Archives

Commande publique - Aéroports : les nouvelles autoroutes ?

Aéroports, privatisation et marchés publics : un casse-tête juridique et économique que vient d'examiner l'Autorité de la concurrence. Un dossier certes technique mais qui devrait avoir des conséquences directes notamment pour les aéroports gérés par les collectivités.

Comment privatiser sans porter atteinte à la concurrence ? C'est à cette question paradoxale - une privatisation n'est-elle pas sensée mécaniquement permettre une "ouverture à la concurrence" ? - que l'Autorité de la concurrence vient d'apporter des réponses. L'Autorité a en effet rendu public un avis du 22 février 2010 portant sur "les problèmes de concurrence pouvant résulter d'une éventuelle privatisation des aéroports français". Cet avis fait suite à la saisine d'une association regroupant des entreprises du secteur du bâtiment et des travaux publics indépendantes des grands groupes (Vinci, Eiffage, Bouygues). Ces entreprises estimaient que la privatisation du capital des aéroports français pourrait entraîner une "diminution sensible de la concurrence".  Elles craignaient que la sortie de la sphère des marchés publics des marchés de BTP des aéroports les conduisent de fait à en être exclues. L'occasion de faire le point sur cette question plus que complexe.

Trois statuts très différents

Le cadre législatif applicable au secteur aéroportuaire a fait l'objet de deux grandes réformes. La loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales a tout d'abord transféré la propriété des aéroports de l'Etat aux collectivités territoriales, à l'exception des aéroports parisiens - gérés par Aéroports de Paris (ADP) - et des 17 grands aéroports régionaux, gérés par les chambres de commerce et d'industrie (CCI). La loi n° 2005-357 du 20 avril 2005 a ensuite modifié le statut des grands aéroports en transformant l'établissement public ADP en société anonyme et en créant les sociétés aéroportuaires régionales (SAR). L'Autorité de la concurrence concède que cette gestion des grands aéroports par des sociétés commerciales pourrait conduire à une "privatisation de leur capital à plus ou moins longue échéance", et donc la sortie de leurs marchés du cadre de la commande publique.

Cependant, pour l'Autorité de la concurrence, cette privatisation demeure hypothétique. En effet, pour ADP, l'article 6 de la loi du 20 avril 2005 impose que la majorité de son capital soit détenu par l'Etat. Le passage à un actionnariat majoritairement privé nécessiterait donc l'intervention du législateur. Or, à l'heure actuelle, aucun projet de loi allant dans ce sens n'est envisagé.

Pour les SAR, au contraire, la loi du 20 avril 2005 a uniquement prévu que leur capital initial serait entièrement détenu par des personnes publiques. Lors des débats parlementaires, le ministre des Transports avait indiqué que l'objectif était d'arriver à un actionnariat de ce type : 25% pour les CCI, 15% pour les collectivités territoriales et 60% pour l'Etat. Cependant, rien n'avait été inscrit dans la loi au sujet de la pérennité d'un actionnariat public majoritaire. L'Etat a seulement pris l'engagement informel de maintenir un actionnariat majoritairement public jusqu'à la fin de l'année 2013.

Enfin, les 150 aéroports décentralisés sont détenus et gérés par des niveaux de collectivité disparates : 19 plateformes ont été transférées à des régions, 29 à des départements, 61 plateformes à des communautés de communes ou à des syndicats intercommunaux et, enfin, 41 à des communes. Ces aéroports, généralement à faible trafic, connaissent une situation financière souvent difficile : en 2008 la Cour des comptes constatait "un déficit chronique de la quasi-totalité des aéroports décentralisés..." qui la conduisait à "s'interroger sur le maintien en activité de certaines plateformes". A l'heure actuelle, la gestion d'une quinzaine de ces aéroports a été déléguée à des sociétés privées (Vinci, Kéolis, Véolia Transport et SNC Lavallin). L'Autorité de la concurrence précise que "le groupe Vinci détient ainsi 99% du capital des sociétés d'exploitation des aéroports de Grenoble-Isère, Chambéry-Savoie, Clermont-Ferrand-Auvergne et Quimper-Cornouaille".

En cas de privatisation, s'inspirer de l'exemple des autoroutes ?

Actuellement, ADP et les SAR sont des sociétés dont le capital est majoritairement public. Elles sont donc qualifiées d'entités adjudicatrices au sens de la directive 2004/17 et sont soumises aux règles de publicité et de mise en concurrence prévues par l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005. Pour rappel, le régime issu de l'ordonnance du 6 juin 2005 et de son décret d'application n° 2005-1308 du 20 octobre 2005 reprend, d'une manière générale, les obligations issues de la directive 2004/17, notamment en ce qui concerne les critères d'attribution des marchés, tout en imposant des seuils de mise en concurrence inférieurs aux seuils communautaires. Il existe toutefois des exceptions dans le cadre du "in house". Conscient des risques d'atteinte à la concurrence résultant de ces exceptions, l'Etat a imposé par voie contractuelle une mise en concurrence des marchés conclus par les SAR avec les entreprises qui leur sont liées. Si l'actionnariat des SAR et d'ADP devenait majoritairement privé, l'Autorité de la concurrence estime qu'il faudrait tout de même que ces sociétés demeurent des entités adjudicatrices soumises à l'ordonnance du 6 juin 2005. En effet, ces sociétés bénéficient de "droits spéciaux et exclusifs" qui, selon l'Autorité de la concurrence, justifieraient le maintien de ce statut.
Les aéroports décentralisés gérés par les CCI et par les collectivités territoriales sont, quant à eux, directement soumis au Code des marchés publics. Si l'exploitation est directe, les marchés sont naturellement soumis aux obligations de publicité et de mise en concurrence traditionnelles. Cependant, lorsque la gestion est déléguée à une société privée, les sociétés choisies par l'autorité délégante à l'issue d'une procédure d'appel d'offres ne peuvent plus être considérées comme des entités adjudicatrices. Dans ce cas, l'Autorité recommande que les contrats de concessions prévoient systématiquement "que le concessionnaire soit assimilé à une entité adjudicatrice au sens de la directive communautaire 2004/17 et de l'ordonnance du 6 juin 2005". Cette assimilation permet d'imposer au concessionnaire, outre la règle de mise en concurrence systématique de ses marchés, l'obligation de respecter les critères de choix qui s'imposent aux entités adjudicatrices.

Enfin, pour renforcer la concurrence sur les marchés attribués par les sociétés concessionnaires d'aéroports, l'Autorité juge souhaitable de s'inspirer des règles adoptées pour le secteur autoroutier : les cahiers des charges de tous les exploitants aéroportuaires privatisés pourraient prévoir que soit formalisée l'existence de commissions d'appel d'offres indépendantes.

 

L'Apasp et Hélène Lemesle

 

Référence : Avis n° 10-A-04 du 22 février 2010 relatif à une demande d'avis de l'Association pour le maintien de la concurrence sur les réseaux et infrastructures (AMCRI) sur les problèmes de concurrence pouvant résulter de la privatisation des aéroports français

 

 

Pour aller plus loin

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis