Relocalisations : la Bretagne fait le pari de l'achat local

Le conseil régional de Bretagne a avalisé vendredi 8 septembre un "plan d'actions pour une relocalisation décarbonée" qui mise avant tout sur l'achat local. Piloté par Loïc Hénaff, le "monsieur relocalisations" de la région, il vient d'être dévoilé lors du forum économique breton de Saint-Malo.

La Bretagne a dévoilé cette semaine sa stratégie de relocalisation en germe depuis plus d'un an. Ici comme un peu partout, la crise sanitaire a mis en lumière des défaillances majeures dans les chaînes de production, entraînant des pénuries critiques. Mais plutôt que de miser sur des subventions massives pour attirer des investissements étrangers, la région a fait un autre choix : convaincre les entreprises de réaliser leurs achats localement. C'est le sens du "plan d'actions pour une relocalisation décarbonée" arrêté par le conseil régional vendredi et dévoilé ce mercredi 6 septembre lors du forum économique breton, à Saint-Malo. Ce plan repose avant tout sur une "vision partagée" entre les élus et les acteurs "économiques, a déclaré à cette occasion le "monsieur relocalisations" de la région, Loïc Hénaf, dirigeant du groupe agro-alimentaire bien connu : "Le XXIe siècle sera celui de la transition réussie de la société bretonne de production qui agira en responsabilité : par ses achats, sa frugalité, pour sa souveraineté et en renforçant les écosystèmes locaux et la formation." Élu en 2021, le conseiller régional est à la manœuvre depuis lors pour élaborer ce plan, avec l'appui d'un comité de pilotage élargi comprenant l'agence Bretagne développement innovation (BDI), la CCI de Bretagne, la Banque des Territoires, le Medef et d'autres représentants des acteurs économiques locaux. L'objectif : agir vite, sur deux ans, entre 2024-2025. "Ce ne sera pas un machin", assure l'élu.

La région a aussi eu recours au cabinet Goodwill Management qui a réalisé deux études pour évaluer le potentiel de ces relocalisations. Résultat : "Sans dire que c'est facile mais sans prendre de risques inconsidérés, on peut estimer, à l'horizon 2030, 5,5 milliards d'euros de retombées et la création de 130.000 emplois", indique Alan Fustec, le dirigeant de Goodwill Management. "Savez-vous que 30% du poulet consommé en Bretagne est importé ? On importe du beurre, des ovoproduits, beaucoup de légumes de Belgique… et même du cochon", prend-il pour exemple. Et ce qui vaut pour les consommateurs vaut aussi pour les entreprises. "On s'est rendu compte que l'on avait des possibilités de faire beaucoup mieux que ce qu'on fait aujourd'hui et que ce qui était impossible il y a dix ans est possible aujourd'hui", souligne-t-il. Car l'écart des coûts de production entre des pays comme la Chine, l'Inde ou le Brésil et l'Europe a fondu, insiste-t-il. Du moins, avant la crise énergétique.

"Un outil de transition formidable"

Ces dernières années, la politique de réindustrialisation du pays s'est essentiellement fondée sur des subventions, à travers France relance, France 2030 et aujourd'hui la course mondiale qui se joue sur l'industrie verte. Mais "il n'y aura pas de pérennisation de la réindustrialisation sans volume", prévient Anaïs Voy-Gillis, chercheuse à l'université de Poitiers qui s'est intéressée à l'expérience bretonne. "Si les sites industriels n'ont pas de clients, ne remplissent pas les usines, alors vous pouvez mettre toutes les subventions que vous voulez, il n'y aura aucun mouvement qui se produira." En revanche, "les volumes passent par la capacité des industriels de consolider, à travers leurs achats, l'influence qu'ils peuvent avoir sur le territoire." En clair, une entreprise qui fait passer ses approvisionnements locaux de 5 à 10 ou 20% peut enclencher un cercle vertueux pour le développement territorial. "Quand vous vous approvisionnez sur le territoire, vous allez créer des emplois indirects chez vos fournisseurs, vous allez augmenter la part de la fiscalité, augmenter la consommation…", développe-t-elle.

Enfin pour Loïc Hénaff, un autre enjeu guide ce plan qui est "un outil de transition formidable" à l'heure des objectifs climatiques européens ("Fit for 55") qui obligent à réduire de 55% les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030. "C'est un pas de géant" qui va conduire à "une industrie différente". "Les contraintes réglementaires vont pleuvoir sur les entreprises, j'aimerais que la Bretagne ait un petit temps d'avance", plaide-t-il. "Beaucoup de produits fabriqués en Chine sont des produits made in charbon", abonde Alan Fustec. "Vous avez une baisse d'impact environnemental énorme, une baisse de la dette environnementale énorme à partir du moment où vous relocalisez." Et si les relocalisations impliquent aussi de rapatrier sur notre sol des activités polluantes, Anaïs Voy-Gillis invite à arrêter l'hypocrisie du "Not in my backyard" : "On veut continuer à consommer, assumons les conséquences de nos choix de consommation. Ne faisons pas reposer notre responsabilité sur un autre pays."

Une dizaine d'entreprises ont pris le virage

La démarche séduit dans ce territoire à l'identité forte : 80% des entreprises bretonnes seraient prêtes à s'engager, selon une étude de la CCI. La région et ses partenaires vont à présent poursuivre leur travail de sensibilisation et de formation. Déjà un "Rendez-vous de la relocalisation" s'est tenu à Douarnenez, au mois de juin, à destination des entreprises et des collectivités. Une boîte à outils d'aide à la décision sera bientôt accessible aux dirigeants d'entreprises sur le site relocalisations.bzh pour qu'ils aient les moyens de faire des choix éclairés. La région compte s'appuyer sur la méthode TCO (Total Cost of Ownership) qui permet d'analyser le plus finement possible les coûts de production. Cela permet d'évaluer "tous les coûts cachés d'un achat au loin", explique Alan Fustec. Et ce en tenant compte des stockages, des frais de transport, des problèmes de qualité, etc. Un indice de l'achat local sera créé avant la fin de l'année pour que les entreprises puissent savoir où elles en sont en la matière. La région souhaite aussi faciliter les relations B2B pour mettre en relation entreprises et fournisseurs. Et elle veut montrer l'exemple : en décembre 2022, elle s'est fixé l'objectif de réaliser 75% de ses achats localement. Enfin, elle entend redéployer une politique d'attractivité autour de ses secteurs phares : mer, agroalimentaire, digital et tourisme. La filière emballage est "un secteur qui va être en grande transformation. Mutualisation ou coopération : il faut qu'on rassemble les entreprises", anticipe Loïc Hénaf.

Déjà une dizaine d'entreprises ont pris le virage : Chancerelle (conserves de poisson) à Douarnenez, Publigraphic à Pont-l’Abbé (sérigraphie, impression numérique) ou Marinelec à Quimper (sécurité dans le domaine maritime)… Avec le soutien de la région, la société Nautix va pouvoir rapatrier sa production de mâts de planches à voile aujourd'hui fabriqués en Asie. Bientôt des mâts en composite 100% made in Bretagne : de quoi faire oublier le fiasco de la production de masques à Saint-Brieuc dont les commandes publiques et privées n'ont jamais décollé…

 

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