Bilan en demi-teinte pour la loi confortant le respect des principes de la République

Trois députés ont procédé à une évaluation de la loi de 2021 confortant le respect des principes de la République. Entre absence de données et effets limités, ce bilan s'avère très mitigé. Les débats ont également révélé que beaucoup d'élus locaux ne s'étaient pas encore approprié le texte.

Controversé et incomplet, c'est ainsi qu'apparaît le bilan de la loi confortant le respect des principes de la République, présenté à l'Assemblée nationale le 16 janvier 2025. Invités à évaluer la loi du 24 août 2021 visant à lutter contre les séparatismes, les trois rapporteurs apportent des éléments chiffrés et objectifs mais font des lectures différentes des résultats.

Sur les dispositions visant à renforcer l'application du principe de laïcité dans les services publics et à mieux former et protéger les agents publics, le bilan fait état, d'un côté, de 17.000 référents laïcité désignés dans la fonction publique d'État et la fonction publique hospitalière (FPH), contre seulement quelques centaines avant 2021 ; d'un autre côté, de 730.000 agents publics de l'État et de la FPH sur 5,67 millions formés à la laïcité au 1er juin 2024, soit 13% des effectifs. Difficile d'imaginer que l'objectif de 100% d'agents formés d'ici la fin de l'année 2025 puisse être atteint. Quant aux sanctions prévues pour faire face aux menaces, violences ou actes d'intimidation en lien avec le respect de la laïcité à l'encontre d'agents publics, elles n'avaient conduit, en 2022, qu'à seulement cinq condamnations.

Associations : peu d'effets, pas de données

En ce qui concerne les associations, la loi du 24 août 2021 avait élargi les motifs permettant leur dissolution et créé un nouveau critère d'imputabilité aux associations des agissements commis par leurs membres. Ici, l'évaluation note une augmentation du recours à la dissolution sous le nouveau régime légal, mais dans des proportions modestes : 23 dissolutions prononcées depuis septembre 2021, contre 29 sur la période 2012-2021. Alors que la France compte, rappelons le, 1,5 million d'associations.

Quant à la portée de la nouvelle règle imposant la signature préalable d'un contrat d'engagement républicain (CER) par toute association sollicitant une subvention publique, elle n'a pas pu être évaluée. "L'absence de données agrégées à l'échelle de l'État et des collectivités territoriales ne permet [...] pas de connaître la fréquence d'utilisation de ce nouvel outil, ni les montants concernés par un refus ou un retrait de subvention prononcé sur son fondement", écrivent les rapporteurs.

À propos d'absence, on relève celle de toute évaluation des mesures contenues dans le titre II de la loi portant réforme du régime des cultes.

Instruction en famille : une baisse, des incohérences

Il en va tout autrement des conséquences de la loi du 24 août 2021 sur l'instruction en famille (IEF). Le texte avait fait passer l'IEF d'un régime de déclaration à un régime d'autorisation préalable, et avait soumis celle-ci à quatre motifs restrictifs (santé de l'enfant, pratique intensive d'activités artistiques ou sportives, éloignement géographique ou itinérance de la famille, et existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif).

Ici, la loi a bien produit des effets : alors que 72.369 élèves étaient instruits en famille lors de l'année scolaire 2021-2022, ils n'étaient plus que 30.644 en 2024-2025. Mais surtout, notent les rapporteurs, les associations défendant l'instruction en famille "font état de difficultés importantes liées à l'application du nouveau régime d'autorisation", en particulier pour le quatrième motif (situation propre à l'enfant) qui "fait l'objet d'interprétations plus ou moins restrictives, conduisant à des taux de refus disparates entre académies, et une appréciation différente de situations identiques". Alors que le taux de refus moyen au niveau national s'élevait à 23,3% pour l'année scolaire 2024-2025, il était de 12,5% dans l'académie de Reims et de 41,5% dans celle de Strasbourg...

Des rapporteurs divisés

En guise de synthèse, on peut lire dans l'évaluation que les rapporteurs "portent des regards divergents sur le bilan de la loi confortant le respect des principes de la République". Laure Miller (députée de la Marne, EPR) "salue la réponse apportée à la montée progressive de dérives et pratiques séparatistes", mais reconnaît que "l'encadrement progressif du nouveau régime de l'instruction en famille a [...] plongé dans l'incompréhension des familles qui ne posaient aucun problème de séparatisme". De son côté, Antoine Villedieu (député de la Haute-Saône, RN) estime que "la loi ne permet pas de répondre à l'ampleur du séparatisme, notamment islamiste", et "regrette que les dispositions de la loi pénalisent des acteurs de bonne foi, comme les foyers ayant recours à l'instruction en famille". Quant à Bastien Lachaud (député de Seine-Saint-Denis, LFI), il considère que le bilan de la loi "démontre son inutilité au regard des objectifs donnés par ses défenseurs, et de ses effets délétères", et juge que "les auditions menées n'ont pas permis de démontrer l'existence du phénomène 'séparatiste' qu'il s'agirait de combattre". 

De nouveaux moyens pour les élus locaux ?

Cette division des rapporteurs n'a pas empêché le débat. Parmi les interventions des – rares – députés présents, on remarque celle de Charles Rodwell (EPR). Estimant les collectivités et les élus locaux "au cœur des combats contre le séparatisme en général et l'islamisme en particulier", le député des Yvelines a demandé à François-Noël Buffet si le gouvernement comptait prendre des mesures pour renforcer la coopération entre l'État et les élus en matière de lutte contre le séparatisme.

Dans sa réponse, le ministre auprès du ministre de l'Intérieur a d'abord souligné que, selon lui, "une grande partie des élus locaux ne s'est pas encore approprié la loi de 2021", et qu'en tout état de cause, "ils ne savent pas comment l'utiliser". Il a donc rappelé que les préfets constituent "le point d'ancrage" et "essaient de sensibiliser les élus locaux avec l'aide des associations des maires des différents départements". Pour François-Noël Buffet, il convient toutefois de "fluidifier le dialogue entre le préfet et les élus". À cet égard, la proposition de loi portant création d'un statut de l'élu local, adoptée au Sénat et bientôt présentée devant l'Assemblée nationale, "prévoit de donner au maire des moyens supplémentaires pour agir beaucoup plus efficacement dans certaines circonstances".

On notera enfin que la toute récente proposition de loi du sénateur Laurent Lafon visant à "protéger l'école de la République et les personnels qui y travaillent" contient également des mesures pour renforcer la laïcité, à l'école cette fois.