Transition écologique : "Passer de l’incantation à l’action, pas une mince affaire"

Le programme iTEEnéraire de formation des agents territoriaux à la transition écologique et énergétique, conduit par la région Centre – Val-de-Loire et onze collectivités du territoire, le CNFPT et l’Ademe, continue de se déployer. Un "forum des partenaires" tenu à Blois ce 17 décembre a permis de dégager un certain nombre de facteurs clés de succès, mais aussi quelques obstacles.

Dix mille agents formés à la transition écologique et énergétique d’ici fin 2026. Telle est l’ambition réaffirmée du programme iTEEnéraire (voir notre article du 20 mars), conduit par la région Centre-Val de Loire, onze collectivités* et un centre intercommunal d’action sociale du territoire en partenariat avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et l’Ademe et cofinancé par France 2030/la Banque des Territoires. Ce 17 décembre, un premier "forum" de ces différents partenaires se déroulait à Blois, l’une des collectivités embarquées dans l’aventure. Alors que les travaux progressent – les formations des quatre premiers "groupes métiers prioritaires" (propreté des locaux ; conception et gestion des espaces verts ; acheteur public ; maintenance du patrimoine bâti), coconstruites avec les agents, sont en cours de définition ; le même processus sera lancé au premier trimestre 2025 pour les 16 groupes métiers suivants, arrêtés en mars (voir notre article précité) –, cette rencontre fut notamment l’occasion de mettre en avant les facteurs clés de succès du programme… et les obstacles, qui ne manquent pas.

Une transition heureuse, pas honteuse

"Ce n’est pas une mince affaire de passer de l’incantation à l’action !", confesse Sophie Bernard, directrice générale des services de la ville de Saint-Jean-de-Braye (Loiret), avouant parfois se sentir "un peu seule". Si le constat est sans doute universel, il semble particulièrement approprié à la transition écologique et énergétique. Surtout dans "un contexte de plus en plus compliqué, où les poches sont vides", souligne François Gemenne, co-auteur du sixième rapport du Giec, convié en qualité de "grand témoin". Pour que la mayonnaise prenne, l’expert a listé un certain nombre d’ingrédients qu’il avait précédemment eu l’occasion de présenter dans la même cité royale (voir notre article du 29 mai). Premier d’entre eux, la fierté : "On ne réussira pas la transition du bout des lèvres. Il faut la revendiquer et être enthousiaste !", lance-t-il. Ce qui suppose de cesser de "donner l’impression que la transition est une régression", alors qu’elle est au contraire facteur de "progrès social, économique et démocratique", insiste-t-il. Ce qui suppose aussi d’être "convaincu de notre capacité à relever le défi. La confiance est une condition fondamentale du succès", enseigne-t-il encore. Dans la droite ligne des appels à "l’optimisme combattant" lancés naguère par François Durovray (voir notre article du 3 novembre 2021), Dominique Thillaud (voir notre article du 23 septembre 2022) ou encore Yann Wehrling (voir notre article du 5 novembre 2021), entre autres. 

Une transition positive et inclusive, pas moralisatrice

De l’optimisme, il en faut alors que se profilent "25 années de mauvaises nouvelles", puisque "l’on sait que, quoi que nous fassions, le changement climatique n’arrêtera de se dégrader que dans 25 ans au mieux", observe François Gemenne. Il souligne en conséquence la nécessité de faire "davantage apparaître les résultats intermédiaires", déplorant au passage le peu d’attention accordée aux baisses d’émissions de gaz à effet de serre constatées en France ou en Europe en 2023. En somme, la logique des "étoiles et des petits cailloux blancs" vantée par le maire de Loos-en-Gohelle, Jean-François Caron (voir notre article du 2 juin 2022). 

