Finances - Baromètre de la commande publique locale : premiers signes de reprise
Le contexte des contraintes budgétaires qui pèsent sur les collectivités, principalement en lien avec la baisse des dotations de l'Etat, n'a de cesse d'alimenter études, rapports et témoignages quant à l'état de santé de l'investissement public local. Le constat est presque toujours sombre et les perspectives souvent pessimistes. Mais sait-on précisément quels types d'investissements pâtissent le plus de cette atonie financière ? Quels sont les premiers donneurs d'ordre à revoir leurs budgets à la baisse ? "Au-delà des quelques gros agrégats ou des pourcentages ressassés à l'envi, ce sont 60 à 80 milliards d'euros de dépenses qui s'apparentent en fait à une véritable 'boîte noire', mal connue des économistes et des décideurs publics", juge Nicolas Portier, délégué général de l'Assemblée des communautés de France (ADCF), dans le numéro à paraître du mensuel Intercommunalités.
D'où le projet de l'ADCF et de la Caisse des Dépôts, en partenariat avec la société Vecteur Plus, de travailler à la constitution d'un nouvel outil d'analyse permettant d'appréhender plus finement l'évolution de la commande publique locale. L'idée étant bien de disposer d'"indicateurs anticipés". Avec pour matériau, tout simplement, la totalité des appels d'offres passés par le secteur public – par tous les niveaux de collectivités et leurs établissements ou syndicats, mais aussi par l'Etat, les bailleurs sociaux… Y compris les marchés effectués pour le compte des acteurs publics par leurs opérateurs ou leurs délégataires. En somme, seuls manquent à l'appel les marchés de moins de 15.000 euros.
Les données collectées couvrent donc bien toutes les natures de prestations. Ce qui signifie à la fois de l'investissement et du fonctionnement – travaux (travaux neufs ou renouvellement et rénovation), services, fournitures, ingénierie. Elles ont été décomposées par catégories de maîtres d'ouvrage et par champs thématiques : bâtiment, logement, voirie, scolaire, santé-social, eau-assainissement, culture et sport, aménagements urbains, transports, déchets, numérique, communication, aménagement économique et tourisme, déchets… En sachant d'emblée que les deux-tiers de la commande publique se concentrent sur six "destinations" : les bâtiments territoriaux (9 milliards d'euros en 2015), le logement (8 milliards), la voirie, le scolaire et le champ sanitaire et social (7 milliards pour chacun), les autres bâtiments publics (6 milliards).
"Des résultats encourageants pour les mois qui viennent"
Pour le premier exercice de ce type, l'analyse a porté sur la période 2012-2015. Le constat d'ensemble : on assiste bien sur ces années à une baisse généralisée de la commande publique, tant en nombre de marchés qu'en montants. Une baisse de 13 milliards d'euros. Et c'est bien en 2014 que le décrochage le plus important a eu lieu : après une baisse de 3% entre 2012 et 2013, c'est une chute de 14% que l'on a enregistrée l'année suivante. L'effet cycle électoral, on le sait, a évidemment joué un rôle. La baisse observée en 2014 est d'ailleurs comparable à celle que l'on avait pu connaître en 1983, pour retenir une année d'élections municipales ayant donné lieu à la bascule politique d'un nombre important de communes.
Et pour 2015 ? Cela apparaîtra comme une petite surprise pour certains, tandis que d'autres y verront une confirmation de ce qu'ils pressentaient : oui, malgré la poursuite de la baisse des dotations aux collectivités, il y a bien, globalement, une légère reprise de la commande publique. Un petit sursaut de 2% en valeur. C'est peu mais c'est déjà ça. "La légère reprise observée en 2015, notamment au cours du second semestre, laisse présager une inversion de tendance" et donc "des résultats encourageants pour les mois qui viennent", observe-t-on à la Caisse des Dépôts, sachant que les données relatives aux commandes peuvent ainsi être interprétées comme un indicateur avancé de l'investissement public.
Certes, cela n'est pas vrai pour tout le monde. Côté collectivités en effet, la différence est nette entre, d'une part, le bloc local, dont les marchés affichent une hausse de 8% en 2015 et, d'autre part, départements et régions, pour lesquels la poursuite de la baisse est toujours sérieuse : -11%. Là aussi, des élections sont passées par là. Mais l'on sait les difficultés financières toutes particulières qui touchent les départements.
L'aménagement urbain retrouve des couleurs
Cette hétérogénéité des situations se retrouve dans la répartition sectorielle des investissements et marchés. Une répartition qui permet d'ailleurs d'"objectiver et chiffrer l'état des dépenses", note Nicolas Portier. Et donc de battre en brèche certaines idées reçues collant à la peau des collectivités, qu'il s'agisse par exemple du poids supposé des dépenses de communication ou des milliards soit disant engloutis dans les ronds-points...
Dans plusieurs champs, les montants ont augmenté entre 2012 et 2013, avant de chuter en 2014, retrouvant alors leur niveau initial ou un niveau inférieur. Tel est le cas, notamment, des aménagements urbains, de la gestion des déchets, du sport et des loisirs ou encore de la voirie.
