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Salon de l'agriculture - Bioéconomie : "Attention à ne pas s'orienter vers un modèle industriel"

Faciliter l'accès des produits biosourcés dans les marchés publics, lever les freins à la méthanisation, structurer des filières dans les territoires... Les mesures du plan d'action sur la bioéconomie présenté par le ministre de l'Agriculture, le 26 février, vont dans le bons sens estime Karen Serres, qui co-présidait un atelier consacré à la bioéconomie dans le cadre des Etats généraux de l'alimentation. Mais attention à ne pas reproduire ce qui s'est passé avec l'agro-alimentaire, estime cette éleveuse de moutons qui invite les collectivités à passer des partenariats avec les agriculteurs...

"Les agriculteurs, les forestiers, les pêcheurs nous nourrissent" mais ils peuvent "aussi nous chauffer, nous vêtir, nous fournir de l'électricité et des matériaux". C'est le message qu'a voulu faire passer le ministre de l'Agriculture Stéphane Travert en présentant lundi 26 février son "plan d'action 2018-2020 pour la bioéconomie", à l'occasion du Salon de l'agriculture. Un plan en cinquante mesures qui vise à encourager dans les territoires ruraux la production d'énergies renouvelables et de "ressources agricoles, forestières et marines, pour fabriquer alimentation, énergies renouvelables, matériaux biosourcés et molécules d'intérêt", précise le ministère, dans un communiqué. Mais "la bioéconomie ne se développera pas sans les territoires", insiste ce plan sur trois ans inspiré notamment des réflexions menées lors des Etats généraux de l'alimentation sur le sujet (atelier 3 "Développer la bioéconomie et l'économie circulaire"). Il vient aussi concrétiser la stratégie nationale pour la bioéconomie présentée par l'ancien ministre de l'Agriculture Stéphane Le Foll, en conseil des ministres, le 18 janvier 2017.
Le volet agricole du Grand Plan d'investissement (qui englobe désormais le programme d'investissements d'avenir 3) sera mis à contribution pour financer des projets locaux. L'Etat "pourra accompagner les territoires qui souhaitent impulser des dynamiques locales en matière de bioéconomie, par exemple en élaborant des stratégies régionales pour la bioéconomie".

Plus de produits biosourcés dans les marchés publics

L'un des objectifs sera de faciliter l'accès des produits biosourcés (bois, béton de chanvre, isolants en fibres végétales…) dans les marchés publics, comme le prévoit la loi du 17 août 2015 sur la transition écologique et la croissance verte de 2016 (article 144). Un décret d'application sera pris cette année, promet le ministère. "Un tel décret facilitera le recours systématique aux produits biosourcés dans les administrations, et les organismes publics, hôpitaux, écoles", précise le plan. Des arrêtés fixeront le contenu minimal de produits biosourcés pour chaque famille de matériaux. Le ministre souhaite parallèlement défendre la création d'un label biosourcé européen. "Ces éléments sont de nature à créer de la valeur et mettre en place de nouvelles filières agricoles et forestières dans les territoires métropolitains et ultra-marins", souligne le ministère. Pour Stéphane Travert, les Jeux olympiques 2024 seront l'occasion "de mettre en avant ces filières d'excellence et d'avenir, par exemple, par l'utilisation de ces matériaux pour la construction du village olympique".

