Brexit : "Aux collectivités d'anticiper et de faire preuve de créativité !"
Loïg Chesnais-Girard, président du conseil régional de Bretagne mais aussi du groupe de contact mis en place par le Comité des régions avec les collectivités britanniques, salue l'accord conclu par l'UE avec le Royaume-Uni, "qui a permis d'éviter les catastrophes", mais déplore son "absence de dimension régionale". À court terme, la pêche dans les eaux des îles anglo-normandes et la situation de Brittany Ferries sont ses principales sources de préoccupation. Il se félicite en revanche de l'avancée des travaux conduits avec l'État sur le Feader.
Localtis : Le groupe de contact Comité des régions / Royaume-Uni mis en place en septembre dernier afin de conserver les liens tissés entre collectivités locales, que vous présidez, a tenu sa première réunion "post-Brexit" le 11 janvier dernier. Qu'en ressort-il ?
Loïg Chesnais-Girard : Cette réunion – la troisième depuis la constitution du groupe – était surtout la première depuis la conclusion de l'accord du 24 décembre. Cet accord a été un soulagement, même si nous déplorons son absence de dimensions régionale – entre parenthèses, nous regrettons de même la décision de gérer la réserve d'ajustement au Brexit à l'échelle des États membres, et non des régions comme le proposait le Comité des régions*. Nous restons plus que jamais mobilisés pour qu'il en aille différemment dans les prochaines négociations. Michel Barnier est toujours attentif à nos demandes, il a d'ailleurs assisté à l'une de nos réunions. Mais le chantier reste ouvert. À court terme, relevons que l'accord a permis d'éviter les catastrophes. Il existe bien évidemment des frictions çà et là, notamment dans le domaine de la pêche, avec par exemple des matières premières qui n'arrivent pas dans le port de Lorient. Mais il faut souligner que son contenu est bien plus favorable que ce que nous escomptions. Le président Macron a tenu bon, il faut le reconnaître.
Pour autant, il faut avoir en tête que tout ne va pas continuer comme avant : c'en est fini d'Erasmus outre-Manche, les programmes Interreg doivent être revus, etc. Si, au sein du groupe, notre objectif est de maintenir les liens tissés depuis des décennies entre les collectivités de chaque côté de la Manche, il nous appartient d'inventer de nouvelles manières de faire. Nous y serons de toute façon contraints puisque de nouveaux problèmes vont sans nul doute progressivement apparaître. Je crains que les examens quinquennaux n'engendrent un climat d'incertitude pour toutes les parties. À nous d'anticiper et de faire preuve de créativité. Notre chance est de pouvoir le faire au sein de ce groupe sans être pollué par les tensions et crispations que l'on retrouve à d'autres échelles.
De quelle nature sont les frictions que vous évoquez en matière de pêche ? Toujours les licences des mareyeurs ?
La question de ces licences est en cours de résolution. La question relève de Londres et de Bruxelles, qui gère leur attribution. Pour l'heure, la principale difficulté réside pour nous dans le fait que l'accord a fait tomber le traité de pêche en baie de Granville, ce qui a créé quelques remous. Conclu entre le Royaume-Uni et la France en 2000, il régissait les modalités de pêche dans la baie de Granville, à proximité de Jersey. Désormais, les licences des pêcheurs français pour accéder aux eaux des îles anglo-normandes sont attribuées par ces dernières, et soumises à des conditions d'antériorité. Les négociations sont particulièrement âpres avec Jersey, qui refuse pour l'heure de reprendre telles quelles les dispositions du traité. La difficulté de prouver l'antériorité des bateaux dans les eaux concernées est particulièrement difficile pour les bateaux de moins de 12 m., qui ne sont pas géolocalisés.
Comme président du conseil régional de Bretagne, quel est aujourd'hui le principal défi posé par le Brexit ?
À ce jour, mon principal sujet de préoccupations, c'est Brittany Ferries, victime à la fois du choc Brexit et du choc Covid. Le régime de cette compagnie, qui a son siège à Roscoff, est singulier : ce sont les collectivités bretonnes et normandes (principalement les régions, mais aussi les départements et CCI) qui sont propriétaires des bateaux, loués à la compagnie. Elle, reste détenue par des coopératives agricoles bretonnes, la compagnie ayant été créée pour transporter outre-Manche les productions agricoles bretonnes. C'est un modèle robuste, stabilisateur, qui nous permet d'employer des marins français – la compagnie est d'ailleurs le premier employeur de marins français. Brittany Ferries, ce sont près de 3.000 emplois directs, et évidemment des retombées pour de nombreux territoires : Saint-Malo, Cherbourg, Le Havre…
L'annonce par Londres de la création d'au moins dix ports francs dans les prochaines semaines a relancé en France le débat sur ces zones franches. Y êtes-vous favorable ? Et que devient le dossier des autoroutes de la mer ?
S'agissant des autoroutes de la mer, le chantier, conduit par la Commission européenne, est toujours en cours. Pour notre part, en concours avec la métropole de Brest et la CCI, nous nous employons à promouvoir la candidature du port de Brest, qui est un port important couvrant toutes les dimensions de l'activité portuaire. Quant aux zones franches, nous ne sommes pas demandeurs.
Représentant de Régions de France, vous co-présidez avec le ministre de l'Agriculture les comités État- régions consacré à la gestion du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) ? Où en est-on ?
Nous avons tenu mi-janvier une nouvelle réunion avec Julien Denormandie pour travailler sur la programmation opérationnelle et ses équilibres – notamment afin de définir la répartition des enveloppes de l'État et des régions pour les contreparties devant être apportées aux fonds du Feader. La relation de travail est bonne, le ministre joue le jeu. Mais il doit conduire en parallèle les négociations avec les autres États-membres. L'arrivée est encore loin, mais l'on avance sereinement.
* Ndlr : Loïg Chesnais-Girard a depuis cet entretien été désigné rapporteur de ce texte pour le Comité des régions.