Aire de fabrication du couteau Laguiole : la justice a tranché

Décidément, les démêlés judiciaires des fabricants de couteaux Laguiole sont dignes d'une série télé brésilienne. Il y a deux ans, le célèbre couteau orné d'une abeille s'était vu décerner une indication géographique industrielle et artisanale par l'Institut national de la propriété intellectuelle (Inpi). Un label à la portée géographique très étendue puisqu'il concernait 94 communes de six départements : l'Aveyron, où est situé le village de Laguiole, la Lozère, le Cantal, la Loire, l'Allier et le Puy-de-Dôme, où se trouve la ville coutelière de Thiers, qui depuis le XIXe siècle contribuait à la fabrication de ces couteaux. C'est d'ailleurs les couteliers de Thiers, fort de ce savoir-faire de plus de 150 ans, qui avaient déposé le dossier, après le rejet d'une demande émanant des artisans de nord-aveyron sur un périmètre beaucoup plus restreint (regroupant 24 communes). Mais ces derniers, regroupés au sein du Syndicat des fabricants aveyronnais de couteaux de Laguiole (SFACL) ne s'en étaient pas laissés compter. Soutenus par la Fédération française des indications géographiques industrielles et artisanales (FFIGIA), ils avaient porté le rejet de l'Inpi en justice, faisant notamment valoir que la zone géographique retenue était "discontinue", le bassin thiernois étant distant de Laguiole de plus de 192 km. La commune de Laguiole s'était jointe à cette action considérant pour sa part que l'homologation portait atteinte à son nom. Or, par deux arrêts du 11 juillet, la cour d'appel d'Aix-en-Provence vient de leur donner gain de cause. Dans un premier arrêt, elle a annulé le refus de l'Inpi en leur défaveur, ainsi que la création de cette IG élargie à 94 communes. "Le consommateur identifie très majoritairement le couteau de Laguiole à sa provenance géographique et n’identifie pas ce couteau à une zone géographique distincte, distante de plus 190 kilomètres de son lieu de naissance historique, alors qu’il n’y a aucune continuité entre les territoires ni liaison au plan géographique, historique ou des traditions", a fait valoir le juge, dans un second arrêt, considérant que "c'est à tort que l'Inpi a refusé d’homologuer le cahier des charges en ce que l’aire géographique ne tenait pas compte du rôle des couteliers thiernois".

"Reconnaissance d'un savoir-faire unique"

La Cour d'appel d'Aix estime en  outre que "ni les couteliers Thiernois, ni ceux d’autres régions de France ayant fabriqué et commercialisé des couteaux de cette forme, ni a fortiori les pays étrangers ayant eux aussi fabriqué et commercialisé, à grande échelle, cette forme de couteau, n’ont participé à la réputation du couteau de Laguiole, issue tout à la fois de son histoire, de la tradition locale et du savoir-faire des couteliers locaux, même si ce savoir-faire n’est effectivement pas exclusif à l’Aubrac".

Pour les requérants, il s'agit d'une "belle victoire". "Pour la première fois depuis le démarrage des Indications géographiques pour les produits industriels et artisanaux en 2014, une cour d’appel annule deux décisions de l’Inpi, en soulignant leur caractère infondé, leur décalage avec la réalité ainsi que les attentes des consommateurs, qui sont au cœur de ce dispositif", affirment le SFACL, la FFIGIA et la commune de Laguiole, dans un communiqué commun. Rappelons que cette dernière a joué un rôle de premier plan dans la reconnaissance des indications géographiques artisanales, après s'être vue dépossédée de son propre nom par un industriel installé dans le Val-de-Marne et qui faisait fabriquer les fameux couteaux… au Pakistan (voir notre article).

C'est en 2014 que les IGIA ont été reconnues dans la loi Hamon, par l'entremise de Carole Delga alors secrétaire d'Etat chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'ESS (voir notre article). L'actuelle présidente de la région Occitanie "salue" aujourd'hui cette décision "qui vient redonner espoir à tout un territoire engagé dans la reconnaissance de son savoir-faire unique". "Le couteau de Laguiole est un marqueur identitaire fort pour l’Aveyron et pour l’Aubrac. Il participe à faire rayonner toute l’Occitanie à travers le monde", souligne-t-elle, dans un communiqué.

Depuis 2023, les indications géographiques artisanales ont été reconnues au niveau européen (voir notre article).