Handicap - Accessibilité : les collectivités auront du mal à respecter l'échéance de 2015
Lancées le 9 avril dernier par l'ex-ministre du Développement durable Jean-Louis Borloo, les journées territoriales de l'accessibilité (JTA) avaient pour ambition "de dresser un constat partagé de l'état d'accessibilité du territoire départemental, de repérer les bonnes pratiques et d'identifier les éventuelles difficultés de mise en oeuvre". Elles se sont concrétisées par l'organisation dans chaque département, sous l'égide des préfets, d'une réunion associant élus, professionnels, agents des services techniques, représentants des associations de personnes handicapées... Au total, le ministère, qui vient d'en publier la synthèse, revendique environ 10.000 participants.
Un sujet difficile
Selon la déléguée ministérielle à l'accessibilité, "les échanges ont confirmé que la mise en accessibilité de la cité est un sujet difficile : d'un côté les contraintes soulignées par les opérateurs, qui doivent être entendues, et de l'autre les fortes attentes des associations de personnes handicapées, qui sont légitimes". La synthèse des différentes journées souligne que "le constat est souvent fait d'une ignorance ou d'une méconnaissance de la loi du 11 février 2005 par certains des acteurs", mettant ainsi en évidence le besoin d'informations pratiques, au plus près des collectivités, notamment sur la démarche Pave (plan de mise en accessibilité de la voirie et des espaces publics). De même, "il est parfois difficile de permettre l'appropriation de démarches complexes, notamment auprès des collectivités les plus petites et de la multitude des acteurs".
Le respect de la date limite de 2015 pour la mise en accessibilité du cadre bâti, des transports et des interfaces "bâti/espaces publics" a également donné lieu à de nombreux échanges lors des journées. Ainsi que le souligne pudiquement le compte rendu des JTA, "ce qu'il semble essentiel de retenir des débats, c'est l'importance de garder la dynamique et de poursuivre la mise en accessibilité de notre société et de son cadre de vie, tout en veillant à respecter la date de 2015". En d'autres termes, acteurs locaux et associations sont conscients que "tout n'est pas faisable", et si la date de 2015 a une valeur symbolique forte, elle ne se traduira pas nécessairement par une mise en accessibilité réellement généralisée.
Retards et disparités géographiques
Les journées territoriales de l'accessibilité étaient aussi l'occasion de faire un point précis de l'avancement des démarches en la matière, grâce à l'enquête annuelle du ministère et à une enquête spécifique réalisée auprès des collectivités. Les résultats apparaissent mitigés.
Ainsi, la loi de 2005 fixait la date limite du 11 février 2008 pour l'adoption, par chaque autorité organisatrice de transport (AOT), d'un schéma directeur d'accessibilité des services de transport (SDA). A ce jour, 30% seulement des AOT ont adopté leur schéma, 52% "poursuivent leurs réflexions sur ce document de planification et de programmation", tandis que 18% d'entre elles n'ont pas encore engagé la réflexion.
En matière de plan de mise en accessibilité de la voirie et des espaces publics - obligatoire pour toutes les communes, quelle qu'en soit la taille -, la date limite d'adoption était fixée au 22 décembre 2009. Or seules 4,59% des communes françaises, représentant 13,2% de la population française, sont aujourd'hui couvertes par un Pave à compétence communale ou intercommunale. Ce chiffre recouvre en outre de fortes disparités géographiques : neuf départements ne comptent aucun Pave, tandis que cinq autres (Ain, Finistère, Rhône, Corrèze et Haute-Savoie) dépassent au contraire les 20% de Pave. La situation s'améliore toutefois nettement si l'on prend en compte les Pave en cours d'élaboration. Le total des communes couvertes passe alors à 59,4% (82% de la population française), et onze départements dépassent même les 90%, dont deux à 100% : le Maine-et-Loire et les Hauts-de-Seine.
EPR : les communes plus réactives que les intercommunalités
La date limite de réalisation des diagnostics d'accessibilité des établissements recevant du public (ERP) se situe, pour sa part, au 1er janvier 2010 (ERP des 1ère et 2e catégories) ou au 1er janvier 2011 (ERP des 3e et 4e catégories), les ERP de 5e catégorie étant dispensés de diagnostic mais tenus d'être accessibles au 1er janvier 2015. A ce jour, les communes se sont montrées nettement plus réactives que les intercommunalités. Pour les ERP des 1ère et 2e catégories, le taux de réalisation des diagnostics est en effet de 47% pour les communes et de 34% pour les EPCI. Pour ceux des 3e et 4e catégories, ces taux sont respectivement de 32% et 25%. Ici aussi, les écarts géographiques sont importants, puisque dix départements dépassent les 70% de réalisation des diagnostics pour les ERP des 1ère et 2e catégories (jusqu'à 83% en Meurthe-et-Moselle). Douze départements dépassent les 50% de réalisation des diagnostics pour les ERP des 3e et 4e catégories (jusqu'à 77% en Corse-du-Sud).
