Villes moyennes : comment remettre le vélo sur de bonnes voies
Depuis deux décennies, si les cycles tiennent le haut du pavé dans les métropoles, la dynamique est différente dans les villes françaises de taille intermédiaire. Au manque de chaussées dédiées, s’ajoutent parfois des freins psychosociaux. Des communes, notamment labellisées Action Cœur de Ville, ont décidé de changer de braquet et de faire des efforts en prenant des initiatives. Tour de France du renouveau de la « petite reine ».
Dans les villes entre 10 000 et 100 000 habitants, la pratique du vélo s’effectue principalement dans un cadre de loisirs. C’est un des enseignements d’une étude de longue haleine, Pratiques et usages du ville dans les villes moyennes, récemment publiée par Transdev (filiale de la Caisse des dépôts), en coopération avec l’association d’élus Villes de France, l’Ademe et la Banque des Territoires.
Pendant un an et demi, douze villes sélectionnées à travers le pays (voir la carte) ont fait l’objet d’ateliers de travail et de groupes d’études pour élaborer cette enquête nationale, afin de comprendre pourquoi, dans les villes moyennes, les personnes utilisent (ou non) le vélo dans leurs déplacements quotidiens ; et comment en favoriser une pratique accrue et diversifiée.
Car, pour l’heure, le constat est plutôt négatif, selon le document réalisé par Transdev : « Si la France a connu une croissance de 28 % de trajets réalisés à vélo entre 2019 et 2021, cet essor cache des disparités importantes. Les territoires ruraux et les agglomérations de taille intermédiaire n’ont pas vécu le même essor que les métropoles ».
Or, ces villes réunissent des dizaines de millions de Français et seront un des pivots d’une transition écologique aboutie. « L’image de modernité, de responsabilité écologique et de liberté de déplacement associée à la pratique du vélo n’est pas l’apanage des métropoles », souligne Guillemette Pincent, experte territoriale à la Caisse des dépôts - Action Cœur de Ville.
Plusieurs facteurs en freinent le développement dans les villes intermédiaires : les distance entre domicile et travail, la localisation des emplois, parfois la topographie, mais surtout la prépondérance prise par les véhicules motorisés depuis des décennies, ainsi que des voiries peu ou pas adaptées aux cycles…
Un haut potentiel de « cyclabilité »
La situation est-elle à un pivot ? Sans doute. 67% des personnes interrogées par Transdev indiquent en effet « pratiquer le vélo au moins occasionnellement », ce qui est comparable à la moyenne nationale (même si cette pratique est moins régulière dans les villes moyennes).
Au-delà de la place accordée à l’automobile et à l’aménagement des chaussées, l’usage régulier du vélo est pénalisé par des mécanismes « invisibles », d’ordre psychologique et sociologique, tels que le sentiment de sécurité lorsque l’on circule sur un cycle, la maîtrise de celui-ci, la relation au corps et au mouvement...
« Cela tient aussi à des normes sociales, généralement matérialisées par des références à un manque de ‘culture vélo’, à ce que l’on pense que les autres jugent bien de faire », pointe l’étude.
Sur la base du travail de terrain mené dans les douze villes de l’échantillon, le document recommande de mener un effort de long terme lié à la « visibilité du vélo » dans l’espace public, avec un travail de fond pour réduire les freins psychosociaux et un rééquilibrage de la voirie au profit des cycles.
Urbanisme tactique
Et Guillemette Pincent d’abonder : « Les villes moyennes ont la possibilité de développer d’emblée des structures ‘légères’ et peu coûteuses, comme le fait de tester des aménagements temporaires qui donnent plus de place aux usagers de la bicyclette, de sensibiliser et de former des personnes de tous âges et milieux sociaux, de créer des animations et des fêtes du vélo, de mettre en place des formules de prêts ou de locations longue durée de vélos ».
Tout cela pouvant être instauré en quelques semaines ou mois, à moindres frais comparé aux transformations « lourdes » de la voirie pour sécuriser des carrefours ou créer des pistes cyclables.
Vélo & Action Cœur de Ville
Partie intégrante de la transition écologique, le développement des mobilités décarbonées est une des douze priorités du programme Action Cœur de Ville opéré par la Banque des Territoires. Dans ces plus de 240 communes labellisées partout en France, la Banque soutient les initiatives en faveur du vélo sous trois formes : le cofinancement d’études de mobilités écologiques, les prêts financiers et le soutien aux expérimentations.
