Climat et Résilience : le projet de loi entre les mains de la commission spéciale à l’Assemblée
La commission spéciale de l’Assemblée nationale a bouclé, dans la soirée du 11 mars, l’examen du premier volet thématique du projet de loi Climat et Résilience qui, sous l'intitulé "consommer", aborde des sujets intéressant les collectivités en matière d'éducation, de réglementation de la publicité et de prévention des déchets. Mais le marathon ne fait que commencer pour venir à bout des quelque 5.200 amendements déposés à ce stade, représentant autant d’occasions de ferrailler, avant le passage dans l’hémicycle à partir du 29 mars.
Les députés ont entamé, ce 8 mars, par la discussion générale, l’examen en commission spéciale du projet de loi Climat et Résilience, issu des propositions de la Convention citoyenne pour le climat (CCC), en présence de la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, et sous la présidence de Laurence Maillart-Méhaignerie (LREM). Un marathon qui devrait s’étaler sur deux semaines, week-end compris, de façon à venir à bout des quelque 5.200 amendements déposés, avant le passage en hémicycle prévu à partir du 29 mars. Un certain nombre ont déjà été déclarés irrecevables par le président de la commission des finances au titre de l’article 40 de la Constitution, en particulier ceux qui créent des charges, et qui ne peuvent être gagés. L'ancienne ministre de l'Ecologie Delphine Batho (non inscrite) ainsi que l’ex-marcheur Matthieu Orphelin se sont en outre alarmés de "l'interprétation brutale des dispositions de l’article 45 de la Constitution" qui permet d’écarter les amendements sans lien avec le texte. Une "stricte et vigilante application" qui tient compte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, s’est expliquée la présidente de la commission spéciale, prenant l’exemple de la loi Asap, dont près d’un article sur cinq a été censuré sous la bannière des "cavaliers législatifs".
Des conditions d’examen difficiles
Plus encore, ce sont des conditions ubuesques d’examen qui ont été dénoncées par plusieurs députés d'opposition ou non inscrits. "La commission compte 71 membres et la jauge est limitée à 47 places" pour respecter les règles sanitaires, s’est ainsi scandalisé le député Jean-Marie Sermier (LR), déplorant que des députés n’aient pas pu rentrer pour défendre leurs amendements. Pour l'examen en hémicycle, un temps programmé de 45 heures a été fixé, mardi 9 mars, en conférence des présidents de l’Assemblée. Ce temps, réparti entre les groupes politiques va mécaniquement réduire à la portion congrue les interventions des députés non-inscrits. Cela revient tout bonnement "à priver les écologistes de temps de parole en séance", a réagi Delphine Batho, regrettant également qu’au même moment (du 9 au 11 mars) se tienne l’examen en séance publique du projet de loi constitutionnelle relatif à la préservation de l’environnement, "privant un certain nombre de députés n’ayant pas d’hologrammes d’y participer".
Trop ou pas assez loin
La ministre, Barbara Pompili, s’est tenue à l’écart de ces polémiques insistant sur la solennité de l’instant alors que "nous nous apprêtons à écrire une nouvelle page de l’histoire de notre pays". "Il ne s’agit plus seulement d’embarquer 150 citoyens dans la transition écologique mais 67 millions de Françaises et de Français", a-t-elle insisté, satisfaite du "chemin de crête" trouvé à travers les 69 articles du texte. "Lorsque je relis une nouvelle fois ce projet, je trouve que la volonté de transformer la vie des Français, l’ambition écologique, l’esprit de la Convention y sont bien présents", a t-elle ajouté, balayant les critiques de certains qui "diront que l’on pourrait aller plus vite, plus loin", tout comme ceux au contraire, "qu’il faut arrêter d’embêter les Français". Et sans surprise les déçus sont nombreux dans le camp de l’opposition. Jean-Marie Sermier (LR) y voit tout au mieux "quelques pages qui s’ajoutent dans le code de l’environnement", constatant que "nous ne sommes pas à la hauteur des attentes". Pour les socialistes, c’est également "la déception qui l’emporte" à la lecture du projet de loi et des 600 pages de l’étude d’impact. "Bien sûr, il n’est pas question de tout rejeter en bloc, car certaines mesures vont dans le bon sens, mais je suis frappé par l’écart entre l’emphase qui caractérise votre communication (…) et la réalité des mesures contenues dans ce texte", a estimé Guillaume Garot, y relevant en particulier "l’absence de justice