Formation industrielle : comment les écoles de production peuvent-elles être la solution ?

Besoins en compétences non pourvus, préparation des jeunes aux métiers de l’industrie du futur, mauvaise image du travail manuel et industriel auprès des plus jeunes. Si les défis de la formation industrielle sont nombreux, les surmonter devient aujourd’hui indispensable pour concrétiser les projets de réindustrialisation portés particulièrement par les Territoires d’industrie. Créées au XIXe siècle, les écoles de production ont toujours fait partie des solutions disponibles,  quoique discrètes. Leur approche très pratique, adaptée à des populations en échec scolaire, démontre pourtant plus que jamais leur pertinence. Pour compléter l’offre des 35 écoles de production existantes, la Banque des Territoires s’est fixée comme objectif d’accompagner la création d’une dizaine d’établissements supplémentaires, notamment dans le cadre de Territoires d’industrie. Vanessa Dequidt, responsable du développement à la Fédération nationale des écoles de production, fait le point sur cet instrument de formation complémentaire à l’offre existante. 

Formation industrielle : quels enjeux prioritaires ?  

Pilier de la réindustrialisation, le développement de la formation professionnelle industrielle a pourtant longtemps été relativement négligé dans les territoires. Si la loi “Avenir Professionnel” du 5 septembre 2018 a commencé à réorganiser le secteur et si le plan de Relance a démontré la volonté des pouvoirs publics de s’emparer de la question,  de nombreux freins restent cependant à lever. Pour les entreprises, il s’agit de pouvoir trouver les meilleures compétences au bon endroit, et donc d’avoir une politique de formation ambitieuse à l’échelle des territoires pour disposer d’ouvriers qualifiés ou très qualifiés. Autre défi : former aux compétences idoines pour préparer l’industrie aux défis de demain que sont la transformation énergétique et les enjeux de l’industrie 4.0, de la robotisation à la maintenance prédictive en passant par l’impression 3D. Enfin, le défi le plus important est sans doute de changer l’image de l’industrie et du travail manuel en général, non seulement chez les jeunes, mais aussi dans l’ensemble du système éducatif : nombre d’enseignants ou de conseillers d’orientation connaissent encore très mal les dispositifs d’apprentissage et de formation existants !  

Autant d’enjeux auxquels la dynamique nouvelle des écoles de production françaises peut apporter une réponse décisive. Créées sous l’impulsion d’entreprises qui peinent à recruter localement des jeunes, ces écoles forment les jeunes de 15 à 18 ans aux gestes de base de l’industrie et aux dernières technologies numériques, dans différentes filières industrielles, de l’usinage à la chaudronnerie en passant par l’assemblage automobile. Alors que l’on compte aujourd’hui 35 écoles de production différentes, la Fédération espère porter leur nombre à 100 ans d’ici 10 ans avec l’appui de la Banque des Territoires. La Banque des Territoires accompagne également en ingénierie la création de nouvelles écoles grâce au programme Territoires d’Industrie

 

Des écoles de production en phase avec les besoins locaux 

Chaque nouvelle école de production résulte des besoins exprimés par les entreprises d’un bassin d’emploi rayonnant dans une cinquantaine de kilomètres au maximum, aussi bien en main d’œuvre qu’en compétences clés. Fédérées et motivées, ces entreprises, industrielles ou non, donnent l’impulsion, co-financent certains aspects des projets et sont membres de fait des conseils d’administration des écoles de production. Avec à la clé des investissements conséquents.  

Pour une école de production à vocation industrielle, il faut compter en effet en moyenne entre 0,5 et 1,2 million d’euros pour le seul achat des machines – en panachant entre équipements traditionnels et de pointe. Ce fut ainsi le cas sur le Territoire d’industrie de Chalon-sur-Saône : l’école de production y est née en 2017 sous l’impulsion des entreprises industrielles du bassin d’emploi en recherche de compétences en matière d’usinage et de maintenance.  

« La force des écoles de production c’est de transmettre aux élèves des savoirs à la fois empiriques, grâce à des maîtres professionnels qui ont a minima dix ans d’expérience dans l’industrie, et des compétences dans des technologies de pointe – machines à commandes numériques, impressions 3D », résume Vanessa Dequidt.  

C’est en posant de telles bases, qui englobent les savoir-faire hérités de la culture industrielle aux technologies « dernier cri », que les élèves sont immédiatement opérationnels au terme de leur CAP ou de leur baccalauréat professionnel. L’enseignement alterne ainsi entre deux tiers de travaux pratiques en atelier, et un tiers de cours théoriques. 

 

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Une relation client – prestataire 

Depuis la reconnaissance de ces écoles par la loi de septembre 2018, le réseau s’étoffe rapidement. Quatorze créations sont ainsi en projet. Instauré par le gouvernement à l’été 2020, le Pack Rebond agit lui aussi en accélérateur. « Je reçois quatre à cinq appels par semaine d’industriels intéressés par notre modèle d’école », explique Vanessa Dequidt  

Pièce essentielle dans cette mécanique à succès ; les industriels passent commande directement aux écoles, soit de séries limitées, soit de prototypes (ces derniers étant moins rentables mais plus instructifs pour les apprentis). 

