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Chambres de commerce de l'hyper-ruralité : un avenir en pointillés

L'inspecteur général des finances François Werner a trois mois pour trouver des solutions pérennes sur l'avenir des 17 CCI de la ruralité profonde.

Trois mois pour sauver les 17 chambres de commerce de l’industrie (CCI) de l’hyper-ruralité. C’est la mission délicate que François Werner (inspecteur général des finances, maire de Villers-lès-Nancy et vice-président de la région Grand Est) s’est vu confier par le gouvernement, alors que l’inquiétude monte chez ces dernières. En effet, le projet de loi de finances pour 2019 présenté lundi contient bien la coupe de 100 millions d’euros de taxe pour frais de chambre, sur un total de 400 millions d’euros prévus d’ici à 2020, à charge pour les CCI de compenser le manque à gagner en facturant leurs services autres que les missions d'intérêt général. Une nouvelle saignée qui pourrait être fatale aux plus rurales d’entre elles.

Tsunami

En amont du début de l’examen du projet de loi Pacte à l’Assemblée (ce mardi 25 septembre) qui prévoit de faciliter le recours à la facturation, les ministres de l'Économie et de la Cohésion des territoires, Bruno Le Maire et Jacques Mézard, ont convié leurs représentants* la semaine dernière pour trouver un terrain d’entente et évoquer des pistes. Les deux ministres ont ainsi cherché à conforter ces CCI "dans leur rôle d’animation et de développement économique des territoires ruraux". Ils veilleront, assurent-ils dans un communiqué, "à ce que la rationalisation envisagée du réseau consulaire, notamment grâce à la mutualisation, permette le renforcement indispensable des chambres de proximité pour le développement des territoires ruraux". "Ils ont compris qu’il fallait nous mettre à l’abri du tsunami. Sinon, nous ne passerons pas le 1er janvier 2019, nous serons morts d’ici là", avertit Thierry Julier ,le président de la CCI de Lozère, pour qui le manque à gagner en taxe pour frais de chambre pourrait être de 160.000 euros sur un budget annuel total de 2 millions d’euros. De nombreux emplois de permanents sont en jeu. Et, selon lui, les solutions proposées aux autres CCI ne sont pas adaptées à leur situation. "On nous demande de facturer certaines prestations, mais nous avons à faire à de petites TPE, des commerces, des boulangeries, etc. qui ont souvent des difficultés et qui payent déjà la taxe pour frais de chambre. Et puis on va entrer en concurrence avec d’autres entreprises qui font déjà ce travail. Si vous faites cela à Mende, vous ne traversez plus la rue."

Seuil minimum d'activité consulaire

Le gouvernement demande aussi aux CCI de céder des actifs (comme il le fait pour lui-même). "Mon actif, c’est un vrai passif, tranche Thierry Julier. On ne peut pas valoriser l’immobilier de la ruralité. Quand on parle de palais consulaire, il ne faut pas confondre notre situation avec celle de Paris, Lyon, Marseille ou Bordeaux. On n’a pas de palais Potocki chez nous."
Pour ce qui est de la mutualisation, "nous avons déjà fait des efforts dans ce domaine, pour la gestion courante, les frais de gestion, les achats, etc. Notre capacité à aller plus loin est limitée".
Les CCI avaient aussi proposé une fusion avec les chambres des métiers et de l’artisanat, ce que Bruno Le Maire n’a pas souhaité.
Les CCI rurales se disent cependant prêtes à faire des économies, mais elles attendent des solutions pérennes. Thierry Julier s’entretiendra le 3 octobre avec François Werner. Il défendra l’idée d’un "seuil minimum d’activité consulaire" (Smac), un socle d’activités de bases qui pourraient être inscrites dans la loi. "On demande le financement a minima dans chaque département, d’un conseiller pour l’industrie, un conseiller pour le tourisme, un pour l’innovation, un pour le commerce… On va calibrer les effectifs dont nous avons besoin", indique-t-il. "On est aidé par Bernard Cazeneuve qui avait dit qu’aucune préfecture ne devait avoir moins de 95 collaborateurs."

Action cœur de ville

Les deux ministres semblent prendre cette direction quand ils disent que les CCI doivent s’investir "pleinement dans l’appui aux commerces et à la revitalisation des centres villes, notamment dans le cadre du programme Action cœur de ville, porté par le ministre de la Cohésion des territoires, mais aussi dans les maisons de service au public et les tiers-lieux, et dans l’accompagnement à la transition numérique". La CCI de Lozère a déjà pris les devants en participant à "une coopérative de centre-ville",à Mende (retenue dans le plan gouvernemental Action coeur de ville). L’idée : regrouper en une même coopérative l’ensemble des acteurs concernés par la revitalisation du cœur de ville (élus, commerçants, artisans…) afin de prendre des décisions ensemble. Pour Jacques Mézard, "les CCI rurales conforteront leur ancrage départemental en s’impliquant dans les projets comme Action cœur de ville". Elles "doivent se réinventer pour ne pas disparaître". "La péréquation doit permettre de les accompagner en leur donnant les moyens de cette transformation." Ce serait enfin l’occasion de faire vivre la recommandation du sénateur socialiste de la Lozère Alain Bertrand qui, en 2013, dans un rapport retentissant, avait demandé de "prendre en compte l’hyper-ruralité" dans toutes réformes envisagées…
À défaut, les présidents de ces CCI n’excluent pas de rendre leur tablier. Menace déjà brandie par le président de la CCI des Hautes-Alpes, Eric Gorde.  "Nous sommes des chefs d’entreprise, nous avons une vie accomplie, nous nous sommes investis dans notre CCI car nous sommes attachés à notre territoire", rappelle Thierry Julier. "Demandez-nous des choses raisonnables, mais ne nous demandez pas d’être des fossoyeurs, adresse-t-il au gouvernement. On ne fera pas ce travail. Il est évident que nous partirons et vous gèrerez le creusement de la tombe." 

* Alpes-de-Haute-Provence, Hautes-Alpes, Ariège, Aveyron, Cantal, Corrèze, Creuse, Gers, Indre, Haute-Loire, Lot, Lozère, Haute-Marne, Meuse, Nièvre.