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Coeur de ville : une nouvelle façon d'aménager le territoire ?

Un an après la sélection des 222 villes du plan Action coeur de ville, la ministre de la Cohésion des territoires a présenté, mardi 19 mars, la liste des lauréats de l'appel à manifestation d'intérêt "Réinventons nos coeurs de ville". Pour l'économiste Olivier Bouba-Olga, avec les territoires d'industrie, cette politique marque un changement de regard sur les villes moyennes et peut-être un changement de méthode.

C’est le deuxième étage du plan Action cœur de ville. Un an après la sélection des 222 communes et intercommunalités lauréates de ce plan national de revitalisation des centres de villes moyennes, la ministre de la cohésion des territoires Jacqueline Gourault a présenté, mardi 19 mars, les résultats d’un appel à manifestation d’intérêt (AMI) baptisé "Réinventons nos cœurs de villes". Lancé en décembre dernier auprès des 222 villes du plan, cet AMI avait pour objectif d’accélérer l’émergence de projets d’aménagement emblématiques dans ces centres qui, pour la plupart, sont en déclin depuis des années. 111 villes sur le total, soit la moitié, ont répondu présent. "Vos villes centres connaissent des difficultés mais regorgent d’initiatives", s’est réjouie la ministre, auprès des nombreux maires présents lors de ces deuxièmes rencontres nationales Action cœur de ville, organisées à la Cité de l’architecture et du patrimoine, à Paris.

53 villes prêtes à lancer leur appel à projets en juin

Les lauréats de l’AMI vont bénéficier d’un accompagnement spécifique dans l’élaboration de leur propre appel à projets local, le but étant de mettre des terrains (par exemple des friches) à disposition des investisseurs ou promoteurs sélectionnés. Sur les 111 villes, 53 vont pouvoir lancer leur appel à projets au plus vite. La ministre espère un tir groupé au mois de juin de manière à coupler les financements et donner à l’opération une "visibilité maximale". Les communes recevront 30.000 euros de subvention pour la couverture des frais des appels à projets. Les 58 autres, à un stade moins avancé de leur réflexion, bénéficieront d’un "accompagnement spécifique pour affiner leur projet et assurer à terme leur concrétisation, avec des moyens financiers et en ingénierie supplémentaire", précise le ministère.
Parmi les projets envisagés, 14 concernent des friches industrielles, 3 des marchés locaux, 4 d’anciennes casernes, 26 des bâtiments historiques, 13 des espaces publics, 6 d’anciens hôpitaux ou Ephad et 43 des îlots bâtis. La coordination du programme a été confiée à la secrétaire permanente du Puca (Plan urbanisme construction architecture) Hélène Peskine, architecte urbaniste, sous la responsabilité du directeur du programme Action cœur de ville, Rollon Mouchel-Blaisot.

"Des poumons pour nos territoires"

