Services publics, déserts médicaux… les maires ruraux prêts au "rapport de force"
Une coupe de 50 millions d'euros dans le fonds de présence postale aurait été décidée par Bercy avant le changement de gouvernement. L'annonce faite par le PDG de La Poste, Philippe Wahl, lors du congrès des maires ruraux à Saint Julien (Côte-d'Or), crée des remous. À la veille de la déclaration de politique générale, les maires ruraux retiennent leur souffle et comptent sur l'alliance avec les départements pour défendre la "proximité".
Si les maires ruraux sont confrontés à un risque de "burnout", comme le pointait une étude récente menée par l'université de Montpellier (voir notre article du 2 septembre), la situation politique ne va pas les apaiser. "Sur la question des finances locales, on ne sait pas du tout à quelle sauce on va être accommodés", déclare le président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), Michel Fournier, à la veille de la déclaration de politique générale du Premier ministre à l'Assemblée. À son image, les maires ruraux, qui tenaient leur congrès du 27 au 29 septembre à Saint-Julien en Côte-d'Or, sont plongés dans le brouillard automnal. "On a plus d'interrogations aujourd'hui que de réponses", poursuit le maire des Voivres, alors que deux ministres – Catherine Vautrin (Partenariat avec les territoires et Décentralisation) et Françoise Gatel (Ruralités, Artisanat et Commerce) – s'étaient rendues sur place. Plus pour une première prise de contact que pour faire des annonces, devoir de réserve oblige avant le discours du Premier ministre.
Une coupe de 50 millions d'euros pour le réseau postal
Et des interrogations, les élus en ont après que le PDG du groupe La Poste a lancé un pavé dans la mare, vendredi, pendant leur congrès. Philippe Wahl a en effet indiqué que Bercy envisageait une coupe de 50 millions d'euros dans le fonds postal de péréquation territoriale, le fonds qui permet à La Poste de maintenir son maillage de 17.000 points de contact à travers le territoire, comme la loi postale de 2010 l'y oblige, en particulier dans les communes rurales, en outre-mer ou les quartiers prioritaires. "Nous soutenons la démarche de Philippe Wahl, s'il y a des coupes budgétaires de cet ordre, il va forcément y avoir des répercussions sur les agences postales communales ou les points relais postaux chez les commerçants", s'insurge Michel Fournier, qui précise que cette décision a été actée par le précédent gouvernement. "Ou bien les collectivités vont devoir compenser ce manque ou alors elles ne le pourront pas et cela aura une incidence, sachant que la fermeture d'un bureau de poste peut entraîner une spirale non favorable aux territoires ruraux." Son collègue Xavier Cadoret, maire de Saint-Gérand-le-Puy dans l'Allier, se montre plus inquiet encore et parle d'"énorme cataclysme".
Depuis des années, afin de préserver son maillage dans un contexte d'ouverture à la concurrence, La Poste remplace de plus en plus de bureaux de plein exercice par des solutions alternatives. En 2022, selon les chiffres de l'Observatoire nationale de la présence postale, le réseau comportait 7.073 bureaux de plein exercice, dont 402 France Services, 1.458 bureaux de facteur-guichetier et 574 bureaux de poste localisés dans les quartiers prioritaires, 6.890 agences communales et intercommunales et 3.136 relais postaux chez les commerçants.
