Aménagement du territoire - "Un Etat stratège à la française dans un jardin à l'anglaise"
L'aménagement du territoire revient-il à l'honneur ? La nomination d'un ministre, Michel Mercier, chargé de l'espace rural et de l'aménagement du territoire lors du dernier remaniement pourrait le laisser penser. D'autant que ce dernier vient de se voir chargé par le président de la République d'émettre des propositions sur la base du rapport qui lui a été remis le 29 juin par Christian Saint-Etienne. L'économiste, membre du Conseil d'analyse économique, s'est récemment fait remarquer en annonçant la "fin de l'euro" mais son nouvel opuscule d'une trentaine de pages ne devrait pas moins attirer l'attention des collectivités. Chargé en janvier dernier par Nicolas Sarkozy de construire une "stratégie offensive pour l'aménagement du territoire", il se fait le chantre de "l'économie entrepreneuriale de la connaissance (EEC)" fondée sur la croissance verte. Constatant que "la France exploite mal la potentialité de ses territoires", il propose d'en finir avec les querelles institutionnelles pour se concentrer sur des stratégies locales de développement. "L'élément décisif de succès est de construire dans une région ou dans une métropole un système d'innovation faisant travailler ensemble les chercheurs, les entrepreneurs et les capitaux-risqueurs afin de réussir le nécessaire maillage entre des PME en développement et les territoires", précise-t-il. En clair, ce n'est pas la taille des acteurs qui conditionne le succès mais leur capacité à mettre en relation décideurs politiques, économiques et sociaux. Ainsi, une intercommunalité de 250.000 habitants ou plusieurs villes moyennes présentant "un projet remarquable en réseau", auraient plus de légitimité à accéder à des fonctions de "métropole" qu'une ville de 500.000 habitants qui aurait un fonctionnement hiérarchique "en silos". Et de citer l'exemple de Nantes et de son rayonnement sur l'Arc atlantique. Avec trois ou quatre métropoles de rang européen, la France pourrait ainsi favoriser l'essor de quelques métropoles régionales.
Il manque 15.000 entreprises de 200 à 300 personnes en France
Dans sa vision de l'aménagement du territoire, l'économiste souhaite redonner toute sa place à un "Etat stratège". Un haut-commissariat à la stratégie et au développement économique des territoires (HC-SDET) regrouperait notamment les moyens actuels de la Diact et du Conseil d'analyse stratégique (ex-commissariat au Plan) rattaché au Premier ministre. Le suivi des politiques mises en place serait assuré par une Agence d'évaluation des politiques et des investissements publics (AEPIP). Elle serait compétente aussi bien pour les politiques publiques que les réglementations et les investissements publics. La mise en place de ces deux structures, accompagnée par la nomination de "préfets-stratèges", "permettrait une ample rationalisation des moyens de l'Etat tout en lui redonnant une grande efficacité dans les territoires", juge Christian Saint-Etienne.
Mais les régions ne sont pas en reste. Elles sont appelées à élaborer des schémas prescriptifs de mobilité afin de mettre fin à "l'isolement décisionnel" du monde rural et à élaborer des schémas régionaux d'aménagement du territoire intégrant les Scot. Les régions ont aussi un rôle clé à jouer pour renforcer l'appareil productif des territoires. Selon Christian Saint-Etienne, il manquerait 15.000 entreprises de 200 à 300 personnes en France pour retrouver des taux d'activité comparables aux pays les plus compétitifs. "Sur la base des PIB régionaux actuels, il en faudrait 4.000 en Ile-de-France, plus de 1.000 dans les trois principales régions suivantes, et un demi-millier dans chacune des autres régions", constate-t-il. La taille des régions françaises, souvent évoquée parmi les causes du manque de productivité de la France, n'est plus un problème aux yeux de Christian Saint-Etienne qui y voit au contraire un atout dans l'organisation qu'il propose. "Par exemple, la région des Pays-de-la-Loire peut s'inscrire dans un projet de bassin fluvial avec toutes les régions traversées par la Loire et dans un projet sur l'Arc atlantique avec toutes les régions côtières de l'Atlantique", illustre-t-il.
Une assemblée régionale des impôts locaux
La réforme des collectivités territoriales est une occasion de remettre l'aménagement du territoire sur de nouveaux rails en confiant "des compétences exclusives aux régions et aux départements, limitant ainsi les recouvrements d'action". Question financement, le rapport propose de remplacer la taxe professionnelle par un couple aux taux liés aux bénéfices des régions et des départements : 1,5% de CSG communale et 1,5% de taxe sur la valeur ajoutée annuelle nette pour toutes les entreprises. Une fois ce couple mis en place au taux unique de 1,5%, il pourrait être modifié : soit dans un cadre national, soit dans un cadre régional par une "assemblée régionale des impôts locaux" constituée de représentants de la région, des départements et des communes qui se réunirait tous les trois ans.
Fort de ces nouveaux instruments et de cette nouvelle architecture, Christian Saint-Etienne se montre sans états d'âme pour les territoires qui n'auront pas su s'adapter. "Il faut prendre le parti de ne 'garantir aucun avenir sur la voie rapide' si les acteurs d'un territoire sont incapables de se mettre d'accord", souligne-t-il, même si les incitations du HC-SDET et les schémas régionaux prescriptifs pourront servir de "filet de sécurité pour les communautés locales les moins dynamiques". C'est sa conception de "l'Etat stratège à la française dans un jardin à l'anglaise".
Michel Tendil