sociale". Et ce d’autant que "ce projet de loi ne nous permettra pas d’atteindre nos objectifs pour le climat", a-t-il ajouté en écho "de tous ceux qui se sont exprimés, ces dernières semaines, pour nous rappeler à l’ordre – le Conseil d’État, le Conseil économique, social et environnemental, le Haut Conseil pour le climat, la Convention citoyenne pour le climat, et même le cabinet de conseil Boston Consulting Group (BCG)". "Tout ça… pour ça", s’est exclamée la députée LFI Mathilde Panot pointant "des lacunes, comme l’absence scandaleuse de mesures sur les forêts" ou sur le volet de l’eau, sujets sur lesquels "nos amendements ont été jugés irrecevables". François-Michel Lambert, député Libertés et Territoires, s’est dit prêt à "pousser plus loin l’ambition de ce texte afin de permettre à notre pays de rattraper son retard dans la transition bas-carbone (…) même si 63% de nos amendements ont été jugés irrecevables". Tandis que Hubert Wulfranc (GDR) a taclé un projet de loi "brouillon, source de nouveaux malentendus et, peut-être pire, de confrontations, alors que la transition écologique est indispensable, mais dans la justice sociale". Ce texte "sera jugé sur un unique critère : celui de son efficacité. Il devra donc être appliqué le plus rapidement possible après sa promulgation", a de son côté réagi le rapporteur général, Jean-René Cazeneuve (LREM, Gers). Au préalable, il a tenu à remettre les choses au clair sur la polémique née à la suite du décalage entre les propositions de la Convention citoyenne pour le climat et le contenu du texte : "certains ayant vu dans la Convention un instrument de démocratie directe, ce qu’à mon sens elle n’était pas (…) ce fut une instance de consultation et non de décision", le Parlement étant "souverain".
Tous les articles du titre Ier "consommer" porté par la rapporteure Aurore Bergé (LREM, Yvelines) ont été adoptés en commission, moyennant quelques correctifs apportés notamment en matière de régulation de la publicité, pour préciser le champ de l’article 7 sur les enjeux de pollution lumineuse, laisser aux collectivités la possibilité de prévoir des exemptions dans la mise en place du dispositif "Oui pub" (article 9) ou en revanche pour adopter une rédaction "plus volontariste" de l’article 11 sur le vrac dans les commerces de détail.
Informer, former et sensibiliser les consommateurs (chapitre I)
- Education à l’environnement et au développement durable (article 2)
Après avoir enrichi l’article 1er visant à rendre obligatoire un affichage environnemental des biens et services, la commission spéciale a adopté l’article 2 relatif à l'éducation à l'environnement et au développement durable, nouvelle mission du service public de l’enseignement, en insistant sur les enjeux de préservation de la biodiversité "terrestre et marine", et ce "y compris dans les territoires d’outre-mer", au terme de plusieurs amendements. Elle devra permettre aux élèves non seulement de comprendre les enjeux environnementaux, sociaux et économiques du développement durable, mais également les "savoir-faire", c’est-à-dire à la fois sensibiliser les jeunes à privilégier les objets ayant un bon indice de réparabilité mais aussi à s’assurer qu’ils puissent acquérir des compétences et habiletés manuelles leur permettant de réparer certains objets grâce à des savoir-faire spécifiques, cultivés et développés tout au long du parcours éducatif. C’est évidemment le ministère de l’éducation nationale qui supervisera "les contenus, les modalités et la cohérence du déploiement de l’éducation à l’environnement et au développement durable dans le cadre scolaire", clarifie un autre amendement porté par la rapporteure.
Enfin l'ajout d'un alinéa à l'article L. 312-9 du code de l’éducation relatif à la formation à l'utilisation des outils et des ressources numériques prévoit d’y inclure "une sensibilisation à l’impact environnemental du numérique ainsi qu’un volet relatif à la sobriété numérique".
- Elargissement des missions du comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté (article 3)
Aurore Bergé a proposé de réécrire entièrement l’article afin que le comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté - constitué au sein de chaque collège et lycée - soit l’espace de conception, de dialogue et d’animation de tout projet inscrit dans le cadre des objectifs de développement durable, qui couvrent les problématiques environnementales, mais également de santé, d’éducation à la sexualité, à l’alimentation, comme de citoyenneté.
