Catastrophes naturelles : le Sénat adopte la proposition de loi visant à réformer le régime d'indemnisation
Tout en pointant les insuffisances du texte face au changement climatique, le Sénat a adopté à l'unanimité ce 21 octobre une proposition de loi MoDem soutenue par le gouvernement qui vise à simplifier et renforcer le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles. En commission comme en séance, il a apporté de nombreuses retouches au texte qui a déjà été voté en première lecture à l'Assemblée en janvier dernier. Sur tous les bancs, les sénateurs ont regretté que les députés et le gouvernement ne se soient pas saisis de la proposition de loi sur le même sujet votée par la chambre haute dès janvier 2020.
La réforme tant attendue du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles suit un parcours particulièrement sinueux au Parlement. Après l'adoption au Sénat, en janvier 2020, d'une première proposition de loi directement inspirée des travaux de sa mission d’information relative à la gestion des risques et à l’évolution des régimes d’indemnisation, l'Assemblée nationale s'est saisie du sujet à travers une proposition de loi du député Modem Stéphane Baudu et de plusieurs de ses collègues qu'elle a adoptée le 28 janvier dernier.
"Temps perdu"
Même si les défenseurs de ce nouveau texte ont mis en avant leur volonté de s'appuyer sur la proposition de loi sénatoriale, les sénateurs qui ont été amenés à l'examiner en séance ce 21 octobre, ont regretté que les députés et le gouvernement ne se soient pas saisis de la proposition de loi qu'ils avaient votée dès janvier 2020. "Que de temps perdu !", s'est exclamée Nicole Bonnefoy, rapporteure pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et auteure de la proposition de loi sénatoriale. "C’est la deuxième fois en deux ans que le Sénat se prononce sur les catastrophes naturelles, a-t-elle souligné. Ma proposition de loi était très proche de celle de Stéphane Baudu. Je regrette profondément l’attitude du gouvernement et de l’Assemblée nationale. Près d’un an s’est écoulé entre le vote - à l’unanimité des présents - de ma proposition de loi et le dépôt de celle-ci. La majorité présidentielle a sans doute voulu s’accaparer le travail sénatorial à peu de frais." Pascal Martin, également rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, a exprimé son "sentiment général mitigé" sur le texte qui comporte selon lui "des avancées en matière de transparence, d’indemnisation et d’accompagnement des maires", mais souffre d'une "ambition insuffisante" et "aurait pu prendre en compte les travaux de la mission d’information sénatoriale".
"Refonte équilibrée" du régime "catnat"
Le Sénat a néanmoins voté, avec des modifications, le texte émanant de l'Assemblée qui, selon le ministre chargé des PME Alain Griset, "propose une refonte équilibrée" du régime dit "catnat", institué en 1982. La proposition de loi prévoit ainsi plus de transparence pour la procédure de déclaration de catastrophe naturelle par l'Etat, clé de voûte du système, et entend faciliter l'accès au recours gracieux. Entre autres mesures concrètes, elle prolonge le délai de déclaration d'un sinistre et intègre dans le périmètre de la garantie les frais de relogement d'urgence des personnes sinistrées dont la résidence principale est insalubre ou présente un danger. La proposition de loi institue aussi un "référent" au niveau du département, pour accompagner les élus locaux dans leurs démarches après une catastrophe naturelle et met en place une "Commission nationale consultative des catastrophes naturelles". En cas de sècheresse, elle allonge de 18 à 24 mois le délai dont disposent les communes pour transmettre leur demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle.
Elle renforce la politique de prévention et l'indemnisation des personnes victimes du phénomène de "sécheresse-réhydratation" des sols qui peut fissurer les habitations. Mais pour les sénateurs, la prise en compte de ces dommages très coûteux, et qui risquent de devenir plus fréquents avec le réchauffement de la planète, reste très insuffisante. "48% du territoire métropolitain est à risque moyen ou fort" de retrait-gonflement des argiles, a souligné la rapporteure LR de la commission des finances, Christine Lavarde.
Nouvelles mesures pour mieux appréhender le phénomène de retrait-gonflement des argiles
De son rapport, la commission des finances a déjà adopté le 13 octobre plusieurs amendements notables. Les sénateurs ont ainsi voulu rendre obligatoire la mention, par l’arrêté interministériel de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, des voies et délais de l’ensemble des recours possibles, et non pas uniquement ceux applicables aux recours gracieux. Ils ont aussi prévu l’intervention du référent auprès des communes, même lorsque celles-ci n’ont pas vu leurs demandes de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle satisfaites. Ils ont voté pour la création d'une cellule de soutien aux collectivités territoriales dans chaque département.