L’organisation de ces deuxièmes rencontres Coeur de ville, à la fin du Grand Débat national, n’est pas anodine. "On est à une étape très importante du programme. (…) Ces villes sont des poumons pour nos territoires. Or le pays traverse un moment de vraie gravité", a déclaré Julien Denormandie, le ministre chargé du logement. L’absence de véritable politique d’aménagement du territoire a été au coeur du Grand Débat depuis des semaines. Pour de nombreux observateurs (à l’instar de l’Association des petites villes de France), la crise des gilets jaunes est l’illustration des fractures territoriales autant que sociales, entre la France des métropoles et la "France périphérique", la "France des ronds-points". Mais le gouvernement fait valoir qu’il n’y avait pas eu de politique spécifique pour les villes moyennes depuis une quarantaine d’année. Pour le ministre chargé des collectivités territoriales, Sébastien Lecornu, le succès des métropoles est déjà un début de "rééquilibrage" du territoire, un demi-siècle après "Paris et le désert français". "Le véritable enjeu est la France des préfectures et des sous-préfectures", a-t-il dit, rappelant que la dernière politique en faveur des villes moyennes remontait à Valéry Giscard d’Estaing. "Le Grand Débat a bel et bien montré le besoin impérieux de nos concitoyens d'une très grande forme de proximité", a-t-il poursuivi, alors que "2019 est la phase opérationnelle pour Cœur de ville". "Cette dimension de communauté, on l’assume complètement, on recrée du lien entre élus, avec l’État et entre les mondes du public et du privé", a-t-il déclaré, rappelant qu’un "speed-dating" doit être organisé en juin entre élus et représentants des "grands opérateurs de la distribution, du cinéma…" Cette image de communauté fait un peu grincer les maires non partie prenante du plan (sachant que plusieurs rapports récents évoquaient un besoin de revitalisation de 600 à 700 centres). Jacqueline Gourault a rappelé que le gouvernement travaillait à un programme Centre bourg spécifique "pour les villes d’un niveau démographique plus petit, qui parfois peinent à toucher 10.000 habitants mais qui sont des pôles de centralité pour leur territoire". Sans donner plus de précision. "Depuis des décennies la 'centralité' a été quelque peu négligée", a déclaré la ministre.

Quartiers culturels créatifs

Comme pour la journée de Poitiers organisée par la Banque des Territoires en décembre, les maires étaient conviés à participer à des ateliers thématiques, autour de retours d’expériences (Douai, Morlaix, Niort…). Preuve de l’importance donnée par le gouvernement au programme : quatre ministres ont fait le déplacement, au côté des partenaires financeurs (Banque des Territoires, Action logement et Anah) et de deux grands témoins, l’académicien Erik Orsenna et l’économiste Olivier Bouba-Olga, de l’université de Poitiers. "Pendant trop longtemps, quand on pensait développement des territoires, on cherchait le modèle. Avec Action cœur de ville et les territoires d’industrie, on est en train de changer" de façon de faire, a concédé celui-ci, appelant à "sortir des modes et des modèles" et des logiques de concurrence entre les territoires. Une "course à l’armement" mortifère, selon lui.
Alors que la culture a un peu été mise au second plan depuis le lancement de ce plan, le ministre de la Culture, Franck Riester, a annoncé le lancement prochain d’un autre appel à manifestation d’intérêt visant à déployer dans les centres des "quartiers culturels créatifs", avec l’objectif d’aider les commerces et les espaces culturels en se rassemblant dans des "espaces patrimoniaux". En clair, il s’agirait d’installer des tiers-lieux culturels (avec des galeries artisanales et d’art, des librairies…) dans des friches. C’est un peu ce qu’a essayé de faire Agnès Le Brun à Morlaix (Finistère) avec "L’estival festival". "Faire revenir des commerces ne suffira jamais à faire revenir de nouveaux habitants", a insisté la vice-présidente de l’Association des maires de France (AMF), insistant sur "la qualité de vie au quotidien". "Il faut ajouter un supplément d’âme."

De nombreux élus, dont Caroline Cayeux, maire de Beauvais (et présidente de Villes de France) en ont profité pour dénoncer le zèle des architectes des Bâtiments de France (ABF). "Les ABF ont permis de sauver bien des patrimoines, ce sont souvent des remparts contre les excès, pour les élus c’est aussi une sécurité", a nuancé le maire de Saint-Flour (Cantal) Pierre Jarlier, dont la ville a passé un partenariat avec l’école d’architecture de Clermont-Ferrand depuis 2013 (école dont il est sorti diplômé). Alors que le nouveau dispositif Denormandie d’investissement dans l’ancien est salué, Pierre Jarlier a attiré l’attention sur le besoin d'aide aux primo-accédants.
Sur le terrain, on sent les premiers balbutiements. "Je commence à voir les effets de cette politique entamée par nos prédécesseurs, a témoigné le maire de Niort (Deux-Sèvres) Jérôme Baloge. Depuis un an, les agences me disent que des personnes demandent à venir en centre-ville. C’est très nouveau."

 

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