dispositif dans la mesure où les périmètres de captage dépendent généralement de syndicats intercommunaux. De même, comment assurer la répartition des charges si les collectivités ne sont desservies que partiellement par l'ouvrage ? a-t-il insisté.
Solidarité à l'échelle intercommunale
Dans le cas du propriétaire ou de l'exploitant des terrains, le préjudice est "quantifiable", alors que dans le cas des communes, "la plupart du temps, le préjudice n'est que potentiel et il n'existe pas de préjudice direct, matériel et certain subi pour la commune au sens du droit", a constaté Nathalie Kosciusko-Morizet. La ministre de l’Ecologie s’interroge dès lors sur l’opportunité "d'adopter une disposition ne concernant que les cas isolés où le préjudice pourrait réellement être démontré". En outre, ce dispositif aura nécessairement des répercussions sur le prix de l'eau, difficiles à justifier auprès des usagers concernés, a-t-elle insisté.
Il conviendrait en outre de définir l'échelle territoriale la plus pertinente pour répondre à l’ensemble de ces questions, la protection de la ressource en eau étant fréquemment à cheval sur plusieurs communes. Sur ce point, une part de la solution pourrait être trouvée dans la montée en puissance des EPCI prévue dans le cadre de la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales. Pour la ministre, "un dispositif gagnant-gagnant entre la collectivité bénéficiaire du captage et la collectivité propriétaire peut être inventé", sur lequel les communes s'accorderaient par voie contractuelle.
Pour l’heure, la ministre promet d’engager une expertise conjointe des ministères de l'Ecologie, de la Santé et de l'Intérieur afin d’approfondir les conditions de mise en place d'une solidarité financière à l'échelle intercommunale et de déterminer le nombre de communes concernées par la question débattue. Il convient par ailleurs de poursuivre les efforts en faveur du regroupement des services d'alimentation en eau potable (16.000 services en France, contre 23 en Grande-Bretagne et 5.260 en Allemagne), a-t-elle ajouté. Là encore, la montée en puissance des EPCI devrait favoriser les choses.