Ils ont en outre porté de deux à cinq ans le délai de prescription au cours duquel l’assuré peut exiger de l’assureur le règlement de l’indemnité qui lui est due, en cas de catastrophes naturelles et réduit d’un mois à dix jours le délai dont dispose l’assureur pour verser l’indemnisation due à compter de la réception de l’accord de l’assuré sur ce montant.
Ils ont également voulu améliorer l’appréhension du phénomène de retrait-gonflement des argiles (RGA) par les pouvoirs publics. Cela doit passer par l’établissement d’une liste des EPCI à fiscalité propre les plus exposés à ce phénomène – cet aléa fort, représentant au total 12.405 communes, soit 35,2% des communes ; l’obligation, pour le préfet de département, de réaliser un schéma de prévention des risques naturels majeurs spécifiquement pour ces territoires exposés au RGA, alors que l’élaboration de ce schéma est actuellement une faculté, et la réalisation d’une cartographie locale, à la maille intercommunale, par le référent qui a été institué par le texte au niveau du département, afin d'avoir une connaissance plus fine des effets potentiels de ce phénomène ; l’intervention d’un décret pour préciser les conditions dans lesquelles les habitants des zones concernées pourront être accompagnés dans la connaissance de la vulnérabilité de leurs biens (diagnostic) et le renforcement de la résilience de leurs habitations.
En commission toujours, les sénateurs ont également voté la création d'un crédit d’impôt pour la prévention des aléas climatiques (CIPAC), qui permettrait aux particuliers de déduire de leur impôt sur le revenu des dépenses engagées pour réaliser des travaux éligibles à ce financement, dans le but d’améliorer la résilience du bâti aux effets des catastrophes naturelles.
Précisions sur le rôle du futur référent
D'autres amendements ont été votés en séance publique le 21 octobre. Les sénateurs ont encore voulu préciser le rôle du référent à l’indemnisation des catastrophes naturelles dont la tâche est d’assister les collectivités, les particuliers et les entreprises ayant subi une catastrophe naturelle dans la gestion de leurs conséquences, et particulièrement de les accompagner dans la mobilisation des différents dispositifs juridiques et financiers destinés à indemniser les sinistrés. Ils sont revenus sur le texte de la commission en précisant qu'il ne dispose pas de mission en matière de gestion de crise qui relève de la compétence exclusive des autorités municipale et préfectorale, pas plus qu'en matière de connaissance et de prévention des risques naturels, qui incombe à d’autres services et structures administratives, notamment à la commission départementale des risques naturels majeurs, ni dans la mise en œuvre du fonds de prévention des risques naturels majeurs ou Fonds Barnier.
Les sénateurs ont aussi voté la création d'un portail internet unique, régulièrement mis à jour, permettant d’informer l’ensemble de la population sur l’exposition du territoire national aux risques naturels, les moyens de prévenir ces risques, la gestion de crise et l’indemnisation des sinistrés. En outre, ils ont fixé à 21 jours le délai dont dispose l’assureur pour verser l’indemnisation due à compter de la réception de l’accord de l’assuré sur ce montant.
Les sinistrés pourront disposer, en plus du rapport d’expertise final, d’une trace écrite des constatations effectuées par les experts à l’occasion de chaque visite. L’assureur devra aussi informer explicitement l’assuré de son droit à se faire accompagner par un expert de son choix. Les sénateurs ont aussi rendu susceptible de recours devant le bureau central de tarification (BCT) tout refus de souscription du contrat socle qui aurait pour origine l’importance du risque de catastrophe naturelle, étendu le régime de la garantie obligatoire pour cause de tempêtes et catastrophes naturelles aux orages de grêle et permis le classement en catastrophe naturelle des échouages importants d’algues sargasses aux Antilles. Ils ont aussi précisé la date d’entrée en vigueur des dispositions du texte, en prévoyant de laisser un délai de douze mois aux assureurs pour modifier les contrats des biens couverts par le régime des catastrophes naturelles. Enfin, pour clore l'examen des articles, ils ont adopté un amendement du sénateur écologiste Ronan Dantec visant à renommer le texte "proposition de loi visant à définir les dispositions préalables à une réforme de l'indemnisation des catastrophes naturelles". "Ce texte permet des avancées, mais il n'est nullement la réforme en profondeur du régime d'indemnisation des dommages liés aux catastrophes naturelles dont nous aurions pourtant besoin, a justifié Ronan Dantec. Un titre plus modeste serait plus sincère..."
Sénateurs et députés doivent maintenant tenter de s'accorder sur un texte commun en commission mixte paritaire.