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Atteintes écologiques : un projet de loi ouvre la voie à la spécialisation des juridictions

Créer des juridictions spécialisées pour améliorer la réponse judiciaire aux atteintes à l’environnement, l'idée a finalement fait son chemin à la Chancellerie. Un projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée, présenté en conseil des ministres ce 29 janvier par la garde des Sceaux, prévoit la création de pôles spécialisés dans le ressort de chaque cour d'appel et l'affectation de magistrats formés à ce contentieux technique.

Délais de traitement des litiges trop longs, inadaptation des peines, technicité du contentieux, autant d’éléments qui au regard des défis écologiques actuels et à venir, plaident pour une spécialisation des juridictions en droit de l’environnement. Un projet de loi vient d’être proposé en ce sens, par la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, qui devrait intervenir sur le sujet aux côtés de la ministre de la Transition écologique, Élisabeth Borne, lors d’un colloque organisé, ce 30 janvier, à l’Assemblée nationale par la députée LREM Bérangère Abba. "Nous allons présenter en conseil des ministres une évolution forte de ce point de vue. (...) Il faut que la justice soit rendue plus vite par des magistrats spécialisés, car ce sont des questions très techniques", a déclaré quelques heures plus tôt la ministre sur l’antenne d’Europe 1. Un contentieux technique aujourd'hui noyé parmi les affaires de droit commun, faute de magistrats formés et spécialisés pour faire cesser l’atteinte et réparer les préjudices occasionnés.
Le dossier de presse fournit d’ailleurs des chiffres assez explicites. Le contentieux environnemental représente en effet "seulement 1% des condamnations pénales et 0,5% des actions civiles". Des pourcentages loin de représenter la réalité des atteintes portées à l’environnement et à la biodiversité, et qui, relève le ministère, "ne rendent pas davantage compte de l’activité des services de l’État chargés du respect de la réglementation applicable", là encore chiffres à l'appui. En matière d’installations classées pour l’environnement, "18.400 inspections ont ainsi été réalisées en 2018". Celles-ci ont donné lieu "à 2.116 mises en demeure, 433 sanctions administratives et 828 procès-verbaux transmis aux parquets", précise le ministère. Quelque 15.747 infractions ont été relevées en 2017 pour les seuls manquements relatifs à la réglementation cynégétique et 31.787 infractions pour l’ensemble des atteintes portées aux espèces, aux espaces et au patrimoine naturel. 

Une juridiction spécialisée par cour d’appel

La majorité des infractions au droit de l'environnement recevront un traitement local au niveau des tribunaux judiciaires, nés de la fusion des tribunaux de grande instance et des tribunaux d’instance, au 1er janvier, opérée par la loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice. Ces juridictions de proximité continueront de traiter les affaires les plus courantes, celles qui empoisonnent quotidiennement les élus locaux, à l’exemple des décharges sauvages, permis de construire illégaux, infractions aux permis de pêche ou de chasse, pollutions visuelles et sonores, etc. Prenant appui sur la loi de programmation, qui a d’ores et déjà ouvert une brèche en la matière, la ministre propose de spécialiser des tribunaux judiciaires dans ces contentieux, dans les départements en comportant plusieurs. Pour les atteintes plus graves ou la mise en péril de l’environnement, la réforme envisagée franchit un cran supplémentaire avec la création d’une juridiction spécialisée dans le ressort de chacune des 36 cours d’appel. Des juridictions entièrement dédiées à l’environnement, qui auront vocation à traiter, par exemple, "les pollutions d’effluents ou des sols par des activités industrielles, les infractions au régime des installations classées qui dégradent l’environnement, les atteintes aux espèces ou espaces protégés, les infractions à la réglementation sur les déchets industriels…". Y seront affectés des magistrats formés, qui interviendront aussi bien au niveau de l'enquête que des procès, de façon à réduire le délai de traitement des affaires. 

Pôles inter-régionaux basés à Paris et à Marseille

Plusieurs juridictions spécialisées disposent déjà de compétences en matière de contentieux pénal de l’environnement. C’est le cas des pôles de santé publique (PSP) créés par la loi du 4 mars 2002 pour certaines infractions visées par l'article 706-2 du code de procédure pénale. Pour les accidents industriels causant des victimes multiples (de type Lubrizol) ou pour les risques technologiques majeurs (activités nucléaires), ces pôles inter-régionaux basés à Paris et à Marseille, resteront donc compétents et représenteront un troisième niveau de réponse pour les atteintes les plus graves.
Pour être parfaitement complet, il faudrait également citer les juridictions du littoral spécialisées (les Julis) au nombre de six : Le Havre, Brest, Marseille, Fort-de-France, Saint-Denis-de-la Réunion, Saint-Pierre-et-Miquelon. Depuis leur création par la loi du 3 mai 2001, les Julis sont notamment compétentes pour les infractions en matière de rejets polluants des navires. Un paysage qui comprend aussi les huit juridictions inter-régionales spécialisées (Jirs) en criminalité organisée et délinquance économique et financière - créées par la loi du 9 mars 2004 - implantées à Bordeaux, Fort-de-France, Lille, Lyon, Marseille, Nancy, Paris et Rennes, qui peuvent également être saisies de certaines infractions relatives au droit de l'environnement lorsqu'elles sont commises en bande organisée, ou lorsqu'elles sont d'une grande complexité.
Le texte propose par ailleurs de nouvelles peines avec la création de conventions judiciaires écologiques - sur le modèle de la convention judiciaire d’intérêt public - , qui permettront des réparations plus rapides, combinées avec un nouveau délit d’atteinte grave ou de mise en péril de l’environnement et de la biodiversité (passible de dix ans d’emprisonnement). Des travaux d’intérêt général (TIG) verts sont aussi prévus. 
Ce pan de la réforme pourrait être discuté dès le 25 février au Sénat, dans le cadre du projet de loi qui intègre aussi la traduction en droit français du Parquet européen. 
À ce stade, peu de visibilité en revanche sur la question des moyens alloués à cette réforme. Sur ce point, la ministre s’est contentée, lors de son intervention sur Europe1, de rappeler les moyens supplémentaires pour la justice obtenus dans la loi de programmation 2018-2022, "qui augmente son budget en cinq ans de plus de 20%". (…) "Sur l'année 2020, nous aurons 100 magistrats supplémentaires", a-t-elle précisé, avant d’ajouter, "il n'y a jamais assez pour la justice, mais c'est très clair, l'effort est là". 

 

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