Dans d'autres domaines en revanche, la courbe est descendante depuis 2012 jusqu'en 2014. Parmi eux, le logement, les transports, le tourisme, le numérique et la communication. Ou encore la santé et le social, qu'il s'agisse de handicap, du secteur hospitalier, de personnes âgées ou de petite enfance. En fait, 80% de la baisse totale du volume de la commande publique est liée à trois secteurs : logement, sanitaire et social, déchets.
Pour l'année 2015, la reprise la plus marquée apparaît du côté de l'aménagement urbain (on atteint un niveau de commande même supérieur à celui de 2012), tandis que des secteurs comme le traitement des déchets ou le numérique continuent d'afficher une baisse sérieuse. On notera aussi que le secteur scolaire, qui occupe une place de poids dans les projets de tous les niveaux de collectivités, après deux années de baisse en 2013 et 2014, a retrouvé l'an dernier son niveau de 2012.
Commande d'ingénierie, travaux en vue ?
Hétérogénéité, enfin, si l'on considère la nature des marchés – réalisations nouvelles, travaux renouvellement, maintenance, services… "Même s'ils sont les plus emblématiques et les plus visibles, les travaux neufs ne représentent qu'une part modeste de la commande publique", soit 16%, rappelle l'ADCF. Et, forcément, ce sont eux qui ont le plus reculé : une baisse de pas moins de 28% en 2014, puis de 2% en 2015. Là, il y a bien rupture avec le cycle électoral précédent, où de nombreux travaux neufs avaient été lancés dans l'année suivant les élections
Les marchés de fournitures ont en revanche affiché une hausse de 6% l'an dernier, ceux liés à des opérations de renouvellement ou de rénovation ont fait +12%... et les commandes de prestations d'ingénierie ont carrément bondi de 39%.
"La reprise en 2015 des commandes d'ingénierie peut laisser envisager la poursuite de la croissance des commandes de renouvellement et rénovation, et peut-être une reprise, en décalé, des travaux neufs. On peut aussi imaginer que dans cette période où des choix structurants doivent être opérés, l'ingénierie amont constitue plus encore qu'hier une aide à la décision face à ces arbitrages difficiles", analyse-t-on à la Caisse des Dépôts.
"Anticiper les grandes tendances à venir"
Toutes ces données ont vocation à être déclinées par région. Sur 2012-2015, toutes les régions ont connu une évolution négative… A l'exception notable du Limousin (+6%). Les baisses les plus fortes se retrouvent en Alsace (-36%), Bretagne (-25%) et Pays de la Loire (-23%). A l'inverse, Poitou-Charentes, Languedoc-Roussillon ou Midi-Pyrénées sont sur des baisses de 4 à 6%. "Une telle cartographie nous permet de mieux identifier, région par région, les spécificités des territoires et de leurs besoins, pour oser encore plus qu'hier une approche différenciée de ces territoires", commente à ce sujet Marc Abadie, directeur du réseau et des territoires de la Caisse des Dépôts.
On notera d'ailleurs que les indicateurs permettent de refléter le poids économique des territoires régionaux - d'une Ile-de-France dont les marchés publics absorbent en 2015 20% du total national, à la Corse, la Franche-Comté ou le Limousin représentant chacun seulement 1% de la commande publique du pays, en passant par exemple par Rhône-Alpes (11%), Paca (9%) ou le Nord-Pas-de-Calais (6%). Il sera d'ailleurs intéressant de reconsidérer les choses dès cette année au regard des nouvelles grandes régions.
Ce sera effectivement possible, puisque "cette base de données va donner lieu, dès le printemps, à la mise en place d'un baromètre trimestriel", annonce Marc Abadie. Ce "baromètre trimestriel de la commande publique locale", fondé sur les mêmes critères d'analyse, permettra d'avoir un suivi régulier et précis de l'évolution de la commande publique et donc d'"anticiper les grandes tendances à venir", poursuit le directeur. Les résultats du premier trimestre 2016 devraient être disponibles à la mi-avril.
C. Mallet
Focus sur le bloc local
Parmi les données qui seront intéressantes à suivre au fil des trimestres figurent celles portant sur les EPCI, en lien avec la reconfiguration en cours des périmètres intercommunaux.
D'ores et déjà, les données relatives au bloc local restent centrales, sachant qu'en 2012, ce bloc représentait à lui seul 42% de la commande publique. Là aussi naturellement, la diversité est de mise, entre éparpillement des marchés de faible montant passés par les petites communes et phénomène de concentration entre les plus gros ensembles intercommunaux. "176 ensembles intercommunaux concentrent 50% des marchés passés à cette échelle", constate l'ADCF.
Entre 2012 et 2014, le bloc communal a bien été le plus touché. Et plus les communes sont petites, plus le montant de leurs marchés a diminué : -38% pour les villes de moins de 3.500 habitants par exemple. Mais ce sont aussi ces communes de moins de 3.500 habitants qui ont affiché en 2015 la reprise la plus nette des commandes (+33%)
Autre évolution à suivre dans le temps : le poids respectif des marchés passés par les communes et par les EPCI, sachant qu'entre 2012 et 2014, la part des commandes passées par les EPCI est passée de 26% à 32% du total du bloc local, mais a reculé l'an dernier pour revenir à 28%.
C.M.