Actant un déploiement "moins rapide que prévu" de l'hydrogène décarboné, le gouvernement met à jour sa stratégie nationale 2030

Prenant en compte "un déploiement moins rapide qu'attendu", le gouvernement vient de mettre à jour la stratégie nationale hydrogène 2030, en révisant à la baisse les objectifs de production – 4,5 GW d'électrolyse en 2030, contre 6,5 GW initialement prévus. Il semble également tirer un trait sur le secteur de la mobilité routière – à l'exception, potentiellement, "d’activités à besoin intensif de puissance ou ayant difficilement accès à l'électricité" – pour se concentrer sur "l'industrie et les mobilités lourdes". Les sites de production continueront par ailleurs de se concentrer "au plus près des consommateurs", en particulier dans les zones industrielles de Fos-sur-Mer, Dunkerque, Le Havre-Estuaire de la Seine, Vallée de la Chimie, autour des villes moyennes et du réseau autoroutier.

Dans la foulée du comité interministériel de l'innovation tenu le 10 avril dernier, le gouvernement vient à son tour (lire notre article du 26 mars) de mettre à jour sa stratégie nationale hydrogène décarboné, lancée en septembre 2020, afin de prendre en compte le "déploiement moins rapide qu'attendu" de cette énergie. Un "décalage" déjà acté dans le projet de troisième programmation pluriannuelle de l'énergie - PPE 3 (lire notre article du 10 mars), que le gouvernement explique lui aussi par une "maturation technico-économique […] plus longue qu'initialement espérée par l'écosystème", par un "coût de production qui reste élevé" ou encore, en termes fort diplomatiques, par "la mise en œuvre progressive du cadre [réglementaire] appliqué au secteur". Sans compter "les avancées rapides d'autres modes de décarbonation" par ailleurs mises en avant par le gouvernement. 

Le tout entraîne une demande défaillante, en particulier "pour l'hydrogène électrolytique à destination de l'industrie", qui se traduit notamment par l'abandon de plusieurs projets et fermetures d'entreprises – que le gouvernement se garde logiquement d'évoquer. Nouvelle preuve de ces difficultés, ce 14 avril, le fabricant d'électrolyseurs alcalins McPhy, d'ailleurs évoqué dans la stratégie, a annoncé l'ouverture, par décision du président du tribunal de commerce de Belfort, d'une procédure de conciliation motivée par la situation financière de la société, et la recherche d'un repreneur.

Des objectifs et un champ de déploiement revus à la baisse

Attendue de longue date (ses contours avaient été esquissées dès la fin 2023), cette stratégie actualisée escompte désormais qu'à l'horizon 2030, "jusqu'à 4,5 GW d'électrolyse pourraient être en fonctionnement en France" (contre 6,5 GW dans la version initiale), capacité installée qui "pourrait atteindre 8 GW" à l'horizon 2035. Soit les objectifs fixés dans le projet de PPE 3. 

Le gouvernement y conclut en outre que "les secteurs prioritaires pour l'utilisation d'hydrogène bas-carbone sont l'industrie et les mobilités lourdes et intensives (en particulier pour l'aviation et le maritime)". S'il veut croire que, "bien que plus coûteux à date", l'hydrogène "pourrait devenir pertinent dans certains cas d'usages spécifiques" de mobilité routière – pour certains véhicules lourds, les engins de chantier, agricoles ou tout terrain… –, il considère en effet que, pour le secteur de la mobilité routière, l'électrification sera une solution "sans regrets", "aucun cas d'usage pertinent ne [pouvant] se dessiner […] dans les véhicules particuliers". Ce qui ne l'empêche pas pour autant d'annoncer parallèlement le lancement d'un nouvel appel à projets pour le déploiement de véhicules utilitaires légers à l'hydrogène.

Un appui financier plus que jamais nécessaire…

Plus globalement, le gouvernement acte à nouveau le fait que "pour initier [sic] une filière de production d'hydrogène décarboné en France, des dispositifs de soutien sont […] nécessaires". "Face à une concurrence dynamique" – "des plans conséquents ont été mis en œuvre à l'international (Etats-Unis, Chine, Japon, Corée, zone Mena [Moyen Orient, Egypte et Maghreb, NDLR], Amérique du Sud" –, "la filière hydrogène française doit être accompagnée dans son passage à l'échelle et dans la sécurisation de parts de marché à l'international", est-il encore scandé. 

Les soutiens financiers publics à la production resteront toutefois "pour les prochaines années, réservés à la production nationale d'hydrogène décarboné par électrolyse" ("à long terme", la France "n'exclut pas les importations d'hydrogène bas carbone ou de ses dérivés"). Pour mémoire, en 2020 Bruno Le Maire, alors ministre de l'Économie, avait annoncé 7 milliards d'euros de soutien public jusqu'en 2030, dont 2 milliards dès le plan de relance (et non 9 milliards comme on peut lire ici ou là). Mais les sommes déjà débloquées de cette enveloppe ne sont pas précisément recensées. Le gouvernement indique qu'il "prévoit désormais" la mise en place d'un "mécanisme de soutien à la production d'hydrogène destiné à l'industrie" qui serait doté, "en plusieurs vagues", d'environ 4 milliards d'euros sur "au plus 15 ans". Un mécanisme dont il déclare par ailleurs qu'il a "été lancé" le 19 décembre dernier. Par ailleurs, s'il est rappelé que "l'enjeu essentiel réside dans le coût de fourniture" de l'électricité, "principal facteur de coût de la production d'hydrogène par électrolyse de l'eau", aucune nouvelle mesure ne semble prévue à ce stade en la matière. 

… mais aussi réglementaire

Outre ce soutien financier, le gouvernement entend apporter un soutien règlementaire, alors qu'il est relevé, de manière moins amène cette fois, que les textes du quatrième paquet gaz adoptés par l'Union européenne le 13 juin 2024 "créent un cadre réglementaire général assez contraignant". En la matière, le gouvernement souligne également la nécessité "que la contribution de l'hydrogène bas-carbone soit reconnue au niveau européen à l'égal de celle de l'hydrogène renouvelable", en affirmant que "la France continuera de s'investir au niveau européen pour faire valoir ce point de vue". Une mission mi-travail herculéen, mi-rocher de Sisyphe (lire notre article du 14 février 2023).

Une production au plus proche des consommateurs, particuliers exclus

Du fait de "l'absence d'un réseau hydrogène à grande échelle", la stratégie confirme également le fait que les sites de production "seront généralement dimensionnés en fonction des consommateurs de proximité", conformément aux prescriptions de la Commission de régulation de l'énergie (lire notre article du 25 septembre 2024). La production devrait ainsi continuer de "s'organiser entre des pôles de consommation 'centralisés' massifs (notamment les zones industrielles de Fos-sur-Mer, Dunkerque, Le Havre-Estuaire de la Seine, Vallée de la Chimie), des pôles 'semi-centralisés' autour des villes de taille moyenne ou des plateformes industrielles de plus petite taille et des pôles 'diffus', notamment sur le réseau autoroutier en application du règlement Afir". 

La stratégie réaffirme par ailleurs clairement qu'il n'est pas envisagé de desservir les particuliers. La France ne prévoit donc de "ne développer que des réseaux de transport", et non de distribution. "La priorité française en matière de développement du réseau hydrogène reste donc le déploiement d'infrastructures au sein de hubs d'hydrogène", "connectant producteurs et consommateurs, et leur connexion aux infrastructures de stockage" (soit 500 km de canalisation à court terme dans les zones industrielles précédemment évoquées). 

Nécessité d'un stockage "massif"

Ces infrastructures de stockage seront d'autant plus nécessaires que "le développement de l'hydrogène produit par électrolyse conduit à une augmentation de la demande d'électricité et pourrait avoir un impact notable sur la pointe de consommation". Afin d'éviter des situations de black-out, les nécessaires effacements ponctuels des électrolyseurs nécessiteront ainsi "à moyen terme l'accès à des stockages massifs d'hydrogène, en cavités salines, en plus des stockages de surface". Les principaux sites potentiels identifiés se situent à proximité des hubs de Fos-sur-Mer et de la Vallée de la chimie. 

"En se fixant un objectif de production réaliste de 4,5 GW d’ici 2030, et en adossant à cet objectif des subventions et un mécanisme de soutien à la production d’hydrogène bas carbone et renouvelable, l’État se dote des outils à la hauteur de ses ambitions", a salué sans tarder le PDG de Lhyfe, producteur d'hydrogène vert et renouvelable.

 

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