Virgile Caillet (Union sport et cycle) : "Le modèle des piscines ne tient plus"
En exclusivité pour Localtis, Virgile Caillet, délégué général de l'Union sport et cycle – fédération des entreprises des filières sport, loisirs et cycles –, dévoile les premiers chiffres de la commande publique 2024 dans le secteur sportif. Il revient également sur les conséquences de la crise énergétique pour les piscines.
Localtis - L'Union sport et cycle (USC) doit communiquer en mars le bilan de la commande publique pour 2024. Quels premiers chiffres pouvez-vous nous donner ?
Virgile Caillet - En 2024, nous sommes à 9.750 appels d'offres, contre 9.651 en 2023, et à presque 450 millions d'euros pour ces marchés en ce qui concerne la seule partie sportive, puisque la partie BTP s'élève à près de deux milliards. Il ne s'agit que des commandes passées à la suite d'appels d'offres d'un montant supérieur à 100.000 euros, car en dessous de cette somme, les consultations ne donnent pas forcément lieu à un marché public. Et sans surprise, c'est toujours le bloc communal qui est le premier commanditaire. C'est donc un marché dynamique, qui continue à grandir, se consolide et est loin d'être mature.
Comment expliquez-vous ce dynamisme ?
Le secteur de la commande publique des équipements sportifs a évidemment été boosté par les Jeux olympiques et paralympiques et parce que des plans se sont succédé : "5.000 équipements" et "5.000 génération 2024". Cela crée un effet de levier positif auprès des collectivités territoriales depuis la reprise post-Covid. Mais si ce marché est plutôt satisfaisant en 2024, on a quand même des signaux d'alerte qui s'accumulent chez nos entreprises en contact direct avec les collectivités.
Quels sont ces signaux d'alerte ?
Il y a d'abord le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 et cette incertitude qui traîne en longueur et fait trembler tout le monde. Certaines collectivités prennent le taureau par les cornes en décidant des réductions. Il y a aussi les élections municipales qui se rapprochent avec, évidemment, des choix politiques qui suivront. Mais nous avons confiance en l'avenir car les collectivités ont bien intégré l'importance de la dimension sportive, de l'accessibilité pour tous et pour tous les sports, mais avec les contraintes que je viens d'évoquer. C'est donc un marché qui est assez paradoxal
Les fédérations sportives ont-elles guidé le choix des équipements à financer à travers les plans 5.000 ?
Non, les fédérations n'ont pas poussé vers ce qui les arrangeait. Il y a eu un travail de fond quand le premier plan 5.000 est sorti, fin 2021. Pour certaines collectivités, le plan a un peu répondu à des effets d'aubaine, ça a été l'occasion de faire financer en partie un terrain multisports ou autre, mais c'était à la marge. Globalement, la réflexion qui a guidé les deux plans 5.000 s'est appuyée sur des études et sur les aspirations de nos concitoyens en faveur d'équipements de proximité en accès libre.
À quelles difficultés les collectivités sont-elles confrontées en matière d'équipements ?
Il s'agit à la fois de construire ces équipements nouveaux et de devoir réhabiliter des équipements vétustes, avec environ la moitié du parc actuel qui date d'avant 1985 et n'a jamais été réhabilitée. On a un problème de fond. Avec plus de 320.000 équipements sportifs répertoriés, la question qu'on se pose est de savoir si l'on manque d'équipements ou s'ils sont mal répartis sur le territoire ? Correspondent-ils toujours aux attentes de nos concitoyens ? C'est un travail-clé que nous menons actuellement. Les collectivités doivent faire face à la réhabilitation de ce parc très vieillissant, notamment sur le plan énergétique, et à la demande sans cesse croissante et diversifiée de nos concitoyens pour de nouvelles formes de pratiques. De façon caricaturale, avant, avec une piscine, un stade, éventuellement une piste d'athlétisme et un gymnase, on couvrait une grosse partie des besoins. Désormais, il faut un skate-park, un pump-track (circuit de BMX), des pistes de padel, un mur d'escalade, du basket 3X3, tout une diversification de sites multisports. Cela impose aux collectivités une gymnastique à la fois économique et stratégique nouvelle et qui s'intensifie.
