Projet de loi sur la fonction publique : désaccords persistants entre le ministre et les syndicats
Après des déclarations à la presse vertement critiquées le mois dernier, le ministre en charge de la fonction publique, Stanislas Guerini, a relancé ce 21 mai la concertation sur le projet de loi "sur l'efficacité de la fonction publique" qu'il souhaite présenter à l'automne. Mais seule la moitié des syndicats ont répondu présents et les employeurs territoriaux ont réclamé que les priorités du projet de loi soient revues.
Les échanges ont été tendus. Evoquant cette réunion à laquelle Stanislas Guerini participait, Mylène Jacquot, secrétaire générale de la CFDT fonction publique, déclare : "On lui a dit un certain nombre de choses de manière assez directe". Le troisième syndicat de la fonction publique a choisi de participer à la réunion pour y défendre les propositions qu'il a rendues publiques à cette occasion. "On voulait essayer de contraindre le ministre d'apporter des réponses plus aux organisations syndicales qu'à la presse", affirme de son côté Stanislas Gaudon, président de la CFE-CGC (branche des services publics), qui était également présent.
"Divergences fortes"
Certains des sujets qui fâchent n'ont pas été évités. Comme la suppression des catégories administratives (A, B et C). Un sujet qui suscite "des divergences fortes". Celles-ci sont "considérées comme l’un des marqueurs d’une fonction publique de carrière, et comme facteur d’égalité et d’alignement des carrières", acte le ministère chargé de la Fonction publique dans une synthèse des échanges qui ont déjà eu lieu dans le cadre la concertation en cours. En observant par ailleurs que persiste néanmoins "un débat quant à l’adaptation d’une telle classification, au regard de la réalité des métiers et des qualifications comme fondement principal des parcours et des grilles".
A la place des catégories, le ministre propose toujours de mettre en place des filières professionnelles, une perspective qui n'enchante pourtant guère les organisations syndicales. Il souhaite que la suite de la concertation permettre d'approfondir la réflexion sur cette piste. D'après le document de travail transmis aux syndicats et aux employeurs, il entend notamment que soient examinées "les conditions et modalités de mise en œuvre d’une telle transformation", les "scénarios possibles" et "les impacts sur l’organisation et la classification des corps/cadres d’emplois" et sur "la politique de rémunération", ou encore sur "l'identification plus particulièrement des leviers de nature à favoriser la promotion au sein des filières (…) comme la mobilité et la progression de carrière entre filières".
Des réponses à l'insuffisance professionnelle
Le ministre n'aurait pas confirmé sa volonté de "lever le tabou du licenciement dans la fonction publique". Cette déclaration dans un entretien au Parisien paru le 9 avril avait fait grand bruit (voir notre article). Ce mardi, le ministre n'a plus évoqué la question. En revanche, celle de l'insuffisance professionnelle reste sur la table. Pour "répondre de manière plus juste et efficace" lorsque ce phénomène est constaté, il convient d'abord de parvenir à "une qualification juridique plus précise" de ce dernier, estime le ministre. Stanislas Guerini veut aussi mettre en place les "modalités d’une réponse plus graduée". "Il y aurait des agents qui seraient moyennement insuffisants, d'autres qui seraient complètement insuffisants…", ironise le président de la CFE-CGC. Dont l'une des propositions sur le sujet sera examinée au cours des prochaines réunions de concertation, à savoir "la création d'une commission ad hoc qui soit une voie de recours".
Sur la rémunération au mérite, le ministère observe qu'existent "des divergences fortes" chez les acteurs de la concertation. Il souhaite que les prochaines réunions soient l'occasion d'un éclairage "sur la place et les modalités d’un élargissement des primes individualisées en fonction des résultats et de la valeur professionnelle".
Boycott
Le ministre a proposé aux participants de débattre de plusieurs autres pistes. En matière de concours et de recrutement, la création d'une voie d'accès à la fonction publique dédiée aux apprentis est sur la table. En matière de logement des agents publics, les modalités de mise en oeuvre d'une "clause de fonction" permettant à des agents connaissant "d'importantes contraintes d'exercice de leur métier" d'accéder à un logement seront examinées. Au chapitre de la gestion des parcours professionnels, "l’opportunité d’une voie de titularisation des contractuels de type 'concours interne spécifique'" intéresse le ministre. Stanislas Guerini propose aussi la création d'une "nouvelle voie de promotion pour les fonctionnaires ayant validé une formation certifiante mise en place avec l’accord de l’employeur".
La CGT, Force ouvrière, la FSU et Solidaires (respectivement 1er, 2e, 5e et 6e syndicats) ont boycotté la réunion. "Nos fédérations ont décidé de ne pas s'y rendre et de tout mettre en oeuvre pour que ce projet soit définitivement enterré", ont-elles indiqué avant de tenir une conférence de presse mardi matin, au moment de la réunion de préparation de la réforme.
"Le défi premier est celui de l'attractivité"
De leur côté, les élus locaux ont demandé au gouvernement de revoir les priorités de son projet de loi. "Alors que le gouvernement met l'accent sur l'efficacité de la fonction publique, les employeurs territoriaux considèrent que le défi premier d'une fonction publique moderne est celui de l'attractivité et de la fidélisation de ses agents publics", indique la déclaration que Philippe Laurent, porte-parole de la Coordination des employeurs territoriaux (CET), a lue lors de la réunion. La CET, structure informelle qui regroupe les associations d'élus locaux, regrette en particulier que certaines de ses propositions formulées en octobre dans une "contribution" d'une vingtaine de pages (voir notre article) n'aient pas été retenues à ce stade par le gouvernement.
Si la faiblesse des salaires est souvent invoquée pour expliquer le manque d'attractivité de la fonction publique, les employeurs territoriaux "alertent sur leur capacité à répondre aux demandes de revalorisation des rémunérations, dans un contexte où leur autonomie financière est remise en question et où le gouvernement entend appeler les collectivités à participer au redressement des finances publiques".
La concertation sur le projet de loi va se poursuivre selon un calendrier "adapté et étendu", selon les termes du document de travail. Un "nouveau cycle de bilatérales", incluant "des rencontres avec le ministre", va être lancé. En sachant qu'une "nouvelle réunion multilatérale" est programmée pour le mois de juillet. Le calendrier est "un peu desserré", reconnaît la secrétaire générale de la CFDT fonction publique. "On va maintenir le rapport de force", prévient toutefois Mylène Jacquot.