Caméras intelligentes, la Cnil pointe la difficulté du recueil du consentement
Alors que les collectivités sont inondées de propositions pour installer des caméras "intelligentes" pour "sécuriser" le déconfinement, la Cnil remonte au créneau pour alerter sur les dérives potentielles. Elle appelle surtout les pouvoirs publics à mieux encadrer ces dispositifs, l'expression du consentement des personnes filmées s'avérant particulièrement problématique.
Début mai, la Cnil s'était émue de la multiplication des caméras thermiques au sortir du confinement (notre article). Elle rappelait que ces systèmes techniques manquaient de fiabilité et n'avaient pas l'aval des autorités de santé car la température n'est pas un indicateur suffisant pour suspecter un cas de covid-19. Elle dénonçait aussi des outils pouvant contribuer à stigmatiser à tort des personnes présentant des températures atypiques. Dans un article publié le 17 juin, la Cnil s'en prend d'une façon plus large aux caméras pour contrôler la température, le port du masque ou la distanciation sociale. Autant de systèmes dont "le développement incontrôlé présente le risque de généraliser un sentiment de surveillance chez les citoyens, de créer un phénomène d’accoutumance et de banalisation de technologies intrusives, et d’engendrer une surveillance accrue, susceptible de porter atteinte au bon fonctionnement de notre société démocratique".
Des dispositifs devant rester exceptionnels
La Cnil place du reste ces dispositifs sur le même plan que la reconnaissance faciale. Fondées sur la captation d'images d'individus, ces caméras contribuent selon elle à rompre l'anonymat dans l'espace public et entravent la liberté d'aller et de venir en s'immisçant dans les transports, les commerces et les lieux de travail. Le contrôle de la distanciation sociale ou du port du masque partagent en outre avec la reconnaissance faciale une mise en œuvre ne nécessitant qu'une mise à jour logicielle, sans changement visible pour l'usager dans l'espace public. Consciente du caractère inédit de la crise sanitaire, la Commission ne se prononce pas formellement contre les caméras intelligentes. Elle demande en revanche que "les dispositifs légalement mis en œuvre dans cette période soient considérés comme exceptionnels et restent proportionnés aux objectifs particuliers de cette période". La réglementation voudrait ainsi qu'au nom du principe de proportionnalité, les organisations analysent au préalable la palette des alternatives possibles pour aboutir à la même finalité et que ces systèmes, qui traitent de données sensibles, fassent l'objet d'une étude d'impact sur la vie privée.
Le "non de la tête" insuffisant
Si la Cnil rappelle les règles en vigueur, c'est qu'"il lui apparaît qu’une grande partie des dispositifs ne respectent pas le cadre légal". Faut-il pour autant s'attendre à des sanctions ? La menace n'est pas mentionnée par une Commission qui ne voudrait pas être suspectée de nuire à la lutte contre la pandémie. En outre, la Cnil reconnaît qu'il y a un vide juridique sur les caméras intelligentes pour l'expression du consentement. Elle estime que "faire non de la tête" pour exprimer un refus n'est "pas satisfaisant du point de vue de la protection des intérêts des personnes" et se révèle "peu praticable dans les faits". Elle considère ce geste comme non conforme au RGPD sans pour autant proposer d'alternative… Demandant une réglementation plus adaptée - sur laquelle planche l'Europe dans le cadre de ses travaux sur la reconnaissance faciale et une V2 du RGPD - elle se borne pour le moment à appeler les organisations à la "vigilance" et à "ne pas pérenniser les instruments de surveillance par caméras dans les lieux publics ou ouverts au public". Reste à savoir quand la menace pandémique pourra être considérée comme définitivement écartée.