Encadrer et réguler la publicité (chapitre II)
- Interdiction de la publicité pour les énergies fossiles et dispositif de co-régulation des annonceurs (articles 4 et 5)
C’est un des sujets sensibles abordés par le projet de loi, gauche et écologistes jugeant le texte pas assez volontariste dans la régulation de la publicité des "produits polluants", prévue à travers l'article 4 qui pose l’interdiction de la publicité pour les énergies fossiles et l’article 5 qui promeut un code de bonne conduite publicitaire, sous l’égide du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), - sur le modèle de ce qui a déjà été fait avec la "charte alimentaire" -, dans le but de réduire la publicité pour les produits ayant un impact négatif sur l’environnement. A l’inverse les élus LR y voient une atteinte disproportionnée au droit de la publicité pour les entreprises, en particulier pour les constructeurs automobiles. Des clarifications sont attendues en séance grâce aux prochaines conclusions de la mission confiée à Arnaud Leroy, président de l’Ademe et à Agathe Bousquet, présidente du groupe Publicis, sur les engagements volontaires du monde de la pub.
En commission, un amendement d’Aurore Bergé est d’ores et déjà venu préciser que les publicités interdites sont celles en faveur de la vente d’énergies fossiles, et non celles en faveur des produits utilisant ces énergies. "Pas question demain d'interdire les publicités en faveur du secteur automobile", a réagi la rapporteure, qui relève d'ailleurs une tendance à des publicités pour "les véhicules propres" . Les sanctions prévues en cas de non-respect de l'interdiction de la publicité pour les énergies fossiles ont été renforcées, sur proposition du député Buon Tan (LREM). En cas d’infraction, l'amende pourra atteindre la moitié du montant consacré à la publicité illégale, voire le total en cas de récidive.
Un article additionnel (introduit par un amendement LREM après l’article 5) charge également l’autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), en lien avec le CSA, de publier un rapport annuel mesurant l’impact environnemental de la consommation des médias audiovisuels télévisés ou à la demande.
- Décentraliser la police de la publicité (article 6)
Le texte fait du maire (ou président d’EPCI) la seule autorité de police compétente en matière de publicité extérieure, que la commune dispose ou non d’un règlement local de publicité (RLP). Delphine Batho, a plaidé aux côtés des élus socialistes et GDR, pour la suppression de cet article, qui pourrait générer, estiment-ils, "une législation à deux vitesses" : des communes dont le maire souhaite faire respecter le code de l’environnement et le RLP, et des communes dont le maire n’a pas la volonté ou les moyens de le faire, en particulier pour les plus petites d’entre elles. Le Modem proposait une solution de compromis consistant soit à inclure dans le champ du dispositif uniquement les communes d’au moins 3.500 habitants et les EPCI d’au moins 50.000 habitants, soit à rétablir la possibilité pour le préfet de se substituer au maire ou au président de l’EPCI défaillant. Ces amendements ont tous été repoussés en commission. En revanche, sur proposition du rapporteur général, Jean-René Cazeneuve et de la rapporteure thématique, Aurore Bergé, le texte permet au président de l’EPCI de convoquer une "conférence des maires" de son territoire afin d’éviter de trop fortes disparités entre communes voisines dans l’exercice de ce pouvoir de police.
- Réglementer les publicités et les enseignes à l’intérieur des vitrines (article 7)
Autre disposition polémique, celle permettant au maire (ou au président de l’EPCI), via le RLP, de réglementer les publicités et les enseignes situées à l’intérieur des vitrines des commerces lorsqu’elles sont destinées à être visibles depuis une voie ouverte à la circulation publique, en limitant leur emplacement, leur surface ou leur hauteur ou encore, pour les publicités et enseignes lumineuses, en prescrivant des règles d’extinction spécifiques permettant de réaliser des économies d’énergie et de prévenir les nuisances lumineuses. La réaction des fédération de commerçants ne s’est pas fait attendre provoquant une levée de boucliers en particulier des agents immobiliers et administrateurs de biens. Plusieurs députés LR en ont demandé la suppression arguant notamment de l’intrusion dans l’aménagement d’une propriété privée et d’une atteinte à la liberté du commerce, comme l’a indiqué le Conseil d’Etat dans son avis, et en déplorant un nouveau coup dur pour le commerce de proximité et les centres-villes déjà fragilisés. Cette mesure ne fait pas partie des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, qui proposait d’interdire plus spécifiquement les écrans publicitaires numériques. Certains socialistes, le député Charles de Courson de Libertés et Territoires, et même des marcheurs, à l’exemple des députés Guillaume Kasbarian et Stéphane Travert, ont fait état d’arguments identiques pour en soutenir la suppression, sans plus de succès.
Des points de difficulté que la rapporteure Aurore Bergé a néanmoins repris pour proposer non pas de supprimer l’article mais tout le moins d’en limiter la portée "aux seules publicités et enseignes lumineuses, qui ont l’impact le plus fort à la fois en termes de pollution et de nuisance visuelles, de dégradation du cadre de vie et de consommation énergétique". La commission a aussi entériné un amendement complémentaire supprimant la possibilité, pour le RLP, de soumettre ces publicités et enseignes à autorisation préalable du maire. "En exemptant de formalités préalables la réglementation relative aux vitrines, cet amendement vise à éviter de créer une charge administrative supplémentaire pour les commerçants comme pour les collectivités concernées", s’est expliquée la rapporteure.
