Comment accompagner les enjeux du tourisme dans les territoires de montagne ?
Février 2020 : Une station pyrénéenne se fait livrer 50 tonnes de neige par hélicoptère sur le bas de son domaine skiable. Une décision qui fait débat dans les médias et les réseaux sociaux, mais mobilise aussi les pouvoirs publics autour des enjeux climatiques et économiques des territoires de montagne. Fin 2020, le programme Avenir Montagnes est lancé. La Banque des Territoires y joue un rôle important d’accompagnement des collectivités en mobilisant toute sa palette d’intervention (ingénierie, prêt, investissement).
Les enjeux en montagne : de multiples transitions à mener de front
Economiquement portés depuis plusieurs décennies par le ski alpin, la plupart des territoires de montagne hébergeant des stations de sports d’hiver – et particulièrement ceux situés en moyenne montagne – sont aujourd’hui appelés à revoir leur modèle. Ils doivent faire face d’une part aux conséquences du réchauffement climatique qui affecte l’enneigement en nombre de jours et en superficie skiable, et d’autre part aux attentes des touristes pour une plus grande diversité d’activités possibles pendant leur séjour. Néanmoins, il s’agit aussi de conforter le ski, qui draine encore l’essentiel des ressources et est adossé à des infrastructures extrêmement coûteuses. Comme le rappelle Eric Guilpart, expert montagne et développement rural à la Banque des Territoires et coordinateur du Programme Avenir Montagnes, « le tout-ski c’est fini, mais sans le ski, tout est fini ». Il s’agit donc d’inventer non pas une alternative, mais des activités complémentaires de diversification (comme le thermalisme), permettant si possible d’étendre la saison. Cette évolution progressive vers un modèle toutes saisons peut toutefois requérir des investissements significatifs, et imposent une réflexion approfondie sur les modèles économiques des stations et de l’écosystème territorial.
Par ailleurs, comme le rappelle Caroline Dubois, Directrice territoriale à la Direction Régionale Occitanie de la Banque des Territoires, « le parc d’hébergement est souvent constitué de résidences anciennes dont l’essentiel des logements ont été acquis par des particuliers qui les occupent assez peu (moins de quatre semaines par an), ce qui entraine un phénomène de lits froids, et n’ont pas toujours procédé aux travaux de rénovation nécessaires à leur attractivité»., De plus, compte tenu de la pression foncière et environnementale, l’enjeu n’est plus aujourd’hui de construire de nouveaux logements, mais d’adapter autant que possible l’existant.
L’accessibilité et la mobilité dans les territoires de montagne sont plus difficiles, la saisonnalité est plus marquée
Au-delà des 350 stations de ski françaises, la question d’un tourisme plus durable dans les territoires de montagne concerne aussi l’ancrage local et les circuits courts, la préservation des ressources, la valorisation du patrimoine naturel, l’emploi (le tourisme de montagne porte 18 000 emplois directs et indirects). Des enjeux très spécifiques, comme le constate Marianne Delachaume qui, à la Direction Régionale Occitanie de la Banque des Territoires, accompagne la Région aussi bien dans son « Plan Montagne » que dans son « Plan Littoral 21 » : mer et montagne, l’une comme l’autre, ont cherché il y a quelques décennies à développer un tourisme de masse qui ne parait aujourd’hui plus adapté ni aux attentes des touristes ni au défi climatique. Néanmoins « l’accessibilité et la mobilité sont plus difficiles dans les territoires de montagne, les milieux naturels y sont très fragiles, la saisonnalité y est souvent plus marquée que sur le littoral, qui bénéficie notamment de la proximité de métropoles pour développer des activités à l’année. »
Le programme Avenir Montagnes : financements et ingénierie
Si la forte médiatisation de la livraison de neige par hélicoptère a accéléré la prise de conscience et généré une profonde réflexion dès la fin 2020 notamment à l’Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT), c’est la pandémie de la Covid-19 qui a déclenché le déblocage de fonds d’investissement pour non seulement soutenir, mais surtout accompagner à long terme les territoires de montagne. Ainsi le programme Avenir Montagnes comporte deux axes : investissement (300 millions d’euros financés à parts égales par l’Etat et les régions et 125 millions d’euros investis sur 5 ans par la Banque des Territoires dans les hébergements de loisirs) et ingénierie (31 millions d’euros dont 11 portés par la Banque des Territoires).
La Banque des Territoires s’est fortement impliquée dans le contenu du dispositif aux côtés de l’ANCT. Elle mobilise notamment une offre importante de prêts sur Fonds d’Epargne et le prêt de relance Tourisme qui sera pleinement utilisé pour soutenir l’économie touristique en montagne. Elle apportera également son savoir-faire en ingénierie territoriale, pour accompagner les 60 territoires qui auront été sélectionnés par les commissaires de massifs en octobre 2021 et avril 2022.
