Catastrophes naturelles : le Sénat adopte en séance la proposition de loi sur le financement du régime d'indemnisation
Le Sénat a adopté en séance publique ce 29 octobre la proposition de loi de refonte du mode de financement du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, fragilisé par l'explosion des sinistres climatiques.
Le Sénat a adopté en séance publique ce 29 octobre la proposition de loi de Christine Lavarde (LR-Hauts de Seine) "visant à assurer l'équilibre du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles" dit "CatNat". Ce texte, qui découle des travaux menés par Christine Lavarde au nom de la commission des finances (lire notre article) et s'inscrit dans le sillage des réflexions menées dans le cadre du rapport sur les problèmes assurantiels des collectivités territoriales et de la mission relative aux inondations de 2023 et du début de l'année 2024, entend réformer un dispositif créé il y a plus de quarante ans et aujourd'hui menacé par la fréquence et l'intensité des catastrophes dues au changement climatique. Pour rappel, ce régime, qui est géré par la Caisse centrale de réassurance (CCR) et bénéficie d'une garantie illimitée de l'État, a vocation à couvrir les risques naturels "inassurables" par le seul secteur privé et intègre notamment les inondations, les séismes, les cyclones (outre-mer) ainsi que le risque de retrait-gonflement des argiles (RGA). Il est financé par une taxe sur les contrats d'assurance (la "surprime CatNat") qui ouvre droit à une "garantie CatNat" obligatoire dans tout contrat garantissant les dommages aux biens et en particulier dans l'assurance multirisques habitation. Cette garantie entre en jeu lorsque l'état de catastrophe naturelle a été déclaré par arrêté, la demande de reconnaissance devant être effectuée par la commune dans un délai de 24 mois après l'événement.
Une sinistralité en très forte hausse
"En 2023, plus de 2 milliards d'euros de primes CatNat ont été collectés, pour couvrir entre 1,6 et 3 milliards d'euros de dommages - tous n'ayant pas été évalués, a rappelé Christine Lavarde. Ces montants sont très inférieurs au coût global des sinistres climatiques, soit 6,5 milliards d'euros, car certains biens, notamment ceux des collectivités locales, ne sont pas assurés par ce régime." "En 2024, la trajectoire est encore plus mauvaise : sur les six premiers mois, le coût de la sinistralité climatique augmente de 20%, a poursuivi la sénatrice. Depuis neuf années consécutives, le régime CatNat est en déficit - à hauteur de 703 millions d'euros en 2023." Et les perspectives sont très sombres puisqu'on estime à 40% la hausse de la sinistralité due au changement climatique à l'horizon 2050 tandis le seul coût de la sinistralité "sécheresse" représenterait 43 milliards d'euros entre 2020 et 2050 contre 13,8 milliards d'euros au cours des trente années précédentes.
Pour la commission des finances du Sénat, l'augmentation du taux de la "surprime" prélevée sur tous les contrats d'assurance habitation des ménages, qui passera de de 12 à 20% au 1er janvier 2025, ne permettra pas de garantir l'équilibre du régime sur le long terme. Sans remettre en cause cette décision, la proposition de loi de Christine Lavarde entend "automatiser" la revalorisation de cette surprime à partir de 2027, sur la base d'un coefficient revu tous les trois ans en fonction de l'évolution de la sinistralité. "Cela évitera ce qu'on va tous connaître sur nos factures le 1er janvier : un saut très important. Car depuis plus de dix ans, on n'a pas augmenté ce taux, alors même que les coûts de sinistralité s'envolaient", a assuré la sénatrice, en espérant un examen rapide du texte par l'Assemblée nationale.
Le mécanisme a été approuvé très largement par la chambre haute, à l'exception d'une partie de la gauche qui a accusé la droite de "faire la part belle aux assureurs et un peu moins aux sinistrés", selon l'écologiste Ghislaine Senée. Les groupes écologiste et communiste se sont d'ailleurs abstenus. Le gouvernement a en revanche "pleinement" soutenu la proposition du Sénat, jugée "acceptable et juste" par Marie-Agnès Poussier-Winsback, ministre déléguée à l'Économie sociale et solidaire.
Désaccords sur le fonds Barnier
Les sénateurs ont également voté un large volet sur la prévention des risques, trouvant notamment un compromis avec le gouvernement sur la mise en place d'un "éco-prêt à taux zéro" (PTZ) pour permettre aux particuliers de mettre en oeuvre des travaux de prévention des risques. Le gouvernement a obtenu l'adoption d'un amendement pour que l'éco-PTZ destiné à financer les travaux de prévention face au retrait-gonflement des argiles (RGA) cible les résidences principales construites avant 2020 et que le champ des travaux finançables soit précisé, en attendant la parution d'un décret en fixant la liste. Plusieurs désaccords ont néanmoins émergé, notamment sur le fonds Barnier, créé en 1995 par l'actuel Premier ministre et dédié au financement de travaux pour réduire la vulnérabilité de bâtiments exposés aux catastrophes naturelles.
Michel Barnier a annoncé sa revalorisation de 75 millions d'euros, pour atteindre 300 millions d'euros en 2025. Mais de nombreux parlementaires estiment que le montant cible devrait être de 450 millions d'euros, si l'on suit le mode de financement historique de ce fonds, basé lui aussi sur la "surprime CatNat"... et donc sur les contrats d'assurance des particuliers. "C'est presque comme un impôt innommé, c'est comme mentir aux assurés", a déclaré à l'AFP Christine Lavarde, qui promet de revenir sur le sujet lors des débats budgétaires de l'automne. Un "tour de passe-passe financier" également dénoncé par le groupe écologiste de l'Assemblée nationale dans un communiqué lundi.
Plusieurs amendements concernant de près les collectivités
Parmi les amendements adoptés en séance qui intéresseront les collectivités, les sénateurs ont voulu compléter la composition de la commission interministérielle de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle chargée de donner un avis sur chaque dossier de demande. Pointée pour son "manque de pluralisme" par les sénateurs SER, à l'origine de l'amendement – elle comprend seulement quatre directeurs généraux du budget, des outre-mers, de la sécurité civile et du Trésor -, elle devra compter "au moins deux titulaires de mandats locaux et deux membres représentants des associations de sinistrés (…), à l’image de la Commission nationale consultative des catastrophes naturelles qui, elle, comprend de tels représentants".
Dans un délai d’un an suivant la promulgation de la loi, le gouvernement devra remettre au parlement un rapport évaluant la possibilité d'élaborer un cadre administratif permettant une procédure d'instruction accélérée des travaux de réparation des biens immobiliers des collectivités territoriales endommagés par une catastrophe naturelle tout en favorisant leur reconstruction de manière plus résiliente, propose un amendement sénatorial reprenant l'une des recommandations du récent rapport de la mission d'information sur les inondations de 2023 et du début 2024. Un autre amendement défendu par les sénateurs SER vise à donner aux collectivités locales la possibilité d’intégrer le risque RGA dans les documents d’urbanisme. Le même groupe de sénateurs a obtenu l'adoption d'un amendement visant étendre le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles aux échouages massifs d'algues sargasses, un phénomène qui touche tout particulièrement les Antilles.