Financements
Des villes comme Aurillac, Saint-Quentin, Lons-le-Saunier, Macon ou Gonesse, ont bénéficié d’un cofinancement pour leurs plans stratégiques de mobilités décarbonées, avec des études qui tiennent compte de leurs topographies, densités et caractéristiques socioéconomiques.
Prêts financiers
Pour des villes comme Meaux, Bergerac, Bastia ou Bayonne, la Banque des Territoires a financé des emprunts destinés à la création de pistes cyclables urbaines, pensées en priorité pour les habitants et leurs besoins de circulation – et ce, en complément des vélo-routes touristiques pouvant exister à proximité.
Soutien aux expérimentations
« Nous sommes également intervenus pour cofinancer des expérimentations liées aux usages du vélo, classique ou électrique, dans les villes moyennes, comme ce fut le cas à Troyes, Longwy et Louviers, en s’adaptant aux spécificités de la commune : ville englobant une partie haute et basse, couplage du vélo avec des bus dotés de châssis pour leur transport », précise Guillemette Pincent.
Car, plus qu’un moyen de locomotion, le vélo s’insère dans des pratiques sociales et touche aux questions d’inclusion, de qualité de vie, d’habitat, d’éducation – formation, de travail, de commerce…
« Les communes de taille moyenne entament des réflexions sur la requalification de leurs entrées de ville, la redistribution des espaces et la diversification des zones artisanales, commerciales, industrielles. Et le vélo a toute sa place à prendre dans ces futurs aménagements urbains », conclut Guillemette Pincent.
Les douze villes étudiées par Transdev et Villes de France
Recommandations de l’étude
- Concentrer les actions sur les déplacements utilitaires courts (domicile - travail, achats de proximité, scolarité des enfants, trajets vers les lieux de loisirs).
- Valoriser les principaux facteurs de déclics (la santé, les économies réalisées, l’écologie).
- Concentrer les moyens sur quelques aménagements « légers », attrayants, avant de développer un réseau « lourd » dédié aux cycles.
- Combiner la location de vélos avec les dispositifs d’aide à l’achat et de formations, en proposant des services de « (re)mise en selle ».
- Mener des actions pédagogiques à l’école, au collège et au lycée, puis généraliser les formations au fil de l’avancement de la politique cyclable.
- Développer l’intermodalité entre vélo et transports en commun pour les déplacements au-delà de l’agglomération.
- Coopérer avec les sociétés immobilières, les bailleurs sociaux et les entreprises pour développer des stationnements de longue durée, à domicile et au travail.
- Soigner les aménagements des axes et des intersections à fort trafic, afin de sécuriser les cyclistes, quel que soit leur niveau de pratique.
Troyes met « Marcel » en selle
Depuis juin 2021, le service «Le Marcel à Vélo » propose en libre-location 80 cycles à assistance électrique, disponibles dans 28 stations réparties à travers 7 communes de l’agglomération de Troyes. Initialement pensé pour un usage touristique dans le centre, le service a été élargi à toute la population.
Les deux-roues, d’une autonomie minimale de 25 kilomètres, sont utilisables après inscription. Les coûts sont maîtrisés pour être accessibles au plus grand nombre. Labellisée Action Cœur de Ville, Troyes a bénéficié d’un prêt de la Banque des Territoires couvrant 40 % des 300 000 euros investis.
Un opérateur spécialisé dans le vélopartage
Fondé en 2009, Green On est un opérateur de vélos électriques en libre-service qui propose une offre de bout en bout pour les collectivités (fourniture des VAE, installation des stations, maintenance et supervision du parc, plate-forme Web).
Green On a équipé les communautés de communes du Gévaudan (Lozère) et de la vallée de l’Homme (Dordogne), les villes d’Alençon et de Lorient. En 2018, la Banque des Territoires est entrée au capital de cette entreprise qui compte 100 clients dans les secteurs publics et privés, 1 000 vélos déployés et 26 000 utilisateurs réguliers.
Guillemette Pincent
Experte territoriale à la Caisse des Dépôts
Après des activités d’enseignement et de recherche, Guillemette Pincent a rejoint la Caisse des Dépôts en 2009. Elle y a suivi différents programmes nationaux (PIA Ville de demain, NPNRU, Petites villes de demain). Elle travaille désormais dans l’équipe qui pilote le programme Action Cœur de ville.