Lever les freins à la méthanisation

Deuxième axe fort de ce plan : la production d'énergie non fossile (énergies renouvelables, biocarburants, biogaz) qui représente des compléments de revenu "pour plus de 50.000 exploitants agricoles", souligne le ministère. Le plan accorde une large place à la méthanisation. Il prévoit ainsi de lever dès 2018 les "freins réglementaires à la méthanisation agricole" dont le développement est entravé par "la complexité administrative" des procédures et par les difficultés liées à l'épandage du digestat agricole (le résidu provenant de la méthanisation). Lors de son discours à "la nouvelle génération agricole" jeudi à l'Elysée, le président de la République Emmanuel Macron avait annoncé la création avec Bpifrance d'un "fonds de prêts à la méthanisation" de 100 millions d'euros, ainsi qu'un "plan de profonde réforme des règles de développement des méthaniseurs". L'ensemble du dispositif devrait être prêt "à l'automne", avait indiqué le président. "Pour nombre d'entre vous, en particulier parfois ceux qui sont dans des filières en difficulté, le développement d'une activité de méthanisation, c'est la possibilité d'avoir un revenu complémentaire extrêmement structurant", avait-il déclaré. De fait, un éleveur de porcs peut aujourd'hui dégager autant de revenus de son méthaniseur que de sa production et créer ainsi des emplois…
Autre avancée du côté de la méthanisation : le ministre s'engage aussi à travers ce plan à soutenir dans le cadre des discussions sur la Politique agricole commune (PAC) post-2020 le financement des "cultures intermédiaires à valeur énergétique" (Cive) utilisées dans les unités de méthanisation.

Le plan encourage aussi le développement des biocarburants. Là encore, le PIA 3 pourrait être mis à contribution pour financer des innovations et des investissements dans les biocarburants avancés (de deuxième et troisième génération). Il vise à "faciliter" le recours aux biocarburants dans les "flottes captives" de véhicules de grandes entreprises ou d'administrations. Le sujet a donné lieu à de vifs échanges au sein de l'atelier 3 entre les défenseurs des biocarburants, y compris de première génération (produits à partir de betterave, de canne à sucre, de maïs, de blé ou encore d'huile de colza ou de palme) et les ONG et la Confédération paysanne sur une position beaucoup plus hostile, arguant notamment le fait qu'ils entrent en concurrence avec la production alimentaire.

"L'agriculteur doit rester maître de son outil"

Le plan vise parallèlement à structurer certaines filières : laine et peaux d'ovins, cuir de veaux, valoristion de "cinquième quartier" (c'est-à-dire les résidus de carcasses de bovins)… En outre-mer, une mesure prévoit la mise en place de filières de "valorisation de la biomasse", par exemple autour des résidus de canne à sucre, pour alimenter des centrales électriques….
Toutes ces mesures siéent à la coprésidente de l'atelier 3 des Etats généraux de l'alimentation, Karen Serres, présidente du réseau Trame (tête de réseaux associatifs de développement agricole et rural) et éleveuse de moutons dans le Lot. "Même si - comme pour les autres mesures des Etats généraux de l'alimentation - cela ne va pas résoudre en un jour le problème des revenus des agriculteurs." "Attention", met-elle également en garde : "Tout ceci est très bien si l'agriculteur reste maître de son outil. Il faut notamment privilégier les petits méthaniseurs et ne pas s'orienter vers un modèle industriel où les marges seraient captées par d'autres." En clair, "il ne faudrait pas reproduire avec la bioéconomie ce qui s'est produit avec l'économie agro-alimentaire pour le monde agricole".
L'agricultrice regrette par ailleurs que le plan n'accorde pas davantage de place au "captage du carbone". L'atelier 3 allait plus loin que le plan, envisageant des mesures fiscales (TVA réduite pour les produits biosourcés, fiscalité incitative sur la valorisation des biodéchets…) de préservation du foncier agricole ou encore l'instauration de projets territoriaux de biomasse, à l'instar des projets alimentaires territoriaux. "Tout le monde est d'accord à la fois pour inciter les collectivités territoriales à aller plus loin dans le tri sélectif afin d'alimenter les méthaniseurs, mais aussi pour qu'elles nouent des partenariats avec les paysans localement", estime Karen Serres, pour qui le "gros problème actuellement, c'est la capacité des collectivités de faire un tri propre". Mais "c'est la solution de demain : les déchets des communes ou des communautés de communes doivent revenir aux agriculteurs qui en feront quelque chose d'utile. Dans cinquante ans, ce sera une évidence."
 

 

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