Dans la logique "Positivons !", l’expert insiste en outre sur la contre-productivité des "discours moralisateurs" qui feraient de l’écologie "un privilège de riches, décidé par des nantis dans des immeubles haussmanniens". Et de conseiller aux donneurs de leçons de tout poil, adeptes des réseaux sociaux, plutôt que "de vilipender ceux qui font du sur-place ou qui reculent, de valoriser ceux qui avancent". "Attention à la fracture", alerte de même Yohann Nédélec, président du CNFPT, en soulignant les risques induits par la "stigmatisation des territoires ruraux". Alors que François Gemenne met par ailleurs en exergue "la nécessité de nouer des partenariats avec le secteur privé" pour faire face aux besoins massifs d’investissements, sans doute faut-il éviter de stigmatiser l’action privée. Une tentation à laquelle le président de région, François Bonneau, n’a pu toutefois s’empêcher de succomber pour vanter les mérites de l’action publique, dans un "discours vertical inopérant" dont il venait pourtant de souligner l’inanité.

Nécessaire "démonstration"

Car c’est bien de la base que viendront les solutions, martèle-t-on. "Dans les collectivités territoriales", précise François Gemenne, à qui incombent pour lui la lourde mission de "faire l’indispensable démonstration, concrète", que la transition est à la fois possible et bénéfique. Une pression qui pèse plus précisément encore sur les épaules de leurs agents, "qui constituent le lien entre les territoires et les citoyens", souligne Christophe Drunat, président de la communauté de communes des Terres du Haut Berry. Si ce sont bien "les élus qui portent l’ambition de la transition écologique, qui fixent le cap, c’est aux agents de la mettre en œuvre", rappelle le maire de Blois, Marc Gricourt. C’est évidemment tout l’objet du programme. Lequel ne saurait nullement s’arrêter à la formation proprement dite, avertit France Burgy, directrice générale du CNFPT. "Une formation isolée ne sert à rien."

Vouloir et… pouvoir agir

"La formation est une condition nécessaire, mais insuffisante", appuie François Gemenne, en mettant en lumière "la question de l’engagement, de la volonté". Bref, le "vouloir agir" du triptyque de Guy Le Boterf (voir notre article du 20 mars). Et l’expert de prendre exemple de "l’erreur du Giec d’avoir cru qu’il suffisait d’informer les gens pour qu’ils agissent". Pour Sophie Bernard, l’encouragement doit notamment passer par de la rémunération, "avec une reconnaissance des évolutions professionnelles dans le Rifseep".

Pour que le projet porte, encore faut-il "synchroniser la transformation de l’organisation", avertit France Burgy, pour que l’agent qui rentre de formation puisse la mettre immédiatement en application – le "pouvoir agir". Et l’experte de prévenir que le défaut d’"ancrage de la formation" constituera plus qu’un coup d’épée dans l’eau, une véritable "régression". Non sans renvoyer ainsi la balle aux élus et à l’encadrement. 

Nécessaire culture commune

France Burgy pointe un autre écueil en la matière : la concordance des discours et des pratiques entre organisations. "Ce qu’on ne sait pas faire, c’est d’essaimer en interfonctions publiques", déplore-t-elle singulièrement, en relevant que chaque branche de la fonction publique, les associations, etc. disposent d’organismes de formation distincts, avec le risque de messages contradictoires – constat non dénué de risques, à l’heure où certains, comme le maire de Nice, plaident pour la suppression du CNFPT. D’où la nécessité selon elle "d’arrêter de travailler chacun dans son coin, de décloisonner". France Burgy prend l’exemple d’un partenariat noué le 5 novembre dernier entre le CNFPT et le réseau Canopé pour former les professionnels de la communauté éducative. "Il faut créer une culture commune, un langage commun", insiste également Marion Mondot, secrétaire générale à la COP planification écologique dans la région, qui semble encore découvrir le programme. Elle indique que 25.000 cadres de la fonction publique d’État ont pour l’heure été formés à la transition écologique, avec une formation "pas si innovante que ce projet". Non sans faire ainsi écho au maire de Blois, lequel estime que sur ce sujet comme sur d’autres, "les collectivités sont plus exemplaires et volontaires que l’État".

 

* Les conseils départementaux d’Eure-et-Loir (28), de l’Indre (36) et d’Indre-et-Loire (37), Tours métropole (37), Agglopolys Blois (41), les communautés de communes du Grand Chambord (41) et des Terres du Haut-Berry (18), les villes de Blois (41), de Lamotte-Beuvron (41), de Tours (37) et de Saint-Jean-de-Braye (45) et le centre intercommunal d’action sociale du Blaisois (41).

 

 

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