Collecte et traitement des eaux usées urbaines : un rapport d'inspections appelle à une gestion mieux intégrée

Mis en ligne ce 19 avril, un rapport d'inspections réalisé à la demande des ministres en charge de l'intérieur, de la transition écologique, des collectivités territoriales et de la biodiversité fait le point sur les responsabilités respectives du bloc communal et de l'État, en tant que régulateur et partenaire financier, dans la mise à niveau des systèmes d'assainissement. Alors que la proportion de non-conformités par rapport à la réglementation tend à augmenter parmi les agglomérations en charge de l'assainissement, la mission propose d'adapter l'action publique pour "franchir une dernière marche avant de se lancer dans une nouvelle étape". Côté collectivités, elle plaide notamment pour une gestion inscrite dans une "vision pluriannuelle" et sur un renforcement des compétences.

Près de 13,5 milliards d'euros par an, pour le seul bloc communal, soit moins de 2,20 euros par mètre cube d'eau consommée, auxquels s'ajoutent 12,5 milliards d'euros depuis 1992 de la part des agences de l'eau : la modernisation et la gestion des systèmes d'assainissement mobilise depuis plus de 30 ans des "engagements financiers considérables", rappelle un rapport d'inspections publié ce 19 avril. Pourtant les objectifs fixés par la directive européenne du 21 mai 1991 sur les eaux résiduaires urbaines n'ont toujours pas été pleinement atteints en France et la dernière infraction constatée en 2017 devrait aboutir à une saisine de la Cour de justice de l'Union européenne concernant une centaine d'agglomérations, avec le risque d'une condamnation pécuniaire, "susceptible de déboucher sur une action récursoire contre les collectivités concernées", signale-t-il.

L'"effort collectif des maîtres d'ouvrage, de l'État et des agences de l'eau", "qui concourt à la qualité de l'eau" n'a "pas réussi à sortir l'assainissement des sujets réputés techniques, largement ignorés du grand public et méconnus aussi de nombreux élus", constatent les auteurs du rapport. Cette situation explique selon eux "la difficulté récurrente à faire assumer des plans d'investissements de long terme pour les réseaux de collecte et stations de traitement comme une conception adaptée de l'aménagement urbain".

"Parler et faire parler de l'assainissement" : "une nécessité politique"

La mission, confiée en mai 2022 à l'Inspection générale de l'Administration (IGA) et à l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD) par les ministres en charge de l'intérieur, de la transition écologique, des collectivités territoriales et de la biodiversité, juge ainsi que "parler et faire parler de l'assainissement" est "une nécessité politique, d'autant qu'au-delà du respect des textes actuels, il n'est guère douteux que les exigences à satisfaire en ce domaine iront en s'accroissant, imposant de nouveaux investissements, mais plus encore une vision mieux intégrée des eaux usées dans l'ensemble des démarches portant sur l'aménagement et la biodiversité."

Le rapport commence par dresser un état des lieux en matière de gouvernance. Le domaine de l'assainissement est sous la responsabilité directe du bloc communal de très longue date, la gestion en ayant été souvent confiée à des syndicats spécialisés. L’évolution institutionnelle récente, pour des raisons liées à la qualité de service, a conduit à un transfert de la compétence obligatoire "assainissement" des communes aux intercommunalités à fiscalité propre (loi Notre de 2015). Mais "dans un contexte de résistance à cette approche intercommunale", son achèvement a été différé à 2026, en facilitant en outre le maintien d’une intervention communale (loi Ferrand de 2018, loi Engagement et proximité de 2019, loi 3DS de 2022), rappelle la mission. Selon elle, ce contexte législatif "empreint d'incertitude" est "contre-productif car il retarde des réorganisations techniquement pertinentes au regard de la complexité du domaine et des investissements nécessaires". Il est donc "souhaitable" selon elle que l'État "réaffirme son appui à l'achèvement de ce processus".

Dans son rôle de régulateur, l'État dispose également de leviers pour accompagner la mise à niveau des systèmes d’assainissement : en tant que "producteur de la norme juridique au niveau national" et "garant vis-à-vis de l'Union européenne de l'attente des objectifs de la directive", il encadre le fonctionnement des services via les arrêtés préfectoraux dédiés. Les services de police de l'eau et de la nature, le plus souvent départementaux, suivent au quotidien le fonctionnement des réseaux et stations, en lien avec les collectivités maîtres d'ouvrage. "Mais l'État accompagne aussi de longue date, via principalement les agences de l’eau, l’effort d’investissement du bloc communal, dont il est de très loin le premier partenaire financier", souligne le rapport.

