Sobriété hydrique des sites industriels : un rapport inter-inspections plaide pour des plafonds de volumes prélevables

Pour mieux anticiper et planifier les prélèvements d’eau des ICPE, le Conseil général de l’économie (CGE) et l'Inspection générale de l’environnement et du développement durable (Igedd) préconise dans un rapport dédié de fixer des plafonds adaptés à la situation hydrique locale dans les zones en tension quantitative, et d’orienter les nouvelles implantations d’usines en fonction de la disponibilité de la ressource.

Le rapport inter-inspections - Conseil général de l’économie (CGE) et Inspection générale de l’environnement et du développement durable (Igedd) - consacré à la sobriété hydrique des installations classées pour l’environnement (ICPE) - hors production d’énergie et hors outre-mer- a été rendu public ce 6 septembre. Il fait suite à la lettre de mission du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires et s’inscrit tant dans la réponse du plan Eau présenté en mars 2023 - notamment marqué par l’accompagnement de 50 sites industriels avec le plus fort potentiel de réduction - qu’aux orientations stratégiques pluriannuelles 2023-2027 pour les ICPE.

"Il paraît nécessaire de mieux coordonner les deux réglementations principales qui encadrent les prélèvements en eau de l’industrie" - celle relative aux ICPE et celle relative à la gestion de l’eau et des milieux aquatiques-, soulève d’ailleurs d’emblée le rapport. Plusieurs des recommandations de la mission visent à les articuler davantage de façon à ce que les autorisations de prélèvement et les restrictions en cas de sécheresse soient le plus possible calées sur la situation locale des masses d’eau. 

Croiser volumes prélevés et état des masses d’eau

Le rapport estime tout d’abord important de croiser les données sur les prélèvements avec celles des ressources en eau. "Ceci permettra de visualiser la tension sur les ressources de manière cartographique à différents échelons géographiques, y compris en termes prévisionnels, et de définir au niveau territorial les priorités d’action", et ce particulièrement, dans les zones en tension quantitative des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage) et les zones de répartition des eaux (ZRE), présentes et futures.

Autrement dit, il faut réduire les prélèvements en priorité là où la ressource n’est pas suffisante en période de crise. C’est la démarche conduite notamment par la Dreal Grand Est qui a identifié 226 installations prioritaires en croisant les prélèvements et la sensibilité des masses d’eau. Cet outil conjoncturel "peut aussi permettre de développer un plan d’action à l’année de façon structurelle en direction des prélèvements les plus sensibles à la baisse de la ressource en eau", note le rapport. 

Fixer des plafonds de prélèvement tenant compte des spécificités locales

"Les autorisations dont bénéficient les entreprises sont souvent anciennes, sans plafond de prélèvement. Quand il est fixé, il est basé sur une situation climatique et hydrique non actualisée", relèvent les inspections. La mission propose donc que les arrêtés d’autorisation "soient revus dans un délai de deux à cinq ans", dans les zones en tension des Sdage et les ZRE, afin de fixer des niveaux maxima de prélèvement adaptés à la situation hydrique locale, et de prévoir les mesures à prendre en cas de sécheresse. Pour tenir compte du changement climatique, le rapport préconise également de fixer "une clause de revoyure", au moyen de plafonds évolutifs de prélèvements autorisés (trajectoires de prélèvements) fixés pour chaque installation, en s’appuyant sur les prévisions d’Explore2 et des études locales disponibles, dans la logique du projet de décret Sage et du prochain Plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc).

Le rapport pointe par ailleurs "des arrêtés 'sécheresse' inadaptés et difficiles à appliquer par les ICPE", auxquelles s’ajoutent, comme le pressentait Amaris, l’association nationale des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs, les difficultés rencontrées par l'arrêté ministériel du 30 juin 2023. Il est suggéré de le remplacer par un guide pour l’élaboration de la partie sécheresse des arrêtés individuels d’autorisation. Pour simplifier le processus, le rapport recommande en outre "de faire en sorte, autant que possible, que les arrêtés-cadre départementaux ou interdépartementaux s’appliquent directement en cas de franchissement de seuil, sans nécessité de prendre un arrêté pour chaque franchissement". 

Mieux prendre en compte les territoires et leur gouvernance

La mission estime qu’il faut aller plus vite dans les zones en tension, pour y disposer des volumes prélevables et de leur répartition dès 2025. Et pour ce faire demander aux préfets de mettre en place, là où elles n’existent pas, des instances de dialogue (commissions locales de l’eau / CLE) dans les zones en tension quantitative des Sdage et les ZRE. En l’absence d’instance, le préfet coordonnateur de bassin déterminera lui-même les volumes en question. Plus généralement, à l’instar de ce qui existe déjà pour les Iota, le rapport estime indispensable que les CLE des Sage donnent systématiquement un avis sur les prélèvements lorsqu’ils sont envisagés dans les demandes d’autorisation des ICPE. 

Orienter les nouveaux projets

Suivant cette logique d’anticipation "il importe de bien orienter les nouveaux projets vers des zones qui ne sont pas en tension pour l’eau et de tenir compte des secteurs qui devraient connaître un fort développement et qui nécessiteront une importante consommation d’eau (data centers, hydrogène, ou encore la filière du véhicule électrique)", souligne le rapport.

Il mentionne à l’appui de ses réflexions plusieurs contre-exemples. Trois gigafactories de batteries pour voitures électriques sont ainsi prévues à Dunkerque, Douai, Billy-Berclau, zones en tension quantitative du Sdage Artois-Picardie. Même biais de raisonnement pour la filière d’hydrogène renouvelable ou bas carbone, dont le million de tonnes projeté à 2030 devrait mener à des prélèvements d’eau annuels de l‘ordre de 30 millions de mètres cubes.

L’instruction interministérielle sur la mise en œuvre du plan Eau, adressée début juillet aux préfets, qui impulse une action spécifique auprès des industriels gros consommateurs d’eau, souligne que "toute nouvelle implantation industrielle doit s’assurer de la résilience de l’activité envisagée au regard de la disponibilité et de la qualité de la ressource en eau". La mission enfonce le clou. Elle invite à réaliser "un bouclage eau" dans le cadre des travaux menés pour la planification écologique, et en liaison étroite avec les comités de bassin, de manière à "établir sur le long terme les ressources et besoins d’eau par secteur et par territoire dans une trajectoire de sobriété des usages et dans un contexte de changement climatique". 

Sur le volet accompagnement des entreprises, l’annexe 10 recense les bonnes pratiques et propose un modèle de guide. Le rapport recommande entre autres de poursuivre le développement de la réutilisation des eaux dans l’industrie et de développer la recherche et l’innovation sur les procédés moins consommateurs d’eau. Enfin, la mission s’interroge sur l’effet levier de la mise en place d’un signal-prix pour encourager la sobriété hydrique des utilisateurs, et met l’accent sur la sensibilisation des industriels au "vrai coût" de l’eau, qui est celui de l’eau qui manque. 

 

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