Les jeunes en formation se retrouvent ainsi en prise directe avec les réalités du métier, à l’école pratique de l’exigence. Encadrés par leurs maîtres professionnels, mais aussi guidés par leurs pairs de CAP ou de bac pro, ils apprennent à respecter jusqu’au micron près les standards de pièces ou de produits définis dans les cahiers des charges. 

« Nos écoles ne font aucune concession sur ces standards de qualité. En revanche, les plus récentes négocient parfois un allongement des délais, ce qui est normal vu que ces jeunes sont en formation et que leur établissement est encore en phase de rodage », précise Vanessa Dequidt. Au moment du confinement, les établissements se sont montrés inventifs pour maintenir le lien pédagogique avec les jeunes, en utilisant notamment des plates-formes d’enseignement à distance. « Un professeur est allé jusqu’à recréer un mini atelier dans son garage, dans lequel il a pu filmer et partager des tutoriels avec ses élèves ».  

Les jeunes intégrant une école de production ont en général entre quinze et dix-sept ans. Ne trouvant pas leur voie dans des filières trop théoriques, ils (et elles, pour 5 % environ des promotions) apprécient l’immersion dans un métier qu’ils connaissaient rarement avant d’être informés lors des présentations faites en collège ou forums des métiers. 

« Il faut casser les stéréotypes non seulement des jeunes sur les métiers industriels, mais aussi de leurs parents ! Lorsque tous réalisent que ces filières débouchent directement et rapidement sur des postes attractifs, avec des perspectives d’évolution, le résultat est là : plus de 95 % des jeunes en écoles de production obtiennent leur diplôme et trouvent aisément un emploi », conclut la responsable du développement. 

Ainsi, les écoles de production ne sont pas seulement une solution de formation mais constituent également un outil d’insertion pour les plus jeunes, avec à la clef un taux d’insertion professionnelle proche de 100% en fin de cursus.

« Une école de production vit par, pour et au travers des entreprises industrielles ». 

Roxane Pauty

Chargée d’investissement - Département Cohésion sociale et territoriale de la Banque des Territoires 

 

“Dans le cadre du programme Territoires d’industrie, la Banque des Territoires accompagne les structures de formation, de l’ESS ou non, et les acteurs de la formation professionnelle. Notre accompagnement s’articule autour de trois grands enjeux : une meilleure répartition de l’offre de formation sur le territoire, l’adaptation des compétences aux métiers de demain, notamment l’industrie du futur et un accompagnement des publics fragiles et éloignés de l’emploi vers la formation tels que les jeunes décrocheurs ou les actifs en reconversion.  

Pour la question de l’élévation du niveau de qualification, nous contribuons par exemple au développement des écoles de production, comme nous l’avons fait très récemment à Cholet où une EDP a ouvert en septembre 2020. En parallèle, nous accompagnons le Conservatoire National des Arts & Métiers (CNAM) dans son dispositif au cœur de territoires qui consistent à créer ou développer des centres de formation au plus près des territoires. Nous accompagnons également l’Agence pour la Formation Professionnelle des Adultes (AFPA) dans son projet de transformation. Enfin, nous intervenons pour le compte de l’Etat en gestion de mandats du Programme d’Investissement d’Avenir, c’est le cas pour l’appel à projet Campus des Métiers et des Qualifications (CMQ), qui tend à développer des pôles d’excellence dans les territoires : le CMQ “industrie du futur” en Occitanie en est un bon exemple.   

Pour concrétiser ces initiatives, la Banque des Territoires peut intervenir à différents stades des projets. En amont, via le Programme Territoire d’Industrie la BDT assiste les porteurs de projets, les institutions et les collectivités dans des missions de conseil et d’ingénierie. Nous identifions les projets les plus porteurs et nous finançons études de faisabilité ou d’études de marché, pour identifier notamment les besoins en emplois, compétences et formations, jusqu’à développer des catalogues de formations les mieux adaptées à chaque territoire. 

Pour les projets les plus matures et viables économiquement la BDT investit en fonds propres ou quasi-fonds propres dans des structures de formation à impact social et/ou territorial.  et nous opérons un ensemble de mandats pour le compte de l’Etat : Programme d’investissements d’avenir (PIA), le plan d’investissement dans les compétences (PIC)... L’ambition étant d’accompagner les mutations industrielles sur le territoire pour des territoires plus inclusifs et plus attractifs .” 

Vanessa Dequidt

Responsable du développement, Fédération de la formation nationale des écoles de production 

Diplômée en santé et psychologie, Vanessa Dequidt jouit de vingt ans d’expérience dans l’insertion professionnelle et sociale.