Accès aux soins : le débat sur la liberté d'installation bat son plein
Le début de l'examen en séance à l'Assemblée de la proposition de loi visant à "Améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels" était suspendu au rapport de force autour de l'amendement prévoyant que "toute nouvelle installation d’un médecin ou d’un chirurgien‑dentiste en ville (...) est subordonnée à l’autorisation de l’agence régionale de santé". Le gouvernement y reste résolument opposé. Et fait valoir de nouvelles dispositions liées aux maisons de santé et à la formation des internes en médecine générale.
L'Assemblée nationale va-t-elle finalement toucher à la liberté d'installation des médecins ? L'incertitude était encore de mise ce mardi 13 juin après-midi, au moment où devait reprendre en fin de journée l'examen en séance de la proposition de loi Valletoux, tout juste entamé la veille au soir. "Ca va être chaud" : le ministre de la Santé, François Braun, reconnaît que la semaine va être tendue au Palais-Bourbon (l'examen du texte doit durer jusqu'à vendredi). "Créer des rigidités et des contraintes" pour l'installation des professionnels de santé "sera totalement contre-productif, et ne ferait que détourner plus encore de l'exercice de la médecine", a-t-il lancé au coup d'envoi des discussions lundi soir. "Ces débats heurtent nos médecins".
La proposition de loi Valletoux entend, avec le soutien du gouvernement et de 200 députés de la majorité, entre autres "accroître la participation des établissements de santé à la permanence des soins", en visant en premier lieu les cliniques privées, qui seraient obligées de prendre part notamment aux urgences. Le texte prévoit aussi d'interdire l'intérim en début de carrière pour certains soignants, et d'ouvrir, dès la troisième année, la possibilité pour les étudiants en médecine de signer des "Contrats d'engagement de service public", avec une allocation mensuelle contre un engagement dans un désert médical (voir aussi notre article du 8 juin).
Mais les regards de l'exécutif et de la profession sont braqués vers un amendement au texte, porté par le socialiste Guillaume Garot, et un groupe transpartisan d'élus venant de presque tous les groupes politiques, y compris ceux du camp présidentiel. Le RN n'a pas été associé. Cet amendement prévoit de remettre partiellement en question la liberté de principe pour les médecins de s'installer dans des zones déjà bien pourvues en soignants, en instaurant une "régulation". Pour aller dans un secteur déjà bien doté, les médecins libéraux et chirurgiens-dentistes devraient obtenir une autorisation de l'Agence régionale de santé (ARS), conditionnée par exemple au départ à la retraite ou au déménagement d'un médecin exerçant le même type d'activité. "Huit millions de Français sont concernés" par des difficultés d'accès aux soins, insiste le député et ancien ministre socialiste, pour qui il faut du "courage politique", à défaut de "solution magique". Il a réuni autour de son initiative un nombre important de députés, 207 à ce jour. En commission à l'Assemblée nationale, le groupe transpartisan a notamment décroché le principe d'un préavis de six mois pour mieux anticiper les départs inopinés, y compris de dentistes et de sages-femmes. La bataille devrait notamment se jouer au nombre de députés présents pour chaque camp.
Frédéric Valletoux est opposé à une "régulation" immédiate, estimant que les effectifs de médecins seront trop faibles ces cinq ou dix prochaines années pour qu'elle résolve le problème : "J'y serai favorable le jour où on a des effectifs de soignants importants à dispatcher sur le territoire". Le ministre torpille la mesure proposée, qui risque de "pourrir la situation" : "Les jeunes ne vont pas vouloir s'installer, les plus anciens vont dire 'c'est bon, on déplaque', quand d'autres vont choisir le "déconventionnement", critique-t-il. Quel que soit le vote, le texte devra encore passer au Sénat.
Certains professionnels sont déjà opposés à la version "Valletoux" du texte, notamment parce que celle-ci prévoit que les libéraux soient rattachés automatiquement, "sauf opposition", aux communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), censées faciliter la coordination à l'échelle du territoire. Quatre des six syndicats représentatifs (Avenir Spé, UFML, FMF, SML) ont annoncé lundi une grève illimitée à partir du 13 octobre.
En parallèle, plusieurs annonces gouvernementales
En séance, le gouvernement va aussi proposer des mesures pour les "maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP)", ou encore pour insister sur l'obligation de participation de certains soignants à la permanence des soins.
Les maisons de santé vont en effet bénéficier d'un "accompagnement" de 45 millions d'euros sur trois ans, pour porter leur nombre de 2.300 aujourd'hui à 4.000 en 2027, a indiqué lundi la ministre Agnès Firmin Le Bodo. "Nous allons mettre 15 millions d'euros par an sur trois ans", soit 45 millions au total "pour accompagner les nouveaux projets" de maisons de santé, a-t-elle déclaré dans un entretien au quotidien La Provence. La ministre déléguée à l'Organisation territoriale et aux professions de santé, qui a inauguré lundi matin une maison de santé à Sisteron (Alpes-de-Haute-Provence), souligne qu'il faudra "en créer environ 450 par an" pour atteindre l'objectif fixé par le gouvernement. "L'Etat donnera les moyens, aux côtés des investisseurs privés (et) des collectivités locales", pour développer ces structures qui sont "une des réponses pour lutter contre la désertification médicale", a-t-elle ajouté. Pour y attirer les soignants, la ministre a promis d'y "développer le service sanitaire des étudiants" et d'y faciliter les stages des internes en médecine. Le gouvernement souhaite, par ailleurs, apporter des garanties juridiques aux médecins qui s'installent en maison de santé : deux amendements ont été déposés en ce sens.
Par ailleurs, François Braun loue déjà l'année supplémentaire prévue pour les internes en médecine générale. Le ministre a en effet annoncé lundi que les internes en médecine générale, jusqu'à présent formés en trois ans, devront à l'avenir effectuer une année supplémentaire "en cabinet médical", qui pourra être payée "jusqu'à 4.500 euros net par mois". Promesse de campagne d'Emmanuel Macron déjà inscrite dans le dernier budget de la Sécu, cette mesure concernera les futurs généralistes qui débuteront leur internat en septembre et donc leur quatrième année à l'automne 2026. Le ministre de la Santé avait commandé en septembre un rapport pour en préciser les modalités, notamment en termes de rémunérations. Un document finalement remis lundi, à une semaine des "épreuves classantes nationales" qui détermineront les choix (spécialité et ville) des futurs internes. Cette année supplémentaire ne sera "pas juste une année de plus", a assuré François Braun dans un discours prononcé à cette occasion. Elle comprendra "deux stages de six mois" effectués (sauf exception) "dans le même cabinet médical", avec une participation à la "permanence des soins" le soir et le weekend. En contrepartie, les internes bénéficieront du statut de "docteur junior", assorti d'une rémunération de 32.000 euros brut par an. Ils garderont aussi 20% des honoraires de leurs consultations - dans une fourchette de 10 à 30 actes par jour. Ceux qui choisiront d'exercer dans un désert médical "recevront une indemnité supplémentaire", a ajouté François Braun, rappelant que cette réforme vise à la fois un "renforcement de la spécialité de médecine générale" et "de l'accès à la santé dans les territoires".