Les instances ou outils les plus avancés sont finalement les commissions communales pour l'accessibilité aux personnes handicapées (CCAPH), obligatoires dans toutes les communes de plus de 5.000 habitants. Leur taux de mise en place est en effet de 76%. Les EPCI sont à nouveau à la traîne, avec un taux de 62% pour la mise en place des commissions intercommunales. Autre observation : les villes petites et moyennes se sont révélées plus réactives que les grandes dans la mise en place des CCAPH. A l'inverse, les EPCI les plus peuplés se sont montrés les plus rapides dans la mise sur pied des commissions intercommunales.
A qui la faute ?
Ces résultats mitigés - surtout si l'on considère les dates limites fixées par la loi - ne sont pas nécessairement la conséquence d'une mauvaise volonté des acteurs concernés. Les journées territoriales de l'accessibilité ont en effet été l'occasion pour ces derniers de faire valoir un certain nombre de difficultés rencontrées. La principale réside bien sûr dans le coût de la mise en accessibilité. Ceci amène les acteurs locaux à plaider, "au nom du principe de réalité", pour un "glissement des échéances". Si la loi de 2005 est très largement acceptée dans son principe et dans ses dispositions, elle est en revanche souvent "ressentie comme une contrainte, sans aucun financement ou taxe spécifique aidant à supporter les investissements importants de mise aux normes, ce qui n'enlève rien à l'intérêt de les réaliser".
Une autre difficulté réside dans le manque de maîtrise de la réglementation, notamment de la part des maîtres d'ouvrage des petits ERP et des petites collectivités territoriales. Certains acteurs jugent même cette réglementation inadaptée, car réduisant la qualité d'usage des logements, trop rigide (absence totale de dérogations) et focalisée sur l'aménagement urbain. A titre d'exemple, la notion de "quais urbains" n'est pas vraiment adaptée aux transports par bus dans les zones rurales. La synthèse retient donc la nécessité d'agir simultanément sur trois leviers : sensibilisation, information et formation.
D'autres difficultés sont également évoquées, comme le manque de coordination entre maîtres d'ouvrage pour les travaux de voirie (nationale, départementale, communale) et entre gestionnaires de voirie. Les participants aux journées territoriales ont également pointé la confusion sur les missions des CAPH, le problème de l'articulation entre les commissions communales et les commissions intercommunales couvrant le même territoire et, surtout, la différenciation à faire entre les missions de la CAPH et les obligations des communes. Il en résulte que "les CAPH ne réussissent que difficilement à veiller à la cohérence des actions menées sur le territoire communal".
Un atlas des démarches d'accessibilité
Ces différents constats débouchent sur un certain nombre de préconisations, dont la portée reste toutefois assez générale. On signalera en particulier la nécessité de mieux former les professionnels du bâtiment aux questions d'accessibilité, l'identification et la mobilisation d'une expertise de qualité ou encore la nécessité d'envisager des sanctions pour les manquements les plus graves. Mais la synthèse préconise aussi "de faire preuve de pragmatisme et d'améliorer la concertation". Elle suggère enfin une plus grande mise en cohérence des politiques sectorielles et une révision des financements, en particulier en ne réservant pas les aides publiques aux seuls EPCI.
Parallèlement à l'organisation des JTA, le ministère du Développement durable a mis en place un outil original qui s'appuie sur les remontées du terrain organisées à l'occasion des journées : un atlas des démarches d'accessibilité. Disponible sur le site du ministère, il prend la forme d'une carte interactive qui retrace l'état d'avancement des initiatives des collectivités territoriales en la matière. En sélectionnant un département, on obtient une carte détaillée présentant l'état d'avancement des démarches des communes et des intercommunalités pour quatre outils : les schémas directeurs d'accessibilité des services de transport, les plans de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics, les diagnostics d'accessibilité des établissements recevant du public gérés par les collectivités territoriales et les commissions communales ou intercommunales pour l'accessibilité aux personnes handicapées.