Grand âge : une approche globale au service des territoires et de la relance
En 2040, les plus de 60 ans représenteront près d’un tiers de la population française. Habituellement traitée sous l’angle médico-social, la question du vieillissement a peu à peu évolué vers le prisme du bien-vieillir, un sujet qui ne peut être appréhendé que de manière holistique. Décryptage des grands enjeux avec Loïc Rolland, en charge des sujets Grand âge et Autonomie au sein du groupe Caisse des Dépôts.
Remettre la personne âgée au centre et raisonner de manière globale
La société française exige du bien-vieillir pour ses aînés : il s’agit d’avancer en âge dans une certaine qualité de vie – en bonne santé et autonome le plus longtemps possible, à l’aise chez soi et partout sur le territoire. « Cette exigence recouvre trois grands sujets : le résidentiel, le lien social et le soin, alors que nous étions traditionnellement concentrés sur ce seul dernier aspect », observe Loïc Rolland.
En 2040, les plus de 60 ans représenteront près d’un tiers de la population française1.
Il ne s’agit plus de construire des logements là où le foncier s’y prête, mais de partir du besoin de la personne âgée dans un bassin de population donné, analyser son parcours de vie et concevoir un habitat qui y réponde. Intégrer par exemple que parmi les résidents d’un Ehpad ou d’une résidence autonomie ou seniors services, certains sont relativement autonomes et souhaitent se déplacer seuls, ou sortir avec leurs visiteurs : la localisation en périphérie des villes et en l’absence d’un tissu de commerces n’est donc pas adaptée pour eux.
La question du vieillissement s’envisage désormais comme un écosystème intégré, un continuum de services, en donnant la priorité à la prévention
Le raisonnement en silos n’est donc plus possible. Par exemple, l’adaptation des logements des personnes âgées doit faire l’objet d’un plan massif à l’échelle nationale, comme cela a été le cas avec succès pour la rénovation énergétique des logements. La collectivité tout entière bénéficierait ainsi à plusieurs égards de la réduction du nombre de chutes, première cause de mortalité chez les plus de 65 ans2. « La question du vieillissement s’envisage désormais comme un écosystème intégré, un continuum de services construit autour de la personne âgée, en donnant la priorité à la prévention ».
Un regard positif et pluriel sur la personne âgée
Le sujet du vieillissement a pris de l’ampleur à l’occasion de la canicule de 2003, mais uniquement sous l’angle médico-social. La notion de bien-vieillir, quant à elle, a émergé avec la Loi d’adaptation de la société au vieillissement (ASV) fin 2015. Cependant, alors que certains décrets d’application sont toujours en attente de parution, il aura fallu les grèves de personnels soignants, la pression médiatique autour des Ehpad et la crise de la Covid-19 pour mener au Ségur de la santé à l’été 2020. Outre les enveloppes de financement associées, cette consultation a permis une meilleure écoute et des partages d’expérience, qu’il s’agit désormais de lier et massifier pour faire système.
La personne âgée n’est pas un problème ni une difficulté, c’est une chance !
Et cette ambition s’inscrit pleinement au cœur de l’action publique, pour une simple et bonne raison : « la personne âgée n’est pas un problème ni une difficulté, c’est une chance : c’est a minima un consommateur, un bénévole, un aidant, un pilier de transmission intergénérationnelle », rappelle Loïc Rolland. Ce regard positif et pluriel a été la pierre angulaire des réflexions stratégiques menées par les entités du groupe Caisse des Dépôts (la Banque des Territoires en lien avec la Direction des Politiques Sociales) quant à ses actions en matière de vieillissement au cœur des territoires. Il permet en effet d’appréhender de manière plus pertinente les questions :
- de coût : alors que la retraite moyenne s’élève à quelques 1 400 euros mensuels3, un établissement d’accueil coûtant 2 000 euros par mois n’est pas soutenable à terme
- d’aménagement du territoire : un territoire qui accueille bien ses aînés gagne en attractivité. En particulier, les commerces ne doivent pas négliger cette cible
- de logement : un tiers des Ehpad a plus de 45 ans, les besoins de rénovation sont donc colossaux
- d’emploi : le secteur du grand âge emploie actuellement 830 000 personnes en équivalents temps plein, un chiffre appelé à croître de 20% d’ici 2030 – des emplois qui sont par nature non délocalisables
- de rapport à l’espace : on passe peu à peu d’un idéal de la maison individuelle à des logiques plus collectives et solidaires telles que l’habitat inclusif ou l’habitat intergénérationnel
C’est ainsi que bien avant le plan de relance, dont le groupe Caisse des dépôts lui alloue 26 milliards d’euros de fonds propres à flécher notamment au service des collectivités, la Banque des Territoires avait fait son autodiagnostic pour mieux servir l’enjeu du bien-vieillir. Lors de ses vœux aux collaborateurs du Groupe Caisse des Dépôts en janvier 2020, son Directeur général affirmait déjà que « le vieillissement et la dépendance sont l’une des priorités stratégiques 2020 du Groupe en résonnance avec les priorités du Gouvernement ». Une vraie impulsion pour travailler la lisibilité des offres, assouplir la doctrine de prêt et d’investissement, écouter davantage les territoires, organiser la montée en compétence des collaborateurs et des partenaires (élus, bailleurs sociaux, fournisseurs de services, etc.) sur le sujet afin de structurer une filière. Le secteur médico-social et la santé ont notamment fait l’objet de plusieurs séquences dédiées lors de l’Université des territoires qui s’est tenue fin janvier dernier. « Il y a des moyens, des compétences et une volonté de faire face aux besoins exprimés par les territoires ! », conclut Loïc Rolland.