"Un mauvais signal pour le partenariat territorial"
Le coût de cette mission d'aménagement du territoire (à savoir le maintien des points de contact dans les zones isolées) est évalué à 348 millions d’euros par an par l’Arcep. Mais l'État ne le compense que partiellement. Le dernier contrat de présence postale signé entre l'Association des maires de France (AMF), l'État et La Poste, en février 2023 (voir notre article du 15 février 2023) prévoit "un financement national maximal de 531 millions d'euros sur la période du contrat, soit un montant maximal de 177 millions d'euros par an". Une partie de ce fonds est financée par des abattements appliqués à la fiscalité locale due par La Poste et une autre partie par une dotation par l’État dans la loi de finances, rappelle l'AMF, dans un communiqué. Dans la loi de finances pour 2024, l'enveloppe se chiffrait à 174 millions d'euros dont 105 millions d'euros pour la seule dotation de l'État. Si le plan de Bercy se confirme, elle sera ramenée à 55 millions d'euros. "Pour la première fois, le fonds serait donc privé de plus d’un tiers de sa ressource, aggravant ainsi une situation qui ne cesse de se dégrader. Cela constituerait un mauvais signal pour le partenariat territorial annoncé par le nouveau gouvernement", avertit l'AMF, qui rappelle qu'en plus, le montant de 174 millions d'euros n'était jamais respecté ces dernières années, du fait des variations des recettes de CVAE.
"Maintenir la pression sur la fracture sanitaire territoriale"
Pour Michel Fournier, la présence postale n'est que l'un des nombreux sujets d'inquiétude des maires ruraux. La question de la désertification médicale reste ainsi entièrement posée. Dans leur résolution adoptée en fin de congrès, les maires ruraux appellent à "maintenir la pression" pour "réduire la fracture sanitaire territoriale". Depuis quelques mois, des dizaines de communes de Côtes-d'Armor et des Alpes-de-Haute-Provence ont engagé un bras de fer avec l'État, adoptant des délibérations visant à mettre en demeure ce dernier "d'initier dans les plus brefs délais un plan d'urgence pour l'accès à la santé". Une action symbolique qui n'a pas été du goût du préfet des Côtes-d'Armor qui a saisi la justice pour suspendre les arrêtés municipaux en question. Le 13 septembre, le tribunal administratif de Rennes lui a donné gain de cause, en ordonnant la suspension des arrêtés. Michel Fournier reconnaît le "côté provocation" de ces initiatives mais "il fallait un signal fort pour être entendu", estime-t-il. C'est aussi ce que dit la résolution finale : "Les maires sont certes des facilitateurs (…) mais souvent avec la seule capacité de cautériser cette jambe de bois qui fait très mal dans les foyers ruraux. Tout ceci écarte provisoirement la responsabilité de l'État (…) fautif de malmener l'accès aux soins de tous." Pour Michel Fournier, "c'est le temps du rapport de force, on veut passer à la vitesse supérieure". "Il faut penser à des mesures coercitives qui ne soient pas totalitaires", pour obliger des médecins à venir un jour ou deux dans les zones dépourvues d'offre médicale, par exemple.
Duo commune-département
Dans ce rapport de force, les maires comptent s'appuyer sur les départements (c'était d'ailleurs le thème de ce congrès : "Communes et départements : conquérir le pouvoir d’agir en proximité"). Mais la situation financière de ces derniers n'est guère encourageante. "Énormément de départements sont étranglés. Un grand tiers d'entre se trouvent dans une situation de faillite", s'alarme Michel Fournier. Les maires ruraux ont reçu la visite du président du département de Côte-d'Or, François Sauvadet, président de Départements de France. "Notre République s’est historiquement fondée sur le couple commune-département… Ce duo d’avenir est le seul capable d’envisager les défis d’aujourd’hui et de demain", a-t-il réagi sur X. "Que l’État arrête de nous charger la barque et nous continuerons à agir dans un nouveau pacte territorial."
Le congrès a aussi été marqué par la visite de Gérard Larcher, le président du Sénat. Ce dernier s'est montré confiant pour faire aboutir la proposition de loi sur le statut de l'élu local, déjà adoptée à l'unanimité par la Haute Assemblée le 7 mars (voir notre article du 8 mars), afin de permettre son entrée en vigueur avec les élections municipales de 2026. "Je pense qu'on va y arriver... avec la réforme des modes d'élection dans les communes de moins de 1.000 habitants", se réjouit Michel Fournier.