Il faut accompagner les chefs de projet dans des savoir-faire très concrets qui ont un impact direct sur la réussite des projets
Pour ces 60 territoires, la Banque des Territoires propose un accompagnement en management de projet (2,4 millions d’euros) pour aider les chefs de projets et accélérer la mise au point et l’organisation du projet de transition. « Nous proposons de les accompagner dans le pilotage de leur projet, leurs relations avec tous les acteurs (privés, Etat, acteurs locaux). Connaître l’environnement administratif, savoir écouter et convaincre des élus, maîtriser les problématiques spécifiques à la montagne, ce sont des savoir-faire très concrets qui ont un impact direct et primordial sur la réussite des projets », explique Eric Guilpart.
Outre cette aide méthodologique, la Banque des Territoires propose également 3 autres axes d’accompagnement :
- Appui aux territoires cibles avec des expertises sur des thématiques et des enjeux spécifiques de la transition (diagnostics de territoires et de moyens, définition de stratégies d’adaptation au changement climatique et aux mutations touristiques, mobilité, innovation, etc.) : 2,4 millions d’euros ;
- Contribution au développement d’outils favorisant le pilotage et la décision par la donnée développés par Atout-France (connaissance de l’immobilier) ou Météo France (données climatiques) : 1,2 millions d’euros ;
- Accompagnement à la rénovation et la transformation du parc d’hébergements touristiques (via un AMI piloté par France Tourisme Ingénierie associant Atout-France et la BDT) : 5 millions d’euros
Néanmoins, le financement est indissociable de l’ingénierie, qui permet de bâtir une vraie stratégie territoriale donnant de la perspective aussi bien aux territoires qu’aux investisseurs
Planter des graines
Cet accompagnement est absolument clé, notamment pour des petites communes portant des infrastructures lourdes et donc une dette élevée, mais ne disposant pas forcément en local des compétences nécessaires pour repenser sereinement leur modèle. « Bien sûr que nous jouons notre rôle de financeur, avec des prêts sur 25 à 50 ans qui permettent d’amortir des actifs aussi lourds que des remontées mécaniques », affirme Caroline Dubois. « Néanmoins, le financement est indissociable de l’ingénierie, qui permet de bâtir une vraie stratégie territoriale donnant de la perspective aussi bien aux territoires qu’aux investisseurs ».
Car c’est bien de perspective qu’il s’agit. Bien que le diagnostic soit posé depuis longtemps et que de nombreuses communes se retrouvent aujourd’hui au pied du mur, incapables de remplacer leurs équipements, le déni est encore trop présent chez un certain nombre d’élus, probablement parce qu’une alternative économique au ski alpin n’a pas pu être trouvée jusqu’à maintenant. Alors que l’Etat et les régions appliquent déjà une sélectivité accrue dans le fléchage des subventions, le rôle de cette ingénierie est essentiel pour crédibiliser des scénarios alternatifs et enclencher des actions, et ce d’une manière structurée qui s’inscrive dans le long terme. Une transformation radicale à 5 ou 10 ans étant illusoire, l’enjeu pour les collectivités réside dans l’établissement d’une vraie feuille de route de long terme.
« A ce titre », ajoute Marianne Delachaume, « le fait que le Programme accorde beaucoup d’importance à la diversité des territoires porteurs de projets est très positif, car les élus se mobiliseront d’autant plus en voyant ce qui a été envisagé et financé dans un territoire qui ressemble au leur ». Les études cofinancées par la Banque des Territoires permettent donc, à plusieurs titres, de « planter des graines » ici et là dans l’esprit des décideurs, pour aller vers un avenir plus durable et plus résilient en montagne.
Marianne Delachaume
Responsable Plan Littoral 21 et Plan Montagne, Direction Régionale Occitanie de la Banque des Territoires
Diplômée de Neoma Business School et du master en Développement Durable de l’Université Paris Dauphine, Marianne Delachaume a d’abord exercé des fonctions dans la Supply Chain chez Danone et Sephora.
Depuis 2011 à la Caisse des Dépôts, elle a travaillé à la direction des politiques sociales puis à la direction de la stratégie, avant de rejoindre en 2019 la direction régionale Occitanie où elle anime plus particulièrement le Plans Littoral 21 et le Plan Montagne.
Caroline Dubois
Directrice territoriale Gers, Hautes-Pyrénées, Tarn-et-Garonne – Direction Régionale Occitanie de la Banque des Territoires
Titulaire d’un diplôme d’ingénieur en génie civil complété par une formation à l’EM Lyon, Caroline Dubois a débuté sa carrière en cabinet d’audit et de conseil, avant de rejoindre Icade. En 2013, elle rejoint le réseau de la Caisse des Dépôts en 2013 en tant que directrice administrative et financière de la Direction régionale Midi-Pyrénées, puis Occitanie Depuis 2019, elle occupe le poste de Directrice territoriale pour les départements du Gers, des Hautes-Pyrénées et du Tarn-et-Garonne.