A la fois à l’écoute et force de proposition pour les collectivités
Dans cette approche désormais très intégrée, la Banque des Territoires se positionne comme un assembleur de solutions. Cela dit, chaque projet comporte ses spécificités : « autant de territoires, autant de projets ! ». Les communes de montagne moyenne, les Outre-mer ou les quartiers prioritaires de la ville n’ont pas les mêmes besoins. La Banque des Territoires répond à cette complexité de deux manières. D’une part, en assouplissant sa doctrine afin de tenir compte des cas de figure particuliers, notamment Action Cœur de ville et Petites Villes de demain, et d’autre part en proposant des crédits d’ingénierie en amont des projets. Ces derniers – 25 millions d’euros sur le grand âge et 20 millions sur la santé, sur 5 ans – permettent aux collectivités locales, mutuelles, associations et autres partenaires de s’approprier le sujet et entamer une réflexion sur la manière dont ils souhaitent structurer la réponse à apporter sur leur territoire : ce sera pour certains une plateforme intégrant services à domicile et adaptation du logement, et pour d’autres des tiers-lieux dans les quartiers à destination des personnes âgées. Un autre enjeu de ces crédits d’ingénierie est de créer des plaques territoriales plus larges que la commune : ainsi un projet est-il en cours avec le ministère en charge de l’autonomie pour lancer un fonds d’appui aux départements.
Nous concevons avec les acteurs du vieillissement l’Ehpad de demain
Cet accompagnement en amont est très important car il permet à la Banque des Territoires de bien entendre les besoins des collectivités, et dans un second temps de pouvoir être force de proposition : « parfois on vient nous voir pour construire un Ehpad d’aujourd’hui et finalement, ensemble, nous concevons un Ehpad de demain, plus près de la demande des usagers et des familles ». La Banque des Territoires a réalisé en Bourgogne-Franche-Comté un montage innovant pour un Ehpad, qui a permis à l’Agence régionale de santé d’économiser une partie de la subvention prévue et de l’affecter alors à d’autres projets qui en avaient davantage besoin, permettant ainsi un effet levier maximum. Elle intervient également via CDC Habitat qui porte la plateforme multiservices gérontologique de Villiers-le-Bel en cours, préfiguration de l’Ehpad du futur, gérée par ARPAVIE.
En aval, la Banque des Territoires a créé ou renouvelé ses offres de prêts de long terme et d’investissement en fonds propres sur des périmètres variés qui contribuent tous à la qualité de vie des personnes âgées. C’est le cas de l’attractivité des métiers du médico-social, à travers la gestion de « Mon Compte Formation » ou encore la construction de centres de formation adaptés aux nouveaux usages numériques et aux nouvelles pratiques d’accompagnement (non médicamenteuses, bienveillantes, etc.).
Nos actions dans l’immobilier incluent la construction, l’acquisition ou la rénovation de résidences autonomie et d’établissements d’accueil, notamment en lien avec les bailleurs sociaux, mais aussi l’habitat inclusif et les initiatives innovantes dans le viager, telles que la coopérative de viager solidaire Les 3 Colonnes ou Viagévie. Bien évidemment, des financements importants sont aussi fléchés vers le développement de bouquets de services innovants et le numérique, qui permet d’orchestrer un parcours d’accompagnement fluide pour l’aidé et les aidants, allant du portage de repas aux activités de lien social et visites médicales. La Banque des Territoires a ainsi investi dans l’application de télémédecine TokTokDoc ou encore la plateforme de maintien à domicile Click & Care.
Quels que soient le stade d’intervention et le type de projets, nous veillons à nous inscrire dans une logique de continuum, en créant des passerelles entre la question du bien-vieillir et des enjeux connexes sur le territoire, comme la télémédecine, les maisons de santé pluriprofessionnelles, .... C’est ainsi que nous pourrons développer des initiatives réellement innovantes et pertinentes et participer ainsi à la structuration systémique du secteur.
1 https://www.insee.fr/fr/statistiques/3303333?sommaire=3353488
2 Les décès des personnes âgées pour chute concernent imperturbablement près de 10 000 personnes par an, alors que les décès pour accident de la route ont chuté de 18 000 à 3 200 par an grâce à la prévention (cf rapport Broussy – mai 2021)
3 https://www.insee.fr/fr/statistiques/3676670?sommaire=3696937
Loïc Rolland
Dans le groupe Caisse des Dépôts depuis 1990, Loïc Rolland a réalisé en 2020, en pleine crise de la COVID, une mission pour structurer sa politique d’intervention dans le champ du vieillissement. Il a ensuite intégré le département Grand âge et Santé de la Direction des Politiques Sociales et est membre du Comité de Direction de la Direction du Réseau de la Banque des Territoires. Loïc Rolland possède une longue expérience dans l’immobilier et le secteur médico-social. Il a notamment été directeur régional de la Caisse des Dépôts pendant neuf ans et dirigé pendant 4 ans ARPAVIE, premier groupe associatif de France gestionnaire d’établissements pour personnes âgées (10 000 résidents).