Tarification solidaire : un coup d'accélérateur pour la fréquentation des transports publics
Appliquée par une trentaine de réseaux en France, de taille très différente, la tarification solidaire permet de mieux cibler les usagers en situation de précarité et de les inciter à prendre davantage les transports publics. Un atelier organisé dans le cadre du Salon européen de la mobilité le 13 juin a fait le point sur cette pratique dans l’agglomération grenobloise, le Grand Poitiers et la communauté d’agglomération du Bassin d’Aurillac.
Dunkerque a été le premier à l’instaurer, en 1996 : depuis, une trentaine de réseaux de transports publics de toutes tailles - un tiers d’entre eux desservent moins de 100.000 habitants - pratiquent la tarification solidaire. Mais qu’entend-on exactement par tarification solidaire ? "C’est une tarification qui conditionne l’octroi de réductions à certaines formes de quotient familial, au niveau des ménages", a rappelé Pierre Nouaille, chargé de projets en socio-économie des transports au Cerema, en introduction d’un atelier thématique qui s’est tenu le 13 juin, dans le cadre du Salon européen de la mobilité. Elle présente selon lui plusieurs avantages : "Elle dépasse la notion de statut en termes de capacité à payer, celle-ci étant élargie au niveau des ménages et elle introduit la notion de progressivité, en donnant la possibilité de moduler le niveau de réduction en fonction du quotient familial." L’idée est revenue sur le devant de la scène fin 2017, lors de la restitution des Assises de la mobilité (voir le document ci-dessous). Face aux besoins de hausse des tarifs exprimés par les réseaux, pour améliorer leurs recettes voyageurs, la tarification solidaire est apparue comme la solution la plus adaptée pour prendre en compte les besoins des passagers les plus vulnérables sur le plan financier.
Usage plus intense du réseau
Trois réseaux ont relaté leur expérience en la matière le 13 juin, en mettant en avant un bilan positif en termes de ciblage et de fréquentation. Le syndicat mixte des transports en commun de l’agglomération grenobloise (SMTC), qui s’est lancé en 2009, a évalué son impact à travers deux études quantitatives et qualitatives, en 2011 et 2013. "Nous avons constaté que la tarification solidaire avait trouvé son public avec une personne sur cinq abonnée, un taux de 50% de personnes précaires (CDD, intérimaires, demandeurs d’emploi…) parmi les bénéficiaires, a détaillé Agnès Delarue, directrice des transports et services mobilités au SMTC de l’agglomération grenobloise. Ces personnes font aussi un usage intense du réseau (4 fois par jour) et ont accru leur mobilité depuis l’instauration de la tarification solidaire."
Recherche de simplification
La communauté d’agglomération du Bassin d’Aurillac et la communauté urbaine du Grand Poitiers ont, elles, franchi le pas plus récemment - respectivement en 2016 et en mars 2018. Pour toutes les deux, les difficultés d’application de l’article 123 de la loi Solidarité et Renouvellement urbains (SRU), obligeant les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) à accorder au moins 50% de réduction aux usagers éligibles à la CMU-C (couverture maladie universelle complémentaire) a été l’élément déclencheur. "Les dossiers étaient complexes à monter, souvent sources de tensions et de conflits, l’évaluation se faisant dans les mairies. Cela devenait ingérable à la fois pour les bénéficiaires et les agents d’accueil", constate Laurent Fonteneau, directeur du service mobilité, transport et stationnement du Grand Poitiers. Mêmes difficultés dans le Bassin d’Aurillac. "L’instruction des dossiers était faite par les CCAS ou les secrétaires de mairie, dans les petites communes, c’était très compliqué, avec une part d’interprétation difficile à gérer, raconte Sandra Nugou, responsable du secrétariat général et des transports de la communauté d’agglomération. En passant à la tarification solidaire, notre objectif était de simplifier et d’homogénéiser les modalités d’instruction." Avec un impact positif sur la fréquentation : "Les usagers de la tarification solidaire sont le double de ceux de l’ancienne tarification sociale et notre nombre d’abonnés global a augmenté", confirme Sandra Nugou.
Partenariat avec les acteurs sociaux et communication avec les usagers
Dans tous les cas, le passage à la tarification solidaire nécessite un partenariat étroit avec les acteurs sociaux et un gros effort de communication car la référence au quotient familial n’est pas toujours facile à appréhender pour les usagers. "A l’origine, nous avions retenu cinq seuils mais au bout de 18 mois, lorsqu’on a fait une enquête auprès des usagers, nous avons constaté que les grilles tarifaires leur apparaissaient trop complexes, témoigne Agnès Delarue. Nous les avons simplifiées en passant à quatre seuils et en renommant les titres pour les rendre plus compréhensibles par l’usager, de Pastel 1 pour les moins chers à Pastel 4 pour les plus chers. Le tout a été accompagné d’un important travail de communication via des plaquettes et aussi des relais (personnels d’accueil des agences commerciales, missions locales, mairies…) pour répondre aux questions des usagers."
Choix du référentiel
A Grenoble, 80% des personnes ciblées par la tarification solidaire avaient déjà un quotient familial CAF. Mais certains réseaux préfèrent recréer un autre type de quotient familial pour fonder leur tarification. Cela a été le cas à Aurillac. "Nous avons constaté que le quotient familial CAF n’était pas toujours l’outil le plus simple pour permettre une instruction homogène sur tout le territoire et garantir l’égalité de traitement de tous les usagers, explique Sandra Nugou. Les personnes âgées, par exemple, n’en disposent pas. Nous avons donc fait le choix de partir du barème de la CMU-C en l’extrapolant sur la base des données fournies par les travailleurs sociaux." Les questions d’équité poussent souvent les collectivité à calculer leur propre référentiel. "Quand on a beaucoup de profils atypiques, on modifie le règlement, ce que nous avons déjà fait trois fois depuis 2015, confirme Sandra Nugou. C’est la force d’un petit réseau : la proximité avec les services instructeurs permet de faire un traitement au cas par cas."
Si certains réseaux craignent que l’instauration de la tarification solidaire fasse chuter leurs recettes commerciales, ceux qui la pratiquent ne l’ont pas constatée. "Nous avons réussi à maintenir le niveau des recettes lors du passage à la tarification solidaire", assure Agnès Delarue. "Nous avons maintenu le niveau des recettes commerciales avec une part de bénéficiaires de la tarification solidaire qui a augmenté par rapport aux usagers de l’ancienne tarification sociale", affirme aussi Sandra Nugou.