Pilotage des services "perfectible"

Les situations de non-conformité qui persistent sont dues, estime-t-il "à un pilotage des services par les différents maîtres d'ouvrage qui reste encore perfectible". Il souligne des "lacunes importantes". C'est le cas de "la connaissance des réseaux" et de "l'effort d'investissement consenti pour assurer leur bon fonctionnement", mais aussi du suivi des systèmes, "l'autosurveillance n'étant généralisée que depuis peu". La gestion des eaux pluviales reste aussi "souvent problématique". Il est significatif que ne soient pas respectées par nombre de maîtres d'ouvrage certaines obligations basiques, par exemple pratiquer l'amortissement comptable et le provisionnement pour renouvellement des infrastructures dédiées, transmettre dans les temps le bilan annuel de fonctionnement du système d'assainissement ou renseigner le système d'information des services publics d'eau et d'assainissement à partir du rapport annuel sur les prix et la qualité de service", pointe la mission. Côté État, "le pilotage national reste en partie à éclipses" et "la réorientation récente, même partielle, des concours des agences de l'eau inquiète, au surplus, le bloc communal".

Alors que le dernier "rapportage" à la Commission européenne produit par l'État en 2022 (à partir de la situation 2020) révèle une augmentation de la proportion des non-conformités des agglomérations d'assainissement, désormais de l'ordre de 17,5%, et qu'est engagée une révision de la directive susceptible de déboucher sur les objectifs plus ambitieux et des contraintes plus lourdes, la mission juge "indispensable de s'organiser pour franchir une marche supplémentaire". "La responsabilité première est celle des intercommunalités et communes encore compétentes, dans un effort de gestion mieux structuré et simplifié et anticipant les actions critiques" mais "l'État doit également parfaire son action, pour lui donner plus de continuité et de cohérence", avance-t-elle.

Besoin d'une "vision pluriannuelle" adaptée

Pour le bloc communal, "l'enjeu premier est d'améliorer la gestion des systèmes et de l'inscrire dans une vision pluriannuelle adaptée", conseille-t-elle. Cela suppose d'"améliorer la connaissance des réseaux grâce à des diagnostics adaptés" et ainsi de "se donner les moyens d'une stratégie de long terme, reposant notamment sur une vraie politique d'amortissement". "Ainsi peuvent être anticipés les besoins d'investissement, appréciées leurs conséquences sur le prix de l'eau et de l'assainissement, ainsi que sa probable augmentation, et construits des programmes pluriannuels souvent décennaux", estiment les auteurs du rapport qui jugent aussi "souhaitable" de renforcer les compétences des cadres et techniciens des collectivités pour atteindre ces objectifs. Cela doit aussi être s'accompagner d'une "amélioration des dispositifs favorisant l'échange des bonnes pratiques et le conseil technique", les rapporteurs constatant que la fin de l'ingénierie publique de l'État en matière d'assainissement, "que l'on ne saurait reconstituer", a "laissé un vide non totalement comblé à ce jour par des initiatives des collectivités locales".

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"Enfin, l’assainissement, sujet considéré comme essentiellement technique et peu visible pour le grand public, doit être repositionné comme un élément majeur de la transition écologique, sous l’angle spécifique de la gestion de l’eau, dans son ensemble, en relation avec l’aménagement urbain", soulignent-ils. Ils citent ainsi comme "enjeu clé" l'évolution des pratiques en matière d'eaux pluviales "qui interfère directement avec la place laissée à la nature dans l'espace artificialisé" ou encore l'utilisation des stations de traitement des eaux usées comme lieux de production d'énergie. Autre thème d'actualité, la réutilisation des eaux traitées "implique de bien mesurer l’importance des rejets au milieu naturel opérés aujourd’hui, dans un contexte d’accentuation des sécheresses estivales et de durcissement des étiages", préviennent-ils.

Mobilisation de l'État et de ses opérateurs

Du côté de l’État, "le premier impératif est de sauvegarder les compétences techniques des services déconcentrés, au premier chef au niveau départemental", estime la mission. Autre orientation importante à ses yeux : "assurer une coopération accrue entre services", au niveau national, d'abord, "en créant une réelle dynamique interministérielle", et "au plan déconcentré", en rapprochant les services de police de l’eau et de la nature de ceux en charge de l’urbanisme et en créant un lien avec ceux, en préfecture, opérant le suivi et les contrôles de légalité et budgétaire. En outre, "l’État doit faire évoluer la mobilisation de ses établissements publics qui interviennent en ce domaine", tranche la mission qui évoque la réforme à l'oeuvre des redevances perçues par les agences de l’eau et appelle aussi à "renforcer l’engagement" de l’Office français de la biodiversité (OFB), de l’Institut national de la recherche agronomique et de l’environnement (Inrae) et du Centre d’étude et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), qui constituent autant de "réservoirs de compétences scientifiques et techniques rares". "Toutes ces actions seront de nature à garantir la cohérence entre la mise en œuvre des moyens de police de l’environnement et les appuis techniques et financiers apportés par les établissements publics de l’État", conclut la mission.