- Fin des publicités tractées par avion (article 8)
Afin d’accélérer le déploiement de cette mesure proposée par la CCC, la commission prévoit d’inscrire directement dans la loi l’interdiction des avions publicitaires, la rapporteure jugeant cette "pratique anachronique et préjudiciable pour l’environnement".
- Expérimentation "Oui pub" (article 9)
Après l’autocollant "Stop pub" estampillé sur les boites aux lettres, le projet de loi instaure le dispositif expérimental "Oui pub" consistant à interdire la distribution à domicile d’imprimés non adressés à visée commerciale sauf autorisation expresse. Afin d’en assurer une mise en œuvre "en adéquation avec les réalités de chaque territoire", le texte laisse aux collectivités qui mettront en place l’expérimentation la possibilité de prévoir des exemptions pour certains secteurs, en particulier le secteur culturel et la presse, au terme d’un amendement défendu par Jean-René Cazeneuve et Aurore Bergé. La rapporteure a d’ailleurs également proposé d’exclure les échantillons contenus dans la presse et de préciser que les publications de presse ne constituent pas un échantillon à l’article 10 du projet de loi qui prévoit d’interdire la distribution d’échantillons aux consommateurs. Au-delà des conséquences sur l’emploi et les comportements des consommateurs, l'expérimentation de "Oui pub" devra permettre d’évaluer les impacts "sur les secteurs d’activités les plus concernés" (commerce, industrie papetière, imprimeurs, distributeurs d’imprimés…), précise un autre amendement porté par le député Jean-Marie Sermier (LR). Depuis le 1er janvier le non-respect du dispositif "Stop pub" est passible d’une amende de 1.500 euros. Un durcissement introduit par la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (Agec) dont la rapporteure souhaite évaluer "l’impact sur la distribution d’imprimés publicitaires non adressés", dans un rapport remis au Parlement, dix-huit mois après son entrée en vigueur, soit au plus tard le 1er juin 2022.
Développer la vente en vrac et la consigne de verre (chapitre III)
- Obligation de vente en vrac pour les commerces de détail (article 11)
Les moyennes et grandes surfaces (de 400 m2 et plus) seront tenues d'y consacrer 20% de leurs rayons au 1er janvier 2030 (ou l'équivalent en chiffre d'affaires ou nombre de références). L’amendement défendu par la rapporteure transforme ainsi l'objectif programmatique de ventes en vrac, prévu initialement par le texte, en lui donnant "une portée normative", tout en ouvrant des options aux professionnels concernés. Il leur appartiendra de choisir la démarche qui leur convient le mieux : une part de leur surface de vente, ou une partie des produits référencés dans leur commerce, ou bien encore les produits correspondant à un pourcentage de leur chiffre d’affaires. Les taux seront définis par décret, mais le dispositif encadre le futur texte réglementaire "afin qu’il soit tenu compte des spécificités de chaque catégorie de produits, des précautions indispensables à l’égard des clients et des personnels concernés, et des adaptations qui vont devoir être opérées par tous les secteurs professionnels", précise l'exposé de l'amendement. Seuls les commerces de détail et les produits de grande consommation seront concernés, ce qui a l’avantage selon la ministre, de cibler les produits ayant "un potentiel de vente sans emballages", comme "les produits alimentaires et d’entretien", et d’exclure notamment "les articles de bricolage, les meubles, les livres, les vêtements".
- Dispositif de consigne pour le réemploi du verre (article 12)
Attentive à "l’inquiétude des filières", Aurore Bergé a proposé la réécriture de cet article en corrélant le développement de la consigne en verre à la démonstration d'un bilan environnemental vertueux du dispositif, notamment pour tenir compte "de la distance de transport parcourue par les emballages pour être réemployés". Autre clarification de bon sens : elle ne s’appliquera qu’aux produits mis sur le marché en France. Ces dispositifs de consigne pour réemploi du verre seront en outre pris sur la base d’une évaluation réalisée par l’observatoire du réemploi et de la réutilisation prévu par la loi Agec. "Il n'est pas question de mettre en fragilité un certain nombre de filières", a assuré Aurore Bergé, alertée par le député LREM et ancien ministre de l'Agriculture, Stéphane Travert, notamment sur le cas du "champagne", qui ne peut pas supporter deux fois le même niveau de pression à défaut de quoi la bouteille explose.