Fiscalité - TP : les députés tiennent-ils le scénario idéal ?
Alléger la fiscalité des entreprises et particulièrement l'industrie sans pénaliser les finances des collectivités locales ni augmenter la dette publique, maintenir la répartition actuelle de la charge fiscale entre les ménages et les entreprises... Le cahier des charges des quatre députés de la commission des finances de l'Assemblée nationale - Jean-Pierre Balligand, Marc Laffineur, Gilles Carrez et Didier Migaud - qui se sont penchés sur la taxe professionnelle n'était pas simple. Leurs propositions, déjà connues dans leurs grandes lignes (lire notre article du 11 juin) constituent "un compromis entre toutes les contraintes de cette réforme", a résumé Didier Migaud, président de la commission des finances, le 16 juin lors d'une conférence de presse. Et de fait, les députés devraient être en capacité de susciter un réel consensus auprès de tous les acteurs.
Avec ce scénario, les représentants des collectivités locales disposent d'"une vraie sécurité à terme", a pour sa part assuré Jean-Pierre Balligand. Au moment où le déficit public devrait passer au-dessus des 6% du PIB, "le risque est que le gouvernement fasse des ajustements sur les dotations aux collectivités locales", a-t-il estimé. Le gouvernement n'a-t-il pas proposé, en compensation de la suppression de l'assiette de la taxe professionnelle fondée sur les investissements, de transférer pour l'essentiel des dotations et des recettes fiscales faiblement dynamiques, voire présentant des risques de recul (TIPP) ?
Au contraire, le scénario des députés garantit aux collectivités le maintien de leur autonomie fiscale. Une taxe d'activité économique assise sur le foncier des entreprises procurerait 5,7 milliards d'euros de recettes aux communes et à leurs groupements. Le bloc communal bénéficierait en plus de l'intégralité de la part départementale de taxe d'habitation (pour en savoir plus sur les nouvelles recettes des collectivités : télécharger le document ci-contre).
Les départements et les régions bénéficieraient quant à eux d'une contribution sur la valeur ajoutée établie nationalement au taux de 1,5% et dont le produit serait de 12,8 milliards d'euros. Les deux tiers de cette somme seraient attribués aux départements et le dernier tiers aux régions. Pour compenser intégralement les 28 milliards de ressources que les collectivités tirent aujourd'hui de la taxe professionnelle, les députés proposent en plus le transfert de recettes fiscales actuellement encaissées par l'Etat et dont le dynamisme n'est pas mis en cause : le solde des droits de mutation (DMTO), la taxe spéciale sur les conventions d'assurances (TSCA) et la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom). Des dotations viendraient compléter le manque à gagner, à hauteur de 3,8 milliards d'euros (contre 7 à 8 milliards dans le scénario du gouvernement).
Même si la commission des finances n'a pas bouclé ses propositions sur le financement de l'intercommunalité, les représentants de celle-ci n'auraient pas d'inquiétude à avoir, affirme Jean-Pierre Balligand. D'un montant de 5,7 milliards d'euros, la future taxe d'activité économique couvrirait largement le besoin de financement des groupements à TPU, estimé à 3,2 milliards d'euros après reversements de fiscalité aux communes. De plus, la commission des finances envisage de donner aux groupements, à leur libre choix, tout un panel de solutions de financement. Les groupements et leurs communes membres disposeraient d'une année pour opter ensemble en faveur du mode de financement qui leur convient le mieux.
Auditionnées le 10 juin par les députés de la commission des finances, les associations d'élus locaux ont accueilli plutôt favorablement ces propositions, qui se rapprochent des positions communes qu'elles défendent. Toutefois, elles ont demandé aux députés d'approfondir la question de la répartition des nouveaux impôts entre les collectivités. Les représentants des départements et des régions ont souligné en particulier que leur pouvoir fiscal était amoindri. Répondant à leur inquiétude, les députés ont assuré mardi que le "dialogue" se poursuivrait et donc que des "ajustements" étaient possibles.