Parmi les dispositifs d'État, le Pass sport – une aide sous conditions au financement de l'activité sportive des jeunes – a été ouvert en 2023 aux loisirs sportifs marchands. Quel bilan vos adhérents en tirent-ils ?
Le Pass sport a eu son petit succès, avec une très forte progression par rapport à l'année passée et avec les caractéristiques qu'on pouvait imaginer, c'est-à-dire des bénéficiaires plutôt âgés de 15 à 20 ans et qui se sont plutôt dirigés vers les salles de fitness. Mais on n'est pas sur des volumes considérables et ça ne génère pas une économie qui changerait la donne. Néanmoins, c'est une forme de reconnaissance. C'était très important pour l'USC et nos adhérents d'être considérés aux yeux des pouvoirs publics et des collectivités comme des acteurs de la mise en activité des Français et notamment des plus jeunes. Oui, nous faisons partie de l'offre sportive, et oui, nous méritons nous aussi de pouvoir distribuer le Pass sport.
Si l'on revient à la question énergétique dans les équipements sportifs, on pense évidemment aux piscines. Avant qu'il ne soit censuré, vous aviez commencez à travailler avec le gouvernement Barnier sur la mise en place d'un fonds d'urgence pour la rénovation thermique des piscines. Pourquoi ?
La durée de vie du gouvernement Barnier ne nous a pas permis d'aller très loin, mais globalement, il y a une prise de conscience du risque d'épidémie de fermetures de piscines. Le coût de l'énergie devient complètement délirant. Les délégataires de service public que nous représentons nous ont fait une note extrêmement précise sur le modèle économique des piscines : depuis la crise de l'énergie de 2022, ils ont réussi à réduire de 15% leur consommation d'énergie. Dans le même temps, le coût de l'énergie a augmenté de 115%. Le modèle ne tient plus alors que le premier poste de dépenses d'une piscine, c'est l'énergie. Ça ne tient plus en premier lieu pour les délégataires, parce qu'ils ne sont pas là pour perdre de l'argent, mais très rapidement, les collectivités ne pourront plus assumer le coût d'une piscine. On dit au gouvernement qu'il faut discuter avec les énergéticiens. Oui, il faut innover, oui, il y a des pistes à creuser dans la conception des piscines pour une meilleure appréhension des enjeux énergétiques, mais il est évident qu'en l'état, des collectivités vont être contraintes de fermer leurs piscines. C'est plus raisonnable, qui plus est dans les périodes de fortes contraintes budgétaires.
Comment ces discussions étaient-elles nées ?
Nous avions sensibilisé le ministre des Sports Gil Avérous, particulièrement sensible au sujet et confronté à la situation en tant que maire d'une grande ville [Châteauroux, ndlr]. Je crois qu'au niveau de l'État, y compris à l'Élysée et à Matignon, on a bien compris que c'était un sujet toxique. Au début de la crise de l'énergie, quelques piscines avaient fermé et cela avait rapidement fait polémique et généré pas mal de crispations de la part des citoyens. Le modèle ne tient plus. Quand le coût de l'énergie dépasse largement celui des salaires et charges, ça veut dire que le modèle est de beaucoup déficitaire.
Ces discussions continuent-elles avec Marie Barsacq, nouvelle ministre des Sports ?
Oui, on en parle avec la nouvelle ministre et avec le cabinet du Premier ministre, qui est très à l'écoute. Il faut maintenant trouver les bonnes clés de lecture pour les piscines. Il ne s'agit pas d'aider ou de soutenir les piscines qui n'ont pas de public mais plutôt d'aider les piscines qui ont démontré qu'elles avaient un public mais qui sont confrontées à des difficultés liées au coût de l'énergie. Malgré la situation des comptes publics, il y a plusieurs acteurs qui ont envie de créer un fonds d'urgence pour les piscines, cela répond à une attente des collectivités et des citoyens.
Avez-vous une idée du montant nécessaire pour un fonds d'urgence en faveur des piscines ?
C'est plusieurs centaines de millions d'euros... c'est énorme. Mais l'important est d'avoir un signal, quelque chose qui fasse effet de levier. L'impulsion de l'État permet de déclencher les choses. C'est aussi cette dimension-là qu'on attend et c'est pour ça qu'on sollicite le gouvernement.