Commande publique : un premier semestre rythmé par la crise, mais pas que…
Depuis le mois de mars jusqu'à ce jour, l'actualité du droit de la commande publique a elle aussi été largement rythmée par la crise sanitaire et économique engendrée par le Covid-19. Le gouvernement est en effet intervenu à plusieurs reprises pour modifier certaines règles juridique. Par ailleurs, quelques décisions de justice, rendues avant et après le confinement, ont permis de rappeler ou préciser certains points.
C'est principalement par voie d'ordonnance que le gouvernement est intervenu pour adapter le droit de la commande publique aux circonstances exceptionnelles engendrées par le coronavirus.
Le premier texte intervenant en la matière fût l'ordonnance du 25 mars 2020. Ce texte prévoyait notamment un rallongement des délais de réception des candidatures et des offres, la possibilité de prolonger par voie d'avenant les contrats en cours d'exécution qui arriveraient à terme pendant la période de crise sanitaire ou encore de verser des avances d'un montant supérieur à 60% du montant du marché ou du bon de commande. Cette ordonnance instaurait également des règles propres à des situations particulières telles que l'impossibilité pour le titulaire d'exécuter ses prestations, ou encore la résiliation d'un contrat. La publication de cette ordonnance a été suivie d'une fiche technique de la direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy. Dans un souci d'accompagner aux mieux les acheteurs publics et les entreprises confrontés à des situations inédites, la DAJ a également publié une foire aux questions, enrichie au fil des semaines et des nouvelles problématiques rencontrées.
Une seconde ordonnance a ensuite été publiée au JO le 18 juin. Ce texte a instauré trois nouvelles mesures au soutien des entreprises touchées par la crise économique. Ainsi, la candidature des entreprises en redressement judiciaire a été assouplie, des éléments concernant l'appréciation du chiffre d'affaires des entreprises candidates ont été apportés et l'accès des PME aux marchés globaux a été renforcé grâce à la mise en place d'une part minimale devant leur être attribué.
Les seuils de dispense de procédure de passation ont également subi des modifications suite à la crise. Si un amendement enregistré au Sénat et visant à rehausser ce seuil de 40.000 euros à 100.000 euros HT n'a pas été adopté, c'est un décret publié le 23 juillet qui l'a établi. Le rehaussement opéré n'est toutefois pas général : il concerne uniquement les marchés publics de travaux et les marchés de denrées alimentaires. Ainsi, les marchés de travaux bénéficient jusqu'au 10 juillet 2021 d'un seuil rehaussé à 70.000 euros. Pour les marchés de denrées alimentaires, le seuil est passé à 100.000 euros, seulement pour les denrées "produites, transformées et stockées avant la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire " et "pour des produits livrés avant le 10 décembre 2020".
Jurisprudences
Depuis le début de l'année, plusieurs jurisprudences sont venues apporter des précisions intéressantes sur de nombreux points.
• Critère géographique : une évolution à venir ?
D'ordinaire, le lieu d'implantation d'un opérateur économique ne peut pas être pris en compte lors de l'examen des offres. Toutefois, dans un arrêt du 20 décembre 2019, le Conseil d'État a validé un sous-critère relatif "au nombre d'emplois locaux dont la création sera induite par la gestion et l'exploitation d'un port", estimant "qu'un tel sous-critère n'implique pas, par lui-même, de favoriser des entreprises locales".
D'ailleurs, le sujet du critère géographique est récemment revenu sur le devant de la scène suite à une proposition de loi signée du sénateur Bruno Retailleau. Suite aux conséquences économiques de la crise du coronavirus, ce texte prévoit deux mesures pour relancer l'économie locale. La première consisterait à permettre aux acheteurs de réserver jusqu'à 25% du nombre d'heures nécessaires à l'exécution du marché à "des personnels domiciliés à proximité du lieu d'exécution, dans un périmètre qu'ils déterminent". La seconde disposition tendrait à permettre aux acheteurs de mettre en place, parmi d'autres critères, un critère de sélection des offres basé sur la situation géographique du candidat. L'acheteur pourrait donc "prendre en compte la proximité des soumissionnaires du lieu d'exécution du marché et leurs engagements à cet égard dans l'évaluation de leur offre", ce qui est totalement prohibé à ce jour. Intrinsèquement liées à la crise sanitaire, ces dispositions, si la proposition de loi devait être adoptée, seraient applicables jusqu'au 11 janvier 2022 et concerneraient uniquement les marchés à procédures adaptées.
• Travaux supplémentaires et refus exprès de l'acheteur
Dans un arrêt du 27 mars 2020, les juges de cassation ont répondu à la question de savoir si une collectivité devait payer des travaux supplémentaires alors qu'elle s'y est expressément opposée.
Si des prestations qui n'étaient pas initialement prévues au marché sont qualifiées de travaux supplémentaires, c'est que les travaux en question sont considérés comme "indispensables à l'exécution du marché dans les règles de l'art". Le Conseil d'Etat a ici rappelé que de tels travaux devaient donner lieu à indemnisation, "sauf dans le cas où la personne publique s'est préalablement opposée, de manière précise, à leur réalisation". Une telle décision est sécurisante pour les collectivités, qui, sans cette soupape, pourraient se voir réclamer le paiement de prestations expressément refusées.
• Intérêt à agir et jurisprudence "Département du Tarn-et-Garonne"
Deux arrêts récents sont intervenus pour déterminer si certaines personnes pouvaient saisir le juge afin de contester la validité d'un contrat.
Dans une décision du 27 mars 2020, le Conseil d'État a admis que des contribuables locaux puissent remettre en cause la légalité d'un contrat dans le cadre d'un recours "Tarn-et-Garonne". Si la CAA avait jugé que "la mise en œuvre de l'indemnité pour rupture anticipée du contrat était trop hypothétique" pour affecter significativement les finances ou le patrimoine de la métropole, le Conseil d'État n'a pas suivi le même raisonnement.
Par trois arrêts du 3 juin 2020, le Conseil d'État a cependant refusé d'admettre l'intérêt à agir d'un conseil régional de l'ordre des architectes (CROA). Dans ces affaires, le CROA des Pays de la Loire avait saisi le juge pour dénoncer le recours aux marchés de conception-réalisation par le département de la Loire-Atlantique. Le Conseil d'État a refusé d'admettre l'intérêt à agir des CROA, estimant, en vertu de la jurisprudence "Tarn-et-Garonne", que "la seule passation, par une collectivité territoriale, d'un marché public conférant à un opérateur économique déterminé une mission portant à la fois sur l'établissement d'études et l'exécution de travaux ne saurait être regardée comme susceptible de léser de façon suffisamment directe et certaines les intérêts collectifs dont ils ont la charge".
• Modification de l'offre par l'acheteur
Dans un arrêt du 20 décembre 2019, le Conseil d'État s'est prononcé sur une affaire relative à la modification d'une offre par l'acheteur. En l'espèce, pour déterminer un prix, les candidats devaient tenir compte d'un taux, susceptible d'évoluer durant la durée du contrat. Les deux entreprises candidates ayant choisi des taux différents, l'acheteur a décidé, afin de faciliter l'examen des offres, de substituer le taux retenu par l'une des entreprises à celui choisi par l'autre entreprise. Le Conseil d'État a infirmé cette pratique, estimant que l'égalité de traitement entre les candidats avait été rompue.