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Tourisme rural - Aller au marché, faire des grasses mat' et bien manger... ils n'en demandent pas plus !

En ces temps de disette budgétaire, les territoires ruraux apprécieront d'apprendre que le touriste qui apprécie ses paysages, son patrimoine, ses festivités et ses produits du terroir n'en demande pas beaucoup plus. Inutile d'investir dans un parc d'attraction, des chemins de randonnée ou des vedettes de la chanson pour animer les festivals : le touriste de la campagne aime la campagne pour ce qu'elle est. En revanche, réviser la gouvernance ne serait pas du luxe.

Le tourisme rural, ils y croient plus que jamais. Les résultats d'une enquête menée pour la Datar par GMV Conseils (*) confirme les intuitions des trois intervenants de l'atelier "La campagne cultive ses atouts : attentes-tendances-opportunités", organisé dans le cadre des Rencontres nationales du tourisme 2012.
L'étude s'appuie sur les retours de questionnaires de 3.500 "pratiquants de la campagne française", dont 2.500 touristes étrangers. Leur profil type ? Des urbains, âgés de 30 à 59 ans, ce sont des actifs CSP + ou intermédiaires (leurs revenus sont supérieurs à 3.200 euros par mois par ménage), ils possèdent deux voire trois voitures et partent deux à trois fois par an en vacances (dont au moins une fois à la campagne), ils n'ont pas de résidence secondaire (sauf les touristes espagnols qui déclarent, pour 42% d'entre eux, en posséder une).

Repoussoir ou exotique ?

L'étude distingue trois groupes auxquels ils ont associé les perceptions positives que leur inspire la campagne. Les actifs avec enfants rechercheraient "l'authenticité des destinations" et la "création de liens". Le groupe des parisiens CSP+, adeptes des Relais & Châteaux, sont eux en quête d' "hédonisme" : ils entendent "se faire du bien" et prennent plaisir à renouveler leurs escapades en famille, en couple ou avec des amis.
Le troisième groupe est constitué des adolescents (13-17 ans) qui apprécient le calme et la détente (par exemple, les grasses matinées jusqu'à midi…), les fêtes et "la liberté" (les parents, rassurés, les laisseraient davantage "sortir le soir"). L'accessibilité à Internet ne serait pas un motif de veto. Mais "on pose nos conditions au départ", ont précisé plusieurs adolescents lors des enquêtes qualitatives : ils imposent de partir avec un ou deux copains, de pouvoir pratiquer des activités sportives ou de plein-air et… qu' "on leur f… la paix".
Avec un peu de prospective, Luc Mazuel, maître de conférences spécialisé en tourisme (VetAgro Sup), s'interroge sur les prochaines générations d'ados citadins, dont les grands-parents n'auront pas vécu à la campagne : "Les jeunes n'auront plus ces référents au monde rural. Sera-t-il pour lui repoussoir ou exotique?"

Les mêmes pratiques que les rurbains

"Pour tous, la campagne a un rôle à jouer dans la vie des gens", remarque Hélène Jacquet-Monsarrat, chargée de mission Datar, "un rôle de rupture avec la vie quotidienne citadine, de ressourcement, de retrouvaille". "La campagne est prise pour ce qu'elle est : habitée, avec ses beaux villages, ses paysages, mais aussi ses services, ses médecins, ses commerces, ses marchés…", insiste-t-elle. Le mot est lâché et il reviendra régulièrement : "le marché" serait la principale attraction pour ces touristes ! Pas les zoos, ni les sentiers de randonnée, ni les pôles aquatiques…
"On vient chercher quelque chose qu'on a perdu quand on vit en ville toute l'année", observe Hélène Jacquet-Monsarrat. Mais "quelque chose" que vivent d'autres gens dans leur quotidien. D'ailleurs, la chargée de mission, dont le portefeuille couvre le tourisme et les services publics (une première à la Datar), remarque que les pratiques de ces touristes sont très proches de celles des rurbains. Sauf que, pour les seconds, ce sont des pratiques non pas exceptionnelles mais de quotidienneté… Pour les uns, comme pour les autres, "l'échelle de consommation est connectée sur moins de 20 minutes (ressentis), à pied ou en voiture", souligne-t-elle.
Déjà, "des villages font valoir qu'ils disposent de lieux équipés", souligne Luc Mazuel, qui cite la commune de Murat, dans le Cantal, "qui a développé un centre de travail, une librairie rurale… tout un ensemble d'activités connexes à destination des habitants et qui vont à la rencontre du touriste".

La clochette du micro-onde

Il en faut des atouts pour compenser les freins listés, avec un humour acide, par François Moinet, expert en tourisme et communication. Seulement 2.000 maîtres-restaurateurs sur 100.000 restaurants alors que "les gens ne vont pas au restau pour entendre la clochette du micro-onde !"
"Où sont les politiques de reconquête des paysages ? Où sont les plans locaux d'urbanisme qui évitent les habitats insolites dans la belle campagne et préservent la typicité des habitats ?" Pourquoi ce décalage persistant sur les horaires : "il est inadmissible de s'entendre encore dire 'on ne sert plus à partir de 21h00, désolé, il est 21h01'" ! Pourquoi les Français ne se sont-ils jamais mis à apprendre l'anglais ?
Quand Luc Mazuel interroge l'avenir du tourisme rural, il pense quant à lui développement durable et changement climatique. Si les maisons en vieilles pierres auront toujours leur charme, l'universitaire pense que les maisons passives auront toutes leurs chances demain d'attirer l'attention des touristes ruraux, ainsi que celles proposant une vue magnifique sur un paysage naturel, ou encore une architecture, une décoration, un jardin… d'exception. Des données importantes quand on sait que l'hébergement est le premier critère de distinction d'une destination.
Luc Mazuel se projette également dans une campagne transformée par le changement climatique qui guette la planète : "Aujourd'hui on vient y chercher la fraîcheur observe-t-il, alors que se passera-t-il pour les territoires qui, en se réchauffant de plusieurs degrés, ne seront plus épargnés par une météo caniculaire ?" Autre exemple parlant : "Certains font du vin aujourd'hui et n'en feront plus demain. D'autres n'en font pas encore…"

Intelligence touristique des territoires

Mais le plus gros enjeu auquel il faut s'attaquer, le "bouleversement fantastique" auquel François Moinet conseille de se préparer, est lié à la toile. "Internet rapproche le prestataire du client et impose aux institutionnels et aux commerciaux de se repositionner par rapport à ce nouveau couple", encourage-t-il, incitant également à "investir les réseaux sociaux qui sont l'équivalent du bouche à oreille d'aujourd'hui". Pour faire face à ce défi (et aux autres), François Moinet compte sur "l'intelligence touristique des territoires". Les collectivités locales et leurs satellites doivent selon lui parvenir à dépasser leur logique de "tribu" pour travailler "la transversalité de la réponse au touriste". Ils doivent "se repositionner sur le service et abandonner la démarche client".
Hélène Jacquet-Monsarrat conseille, quant à elle, aux collectivités de se mettre autour de la table pour dresser ce qu'elle appelle "une diapositive claire de ce qui était dans l'air du temps et qui ne l'est plus" pour ensuite travailler à la bonne échelle de consommation des pratiques touristiques d'aujourd'hui.

Valérie Liquet

(*) "Tourisme rural : états des lieux et évaluation des attentes des clientèles potentielles", à paraître à la Documentation Française, décembre 2012.
 

 

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