Valeur ajoutée : une assiette plus large
Du côté des entreprises, les députés ont eu comme souci principal d'alléger la charge fiscale de l'industrie sur laquelle la taxe professionnelle pesait proportionnellement de manière plus importante que sur le reste des entreprises. Ils se sont ainsi refusés à augmenter forfaitairement les valeurs locatives foncières des entreprises, ce qui aurait en effet pénalisé l'industrie. Ils prônent plutôt une minoration de 15% de l'assiette foncière globale des établissements industriels, qui générerait un allègement de 900 millions d'euros (sur les 7,5 milliards d'allègement fiscal globalement consenti en faveur des entreprises). Ils proposent en même temps de lancer la révision générale des valeurs locatives des locaux commerciaux - un processus qui pourrait prendre un an, selon le rapporteur général du budget, Gilles Carrez.
Entièrement distincte de l'impôt foncier, la contribution sur la valeur ajoutée aurait une assiette plus large que l'actuelle cotisation minimale sur la valeur ajoutée, à laquelle sont assujetties les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 7,6 millions d'euros. Toutes les entreprises actuellement assujetties à la fraction de la taxe professionnelle assise sur l'investissement seraient en effet concernées. Mais le taux de 1,5% ne s'appliquerait qu'aux entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à un million d'euros. Un taux progressif s'appliquerait en dessous de ce seuil. Pour tenter d'obtenir l'aval des représentants des entreprises, les députés proposent trois "verrous" : le rétablissement de la liaison des taux de fiscalité sur les ménages et sur les entreprises (en l'occurrence sur le foncier des entreprises), l'instauration d'un taux national pour la contribution sur la valeur ajoutée et le plafonnement global des entreprises (à 1,5% pour la contribution sur la valeur ajoutée et à 2% pour la taxe d'activité économique). Si le seuil de 3,5% d'imposition sur la valeur ajoutée était dépassé, l'entreprise obtiendrait un crédit sur sa cotisation d'impôt sur les sociétés - ce qui, contrairement à l'actuel plafonnement à la valeur ajoutée, n'aurait pas d'effet pour les collectivités. La réforme de la taxe professionnelle pourrait entraîner cependant des perturbations dans le paysage fiscal des entreprises, car en plus d'une révision des valeurs locatives des locaux commerciaux, les députés plaident, à l'instar de Gilles Carrez, pour une remise à plat des nombreuses exonérations de taxe professionnelle dont bénéficient plusieurs secteurs.
Pour combler le manque à gagner - estimé à 4,7 milliards d'euros - que la réforme entraînerait sur les recettes de l'Etat, les députés préconisent une hausse de l'impôt sur les sociétés (IS) Celle-ci serait de l'ordre "de 2 à 3 points", a indiqué Gilles Carrez, qui se fonde sur les montants d'IS enregistrés par l'Etat avant la crise. Cette hausse serait temporaire, le temps que le gouvernement instaure la contribution climat-énergie. Une fois sur pied, la part "entreprises" de cette contribution serait affectée au budget de l'Etat en remplacement des pertes de recettes liées à la taxe professionnelle.
Le schéma global envisagé par la commission des finances de l'Assemblée nationale tient la route. Reste à savoir si le gouvernement reprendra à son compte ces propositions. Un début de réponse sera peut-être apporté le 29 juin, date où la ministre de l'Economie doit de nouveau rencontrer les représentants des élus locaux. En attendant, les députés "vendent" le calendrier de leur réforme, nettement plus intéressant que celui auquel le gouvernement arrive. Fondée sur les modalités qu'ils ont préconisées, la réforme pourrait entrer en vigueur en 2010 pour les entreprises, comme l'a souhaité le président de la République. "Côté collectivités locales, la réforme devra être décalée d'un an", conseillent les députés. Durant cette transition, celles-ci percevraient des recettes constantes à partir d'un dégrèvement accordé par l'Etat.
Thomas Beurey / Projets publics