Aménagement numérique - Sans adresse postale normalisée, point de très haut débit ?
L'adresse postale fiable et normalisée d'un bâtiment est à la base de nombreux services reposant sur la localisation et notamment ceux qui concernent aujourd'hui le déploiement et la commercialisation du très haut débit. Le lancement de la base adresse nationale (BAN), le 15 avril dernier au siège de la fondation Mozilla, représente un indéniable progrès, "attendu depuis plus d'une décennie". Là où chaque utilisateur emploie ses propres fichiers, se substituera progressivement une base unique, de surcroît mise à jour par les producteurs eux-mêmes. Mais la BAN ne fait pas tout. Il existe encore de nombreuses communes en France - rurales principalement - ne disposant pas d'adresses normalisées (nom de rue et numéro), ce qui risque de donner du fil à retordre aux réseaux d'initiative publique, notamment en prévision de la commercialisation prochaine des réseaux.
Territoires ruraux : une interopérabilité des systèmes d'information plus difficile à trouver
L'adresse est le point central de nombreux services publics et privés basés sur la localisation. Les GPS des services de secours sont parfois aveugles dans les zones où on utilise les lieux-dits à la place des noms de rue ou de voies. Pour la commercialisation des futurs services d'accès internet sur le réseau Ftth, le principal élément de reconnaissance de l'abonné reste également l'adresse standardisée. C'est pourquoi les principaux fournisseurs de services télécoms en France ont choisi d'utiliser le même référentiel : en l'occurrence le service national de l'adresse de La Poste. Celui-ci fabrique aussi les codes hexaclé - sortes de numéros d'identité réalisés à partir de chaque adresse - nécessaires pour simplifier les échanges informatiques. Ils sont essentiels dans les transactions. Aussi lorsque le code n'existe pas, soit parce qu'il n'a pas été créé, soit parce que l'adresse est mal qualifiée, tout s'arrête car les foyers raccordables risquent dans ce cas de ne pas être éligibles au moment de la commercialisation.
70% des communes n'ont pas d'adresses normalisées en Ardèche-Drôme
L'obstacle serait relativement léger si tout le monde ou presque disposait en France d'une adresse standardisée. Or un nombre élevé de petites communes ne disposeraient pas des éléments nécessaires pour fabriquer les codes hexaclé de la Poste. Sylvain Valayer, directeur du syndicat mixte Ardèche Drôme numérique (ADN), est un des premiers responsables à avoir tiré la sonnette d'alarme : "Dans beaucoup de cas, les rues ne sont pas numérotées et ne sont pas adressées dans nos villages, ce qui, en l'état, rend impossible la commercialisation des services aux habitants. J'estimais à 50% le nombre des communes concernées sur nos deux départements, or selon les chiffres transmis par La Poste, le taux réel serait de 70%", confirme-t-il. Devant le risque et l'ampleur de la tâche, le syndicat a envoyé un courrier préventif à tous les maires les mettant en garde sur l'impossibilité de commercialiser le très haut débit d'ici 2 ans s'ils ne se lançaient pas rapidement dans un plan de nommage et de numérotation des voies.
Plan de nommage des rues : un exercice encore politique en milieu rural
Le courrier a provoqué un certain mécontentement de la part de beaucoup d'élus car la mise aux normes demandée reste une opération humainement, techniquement et politiquement compliquée. "Beaucoup de villageois rechignent à voir le nom identitaire de leur hameau disparaître au profit d'une quelconque 'rue des Lilas', sans compter les débats interminables, voire parfois les guerres de clochers déclenchés par le nommage des voies", fait remarquer Sylvain Valayer. A cela il faut ajouter les études préalables pour préparer le nommage puis pour le mettre en oeuvre. Il semble raisonnable de prévoir au moins une année pour effectuer la transformation. Chaque commune doit en effet choisir un prestataire qui aura à charge d'élaborer le plan, d'organiser la concertation avec les habitants en vue de l'établissement d'un consensus sur les noms proposés, de faire fabriquer les panneaux et les numéros avant de les poser. Avec les risques de voir rapidement la recherche de prestataires se compliquer au fil des demandes. Aussi les recherches de solutions se poursuivent au niveau local avec certains porteurs de RIP et au niveau national portées par le groupe Interop'fibre qui réunit les opérateurs et par la mission Très Haut Débit (THD).
Base adresse nationale : levier unificateur
La bonne nouvelle est le lancement officiel depuis le 15 avril de la base adresse nationale (BAN) car elle va permettre à de nombreux acteurs de travailler sur une base fiable et unique de 25 millions d'adresses. Cette base a non seulement vocation à recenser l'intégralité des adresses sur le territoire et à gérer les 200.000 à 300.000 adresses créées chaque année mais elle propose ensuite un service de téléchargement de la base sous un régime de double licence : soit une licence gratuite dite de "repartage" en échange des enrichissements réalisés que l'utilisateur met à la disposition du public, soit une licence payante proposée par La Poste et l'IGN pour des services à vocation marchande notamment.
Elle constitue un vecteur d'homogénéité qui devrait profiter à tous les opérateurs de services et en particulier à ceux du secteur des télécommunications. La mission THD a largement contribué au cours des derniers mois à ce que la BAN soit publiée et puisse constituer un socle de référence pour les déploiements de demain. "Elle est essentielle pour tous les projets et pour toutes les phases de déploiement d'exploitation des réseaux", a lancé Thierry Jouan, chef de mission à l'Avicca, lors de son dernier colloque*, rappelant au passage qu'elle fait l'objet d'une expérimentation sur les départements de l'Ain, de la Savoie et de la Haute-Savoie dont le bilan devrait être tiré prochainement par la mission THD.
Groupe Inter'op et mission THD pour sortir des impasses actuelles ?
Beaucoup d'éléments sont en voie d'amélioration mais ce chantier ne donne pas encore la visibilité attendue. Le fait que de nombreux bâtiments et immeubles ne disposent pas du fameux code hexaclé risque de provoquer de réelles déceptions si des solutions ne sont pas trouvées à temps. Certains groupes de travail au sein d'Inter'op envisagent une adaptation de la politique des adresses afin que l'on s'échange, par exemple, des coordonnées géographiques (X, Y) lorsque l'hexaclé n'existe pas. Mais saura-t-on proposer des solutions permettant d'unifier l'ensemble ? Quant à la généralisation de la bascule de tous les acteurs sur la BAN, elle devra aussi s'organiser et sans doute s'articuler avec d'autres travaux sur les adresses comme la mission invite les acteurs à le faire. Rien n'est donc facile. La normalisation sera réussie si les communes et surtout les plus petites sont en capacité de suivre le rythme imposé par les aménageurs numériques et par les habitants. A moins que le opérateurs ne parviennent à trouver des solutions plus légères et plus rapides à mettre en œuvre. Ce qui n'est pas garanti aujourd'hui.
Philippe Parmantier / EVS
* Colloque Aménagement numérique organisé par l'Avicca les 1er et 2 avril 2015 : table ronde "Standardisation des réseaux et besoins de long terme" qui évoque assez largement ces questions de standardisation des adresses. Télécharger le verbatim de l'atelier ici