Revitalisation rurale : comment conserver ou redonner vie au commerce dans les petites communes ?
Après les cités dortoirs, les villages dortoirs ? De nombreuses communes rurales voient leurs petits commerces disparaître, en raison de la transformation de nos modes de vie, de travail, de consommation. L’enjeu est alors de préserver un lieu qui recrée et recentre le lien social. De nouveaux modèles émergent pour ce faire, dont six exemples sont rassemblés dans l’ouvrage « Redonner vie au bistrot et dernier commerce dans les petites communes » publié en novembre 2022 par la Banque des Territoires : on y perçoit la grande créativité qui anime ces collectivités ainsi que l’implication de leurs habitants pour faire naître des lieux « multiservices ».
Le « multiservices » comme vecteur de lien social
La question du dernier commerce porte évidemment un enjeu fort de revitalisation rurale pour les petites communes, qui est bien plus large que celle de la seule activité économique. « Raisonner en termes de zone de chalandise n’est pas pertinent dans ces territoires très peu peuplés », rappelle Sylvain Baudet, expert en développement local et en ruralité à la Banque des Territoires. Quand les centres économiques se sont déplacés vers les centres commerciaux près des grands axes routiers, il s’agit d’abord de recréer du lien social, là où les modes de travail et de consommation ont éparpillé et déconnecté les habitants de leur lieu de domicile.
C’est pourquoi les six projets décrits dans la brochure Redonner vie au bistrot et dernier commerce dans les petites communes de la Banque des Territoires sont d’abord des initiatives endogènes par nature, initialement tournées vers leurs habitants.
Dans cette optique de préserver un lieu de vie, le modèle traditionnel du gérant qui dirige un bar-tabac dans le cadre d’un bail cédé par la mairie ne semble plus suffire. Comment faire vivre un bistrot si tous les habitants travaillent et/ou consomment en dehors du village ? Les collectivités sont obligées de faire preuve de créativité ! Notamment en proposant un bouquet de services qui vont attirer les personnes en un seul et même endroit, les faire se croiser, échanger, inventer ensemble. Après deux tentatives de réouverture du dernier bar, la mairie de Saint Sulpice-la-Forêt a ainsi concentré son appel à projets sur une offre qui concentrait bar, épicerie, restauration et animations culturelles. Comme l’explique le maire, « soit on repartait sur un modèle classique, soit on partait sur un modèle associatif innovant ».
Il n’y a pas de modèle type, les démarches s’adaptent en fonction des ambitions et des contraintes spécifiques au projet.
Innover pour fabriquer des lieux pluriels
Les six monographies regroupées dans l’ouvrage montrent bien que ces bars, épiceries et autres restaurants implantés au cœur de territoires ruraux sont des lieux de rencontre et de lien social, mais surtout des espaces :
- qui fédèrent des initiatives – d’où la volonté des parties prenantes d’inscrire l’offre dans la dynamique du territoire, en la connectant avec l’ensemble des réseaux d’acteurs. On trouve dans cette envie de « faire ensemble » le recours quasi-systématique à des producteurs locaux par exemple ;
- d’innovation sociale, comme « Le Guibra » à Saint Sulpice-la-Forêt (Ille-et-Vilaine), qui a mis en place un « arrondi solidaire » permettant aux clients de ce bar-restaurant-épicerie d’être plus accessible aux plus démunis.
Concentrer ces rôles multiples en un seul lieu permet de connecter ce dernier à d’autres dimensions du développement territorial : valorisation de la production locale, création culturelle, etc. Ce qui se reflète dans la multiplicité des statuts juridiques dépeints tout au long de l’ouvrage : « il n’y a pas de modèle type », souligne Sylvain Baudet, « les démarches s’adaptent en fonction des ambitions et des contraintes spécifiques au projet ».
L’association permet d’intégrer des bénévoles, souvent incontournables dans les premiers stades du projet, tandis que le statut de SCIC permet d’embarquer un panel plus large de sociétaires, de la collectivité elle-même aux salariés en passant par les habitants. Le modèle de la régie municipale, avec par exemple un projet bail porté par la mairie qui rachète, rénove et loue les locaux, continue de séduire car elle apporte une certaine sécurité, tandis que l’entreprise commerciale classique appelle davantage d’autonomie.
En miroir de ce large éventail juridique, le rôle des élus est lui aussi mis au défi de s’ouvrir à des potentialités nouvelles. Si les collectivités locales jouent toujours un rôle central, elles peuvent néanmoins avoir des fonctions très différentes : actionnaire (détenant des parts sociales dans une coopérative), gestionnaire direct, médiateur (assurant le bon dialogue entre les parties prenantes), investisseur bailleur, client privilégiant le prestataire local, etc. Autant de casquettes qui s’ajoutent à celle, évidente et tout aussi clé, d’autorité publique qui crée des places de parking, autorise l’ouverture d’une terrasse, aménage la voirie ou encore réduit la vitesse maximale sur une portion de route.
Rien n’est possible sans l’apport des habitants.
Impliquer les habitants et soigner les premières années
« Rien n’est possible sans l’apport des habitants, sans une forte implication citoyenne dans le projet, à différents niveaux », estime Sylvain Baudet. A Guipel (Ille-et-Vilaine), les trois porteurs de projets ont tenu à appliquer une approche participative dès la phase de préfiguration : les réunions publiques permettront alors d’identifier une quarantaine d’habitants volontaires pour s’impliquer dans des groupes de travail. Une fois ouvert « Le Café des possibles », les habitants sont aussi au rendez-vous pour la mise en rayon et la billetterie lors des concerts. À Saint Martin-Château, les habitants se sont organisés en association et mobilisés pendant deux ans en organisant de nombreux événements afin de tester le potentiel économique du bar-restaurant avant que la municipalité n’entame la recherche d’un repreneur. Une telle participation favorise à la fois l’acceptation du projet, la fréquentation du lieu, l’équilibre financier et le sentiment d’appartenance.
Autre facteur de succès, la capacité, pour la collectivité, à soutenir le projet de revitalisation rurale dans le temps, à tester différentes options jusqu’à ce qu’un modèle économique viable soit trouvé. « Surtout quand plusieurs tentatives ont échoué auparavant, il est important de ne pas arriver avec un esprit « clés en mains » », prévient Sylvain Baudet. « Souvent, on va beaucoup s’appuyer sur du bénévolat au départ, puis des contrats aidés, parfois des financements participatifs ». Il est donc absolument indispensable de pouvoir compter sur des élus qui vont pouvoir porter le projet dans sa phase initiale, la plus fragile, le temps de recréer des habitudes dans le village. Au « Guibra », l’activité a été testée pendant deux ans afin de définir les amplitudes horaires, les marges financières, les services les plus pertinents pour les habitants. Un test est rendu possible par le recours au bénévolat, à 100 % pendant les six premiers mois, puis par quatre emplois aidés.
D’où le recours à des tiers extérieur, neutre, pour un éclairage sur les modèles économiques, juridiques, participatifs.
La Banque des Territoires pour faire cheminer les collectivités dans leur démarche de revitalisation rurale
« Notre ouvrage a vocation à tirer les enseignements de ces six expériences afin de les mettre à disposition d’autres communes confrontées aux mêmes problématiques, et souvent démunies », explique Sylvain Baudet, dont les équipes sont régulièrement sollicitées par des collectivités.
Ensuite, de manière concrète autour d’un projet donné, la Banque des Territoires va mettre des experts à disposition des élus, qui vont jouer un rôle d’intermédiation et favoriser le dialogue entre les différentes parties prenantes, par exemple entre l’association qui porte le projet et la collectivité. En effet, ces réouvertures de lieux de lien social portent aussi un enjeu non négligeable de politique locale, pour des collectivités qui ont souvent perdu plusieurs compétences, transférées par exemple à l’intercommunalité. « D’où le recours à des tiers extérieur, neutre, pour un éclairage et favoriser l’appropriation des modèles économiques, juridiques, participatifs ».
Outre cet appui méthodologique pour accompagner la réflexion des collectivités, la Banque des Territoires aide également à structurer le projet de revitalisation rurale en amont : cartographier les acteurs intéressants et les dispositifs mobilisables, et se mettre en ordre de marche pour construire une vision partagée du lieu. Puis, une fois les partenaires identifiés, dans l’optique de créer un lieu articulant plusieurs activités différentes sans se disperser pour autant, elle aide à travailler sur un modèle de portage, de gouvernance, de génération de revenus. En somme, « nous partons de leur intention et ensemble nous cheminons vers un projet aux contours bien définis ».
Sylvain Baudet
Expert en développement local et en ruralité à la Banque des Territoires
Sylvain Baudet est expert développement territorial au sein du Département Appui aux Territoires de la Direction du Réseau de la Banque des Territoires dont il est le chef de projet transition alimentaire.
Dans le cadre du Service d’Ingénierie Territoriale qu’il a rejoint en 2015 et sous la marque Territoires Conseils, il met en œuvre une offre d’accompagnement en direction des collectivités du milieu rural et de leurs partenaires afin de les appuyer dans l’émergence et la structuration de projets valorisant les ressources locales, créateurs de valeur et s’inscrivant dans la logique de la transition écologique.