Accueil des Ukrainiens en France : une organisation inédite... et un coût hors normes
La Cour des comptes a mené un "audit flash" sur "l'accueil et la prise en charge par l'État des réfugiés d'Ukraine en France en 2022". Un constat positif : "le partenariat territorial de l’ensemble des acteurs", dont les collectivités, autour des préfets. Le rapport relève que la prise en charge exceptionnelle liée à la "protection temporaire" représente en moyenne le double du budget alloué aux demandeurs d'asile "classiques". Le principal budget : l'hébergement. Un hébergement fortement concentré dans les métropoles. Selon la Cour, il va falloir "prévoir les conditions de sortie du statut de la protection temporaire".
Les près de 115.000 déplacés ukrainiens arrivés en France depuis un an ont été accueillis dans des "conditions satisfaisantes", grâce au régime de la "protection temporaire" mis en place pour la première fois à l'échelle européenne, rappelle la Cour des comptes dans un rapport d'"audit flash" rendu public ce mardi 28 février. Un régime qui leur a permis de s'installer librement en bénéficiant d'une salve sans précédent de droits sociaux : accès au travail, aux services de santé, à la scolarisation des enfants, à l'hébergement d'urgence...
Autre élément notable relevé par cet audit : la mise en place rapide de la cellule interministérielle de crise (CIC) Ukraine, qui a coordonné l'action de l'ensemble des acteurs – collectivités locales et associations – autour des préfectures. "Dans les principales métropoles, des lieux d'accueils ont été proposés dans des formats parfois inédits, à l'image des 'hub' et ont permis une réponse véritablement mutualisée et une première mise à l'abri des réfugiés", constate la Cour.
Ainsi, celle-ci semble globalement se féliciter des "choix structurants d’organisation" qui ont été opérés pour "coordonner et associer le plus grand nombre des parties prenantes de premier rang, ainsi que les autres partenaires de gestion de cette crise (collectivités, associations, entreprises et fédérations professionnelles) afin de couvrir un spectre large des acteurs impliqués". Et considère que "l’approche déconcentrée de gestion de la crise, assurée par les préfets de département, a facilité le partenariat territorial de l’ensemble des acteurs", en retenant notamment les leçons de la crise covid quant à la nécessité "d’agir de manière transversale et coopérative et d’investir sur un travail de proximité avec les acteurs locaux pour garantir la continuité des actions de l’État". Ainsi, la CIC-Ukraine "a laissé les préfectures interagir avec les collectivités territoriales de leur ressort"… certes avec une relation de "qualité variable selon les territoires".
"Cette réactivité n'a pas été sans prix", écrit la juridiction financière. "L'ensemble des dépenses engagées par l'Etat et la Sécurité sociale pour la protection temporaire des Ukrainiens devrait s'élever à environ 634 millions d'euros pour l'année 2022." Un budget pour l'essentiel constitué de l'allocation versée à ces déplacés (218,46 millions) et de leur hébergement (253,27 millions). Et qui ne tient pas compte de "l’ensemble des actions menées par d’autres entités, telles que les collectivités territoriales ou les associations", est-il noté en préambule.
La Cour des comptes a observé un surcoût important dans cette dépense, qui tient surtout "à l'urgence" dans laquelle l'accueil a dû s'organiser. Ainsi, le "coût unitaire" pour un Ukrainien a représenté en 2022 "presque le double de celui des dispositifs offerts aux demandeurs d'asile classiques", souligne la Cour.
Dans le détail, pour l'hébergement, "le coût par place et par jour s'est élevé à 38 euros en moyenne nationale, là où la mise à l'abri de droit commun (...) est en moyenne inférieure à 20 euros et (inférieure) à 18 euros dans le dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile", poursuit-elle. Et des dispositifs exceptionnels, comme le placement de centaines de personnes fin mars à bord d'un ferry de la compagnie Corsica Linea au large de Marseille ont fait exploser la facture : 71 euros par jour et par place.
A l'avenir, "les enjeux de l'hébergement hôtelier vont devoir être réévalués", en envisageant par exemple une "contribution" des Ukrainiens à leur hébergement "dès lors qu'(ils) disposent de ressources suffisantes", notamment lorsqu'ils travaillent, écrit la Cour des comptes. Qui recommande par ailleurs de "mieux encadrer l'hébergement citoyen", sur lequel pèse selon elle 40% du poids de l'accueil. Pour l'heure, "la capacité humaine et financière à maintenir une prise en charge dans la durée est en question", estime-t-elle.
Depuis fin 2022, près de 900 foyers accueillant des déplacés ukrainiens perçoivent une aide financière de l'Etat, environ 150 euros mensuels, ce qui a représenté une enveloppe de quelque 786.000 euros, avait indiqué la semaine dernière à l'AFP le ministère du Logement. Problème, juge la Cour, "la capacité à maintenir une indemnisation" n'est "pas garantie". Sans compter qu'"un nombre non mesurable de ces hébergements s'est organisé sans intermédiaires, aux abords des gares ou sur les réseaux sociaux, sans qu'aucun contrôle soit possible".
La Cour regrette également que l'accueil des Ukrainiens ne soit pas encore budgété dans la loi de finances 2023, ce qui "prive l'ensemble des intervenants de la visibilité nécessaire pour organiser les moyens d'agir".
Au-delà de l'enjeu financier, l'audit met en relief la donne territoriale liée au fait que durant les premiers mois, "les arrivées se sont concentrées sur les métropoles et les territoires frontaliers de l'Est de la France". Et donc que l'hébergement centré sur les métropoles "a constitué un défi de taille pour ces zones tendues, déjà saturées par l'accueil ou la mise à l'abri d'autres publics précaires".
Le document souligne que "les contraintes des logements situés dans les métropoles (…) appellent la mise en place d'une meilleure répartition territoriale, que l'État tente de promouvoir auprès des personnes déplacées". Et qu'il va falloir "prévoir les conditions de sortie du statut de la protection temporaire - dispositif communautaire d'une durée d'un an et limité à trois ans au maximum".
Le gouvernement a indiqué à l'occasion du premier anniversaire du conflit, le 24 février, qu'un "petit flux" de quelques centaines d'Ukrainiens par mois continue d'arriver. Selon la Cour, fin 2022, on en comptait toutefois encore 2.000 à 4.000 par mois. En un an, ce sont à 80% des femmes ukrainiennes qui se sont installées en France, accompagnées de 20.000 enfants aujourd